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Les Écritures décrivent l’activité économique comme un bienfait, dans le cadre d’une économie de propriété et d’échanges, reconnue pour sa part inégale. Les passages des Évangiles sont exceptionnellement nombreux qui contiennent des comparaisons avec la vie économique afin d’enseigner des réalités spirituelles. Cela implique notamment que cette réalité et sa logique spécifique soient reconnues comme légitimes. On retrouve notamment l’idée de calcul rationnel : l’investissement (Lc 14,28-30 ; Mt 7,24-27 ; Lc 13,6-9 ; etc.) ; l’arbitrage entre les actifs (le champ où se trouve un trésor – cf. Mt 13, 44) ; la mesure des actifs par des prix (Mt 10, 29-30) ; la fructification (Mt 13, 8 ; Mc 12, 2) ; la thésaurisation (Mt 12, 35 ; Lc 12, 21) ; le salaire (Jn 4, 36 ; 10,11-15) ; les dettes dues (Mt 6, 12 ; 18, 29-30 ; Rm 13, 7).
Tout ceci reprend les principaux aspects du calcul économique, qui incombe au bon propriétaire. Remarquons en particulier l’éloge du Bon pasteur, qui donne sa vie pour ses brebis (Jn 10, 11-15) : c’est parce qu’il en est le propriétaire, comparé au salarié qui n’a pas intérêt à risquer sa vie puisque son enjeu se limite à ce salaire.
À celui qui a beaucoup reçu, il sera demandé davantage
Des inégalités apparaissent constamment : de propriétés, de compétences, de rôles entre maîtres et serviteurs, entre créancier et débiteur etc. Mais la conséquence en est qu’il sera beaucoup plus demandé à celui qui a reçu davantage. Une recommandation forte est de faire un usage intelligent des biens reçus. Un exemple majeur en est donné par la parabole des talents (Mt 18, 24 ; 25, 14-30 ; Lc 19, 12-27). Le maître demande des comptes à ses serviteurs sur l’argent qu’il leur a confié, il récompense celui qui l’a fait fructifié, et punit celui qui l’a enfoui. Autre exemple d’usage intelligent des biens : l’intendant malhonnête. Il remet aux débiteurs de son maître les créances dues pour se créer un réseau d’amitiés qui lui servira ensuite. Le maître mis au courant en fait l’éloge : non de l’acte lui-même, mais de la justesse du calcul.
Dans l’autre monde nous emportons ce que nous sommes, nos actes et la manière dont ils nous ont façonnés ; c’est là la seule réalité durable, dans laquelle se fait le véritable investissement.
Cela n’empêche pas d’aller au-delà du calcul, comme le montre l’exemple des ouvriers de la onzième heure (Mt 20, 1-16). Ils n’ont travaillé qu’une heure, mais reçoivent le même salaire que ceux qui ont travaillé toute la journée. Mais pour ces derniers, c’était ce que disait le contrat ; pour les premiers, un don du maître. Il rappelle aux premiers qui protestent qu’ils ont eu leur dû, et qu’il fait ce qu’il veut de ses biens. Et notamment du bien — s’il le juge bon.
Relativiser ses richesses
Mais à un deuxième stade, les Écritures demandent de dépasser la perspective de ce monde et de relativiser ses richesses. C’est un tournant majeur par rapport à l’économie de ce monde qui est demandé. L’Ancien testament constate que la richesse pousse au péché, à l’orgueil et à l’avarice (par exemple Siracide 27, 1 ; 31, 1-7). De nombreux textes annoncent la punition du mauvais riche (cf. 2 Samuel 12, 1 ; 1 Rois 3, 11 ; Tobie 12, 8 ; Job 36, 18 ; Psaume 62, 10 ; Proverbes 11, 4-7 ; 15, 16, 27, 24, Ecclésiaste 5, 12, Sagesse 7, 8 ; Ézéchiel 28, 1-10 etc.). La richesse est un bien d’ordre inférieur, et transitoire, même si elle est un don du Seigneur dont il faut être reconnaissant et qu’il faut bien utiliser. Le riche a en outre un devoir essentiel envers le pauvre. Qui n’écoute pas le pauvre ne sera pas écouté. Pour cela plusieurs moyens : l’honnêteté envers les pauvres qu’on emploie ; la largesse avec les biens ; la prohibition du prêt à intérêt qui exploite la faiblesse du pauvre ; et surtout l’aumône qui est un devoir.
Dans les Évangiles, un tournant radical
Les évangiles nous demandent un changement de perspective radical, sans abandonner la rationalité économique. Cela résulte de la mise en perspective des réalités de ce monde, transitoires, par rapport à celles de l’autre, éternelles. Dans le meilleur des cas notre fortune subsiste, mais pas nous, puisque nous mourrons. En revanche tout ce qui peut être accumulé en vue de l’autre monde gardera sa valeur éternellement. Et donc se limiter à ce monde nous laissera toujours frustrés ; alors que dans l’autre monde Dieu ne nous trompera pas.
Un système de préférences qui se limite à ce monde est donc économiquement irrationnel. La raison de fond est que nous ne sommes pas ce que nous possédons. Dans l’autre monde nous emportons ce que nous sommes, nos actes et la manière dont ils nous ont façonnés ; c’est là la seule réalité durable, dans laquelle se fait le véritable investissement.
Comment comprendre la malédiction des « riches » ?
Il y a tout au long de l’Évangile un anathème porté sur les « riches ». On connaît la parole terrible disant qu’il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche de rentrer au Royaume des cieux (Mt 19, 24). Même si on admet que ce n’est pas à prendre littéralement, la condamnation est abrupte. Cela a rendu les disciples perplexes, car ils se sont demandés qui pourra être sauvé. On remarque leur lucidité, car ils étaient pauvres, mais ils comprenaient que le terme « riche » ne s’applique pas qu’aux gens opulents, mais s’entend de toute possession satisfaite. Jésus leur dit alors qu’à Dieu rien n’est impossible (Mt 19, 21-26).
On sait aussi que parlant à un jeune homme riche, Jésus lui explique qu’une fois respectées la loi et la morale, s’il veut être parfait, il faut qu’il abandonne tous ses biens, les donne aux pauvres, car il aura un trésor au ciel. Ces paroles contristent le jeune homme, qui avait de grands biens (Mt 19, 21-22 ; cf. Lc 18, 18-30). À nouveau le choix paraît donc radical. Et pourtant, on trouve de nombreux riches qui ne sont pas poussés à cet abandon. Des Nicodème (Jn 3, 1) et des Joseph d’Arimathie (Jn 19, 38) dont la position sociale est appréciable n’abandonnent aucun bien. Même un Zachée (Lc 19, 2) s’en tire en en abandonnant la moitié et en restituant au quadruple les sommes volées — ce qui n’implique pas un dénuement total. En fait la question qui se posait au jeune homme était de savoir comment il pouvait parvenir à la sainteté. Cela supposait dans son cas d’abandonner de richesses pour qui il avait un attachement excessif. Ce qui confirme qu’il y a plusieurs types de vocations. L’anathème contre les riches vise ceux qui se définissent par leur seule richesse (même faible), ceux dont la thésaurisation est de ce monde.
Nul ne peut servir deux maîtres
Nul ne peut servir à la fois Dieu et Mammon (l’argent personnifié) (Mt 6, 24), car inévitablement il aimera l’un et pas l’autre. Le problème, c’est la fascination exercée par l’argent, qui aboutit à le prendre comme maître. Et les Béatitudes nous disent : Bienheureux les pauvres en esprit car le Royaume des cieux est à eux, (Mt 5, 3). C’est celui qui a compris que le seul vrai actif est dans l’autre monde ; et le « riche » celui qui ne l’a pas compris, et qui a déjà sa récompense en ce monde. On retrouve ici la maxime illustre : « Rend à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22, 15-22 ou Lc 20, 21-25). Outre la dimension politique, la phrase émerge à l’occasion d’une pièce de monnaie, à l’effigie de César. Il faut donc rendre aux considérations économiques ce qu’elles méritent, dans leur sphère propre. Mais cette sphère est distincte de celle de Dieu, qui seule doit être l’objet de notre attention véritable, celle de notre cœur.
Ce qui compte c’est d’éviter le souci excessif des choses de ce monde, car il finirait par nous dominer.
L’appel varie selon les cas mais nous devons tous nous convertir intérieurement pour nous tourner vers les biens de la vie éternelle, et donner à nos frères. Les riches au sens courant courent un risque particulièrement fort d’être des riches au sens du trou de l’aiguille. L’abandon total est la voie la plus sûre, celle de la perfection possible, celle de l’idéal monastique. D’où aussi la recommandation évangélique de ne se faire aucun souci pour la vie matérielle, y compris pour manger ou pour se vêtir (Mt 6, 25-34). Bien entendu il ne s’agit pas d’être irréfléchi, car on l’a vu, la rationalité économique subsiste, la prudence et le raisonnement. Ce qui compte c’est d’éviter le souci excessif des choses de ce monde, car il finirait par nous dominer. D’ailleurs, l’attitude évangélique n’exclut pas des récompenses matérielles dès ce monde. C’est ce qui fait que, envoyant les disciples à la prédication, Jésus leur recommande de donner comme de recevoir gratuitement, de ne prendre ni argent, ni provisions, ni vêtements de réserve ; mais leur dit aussitôt que tout ouvrier est digne de sa nourriture (Mt 10, 5-10) et mérite sa récompense.
Faire le bien en donnant aux pauvres
Il faut faire le bien, pour l’amour de Dieu, de façon désintéressée, en donnant aux pauvres. Quand Jésus décrit le Jugement dernier (Mt 25, 35-42), le point central qu’il soulève est celui de l’aide apportée à ceux qui sont dans le besoin : « J’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger, etc. » Car « ce que vous avez fait au plus petit c’est à moi que vous l’avez fait ». Au plus petit, c’est-à-dire à celui qui ne peut pas rendre. N’invitez pas des riches, car ils vous le rendront ; en revanche invitez les miséreux, car ils ne peuvent vous le rendre, et votre récompense se situera dans l’autre monde (Lc 14, 12-14).
En sens contraire celui qui ne donne rien se condamne. C’est comme dans la terrible parabole de Lazare et du mauvais riche, qui ne donnait rien au pauvre, pas même les miettes, et qui se voit damné (Lc 16, 19-31). Ce riche n’a pas utilisé ses richesses pour donner ; il n’a pas « investi » comme il le fallait. Naturellement le don se mesure à l’effort accompli, d’où l’admiration de Jésus pour la pauvre veuve qui donne trois sous au Trésor du temple ; elle a donné plus que tous les autres, car elle ne les a pas tirés de son superflu, mais de son nécessaire (Lc 21, 1-4). Mais attention : si une offrande est faite par vanité, elle a sa récompense en ce monde. Donc, elle ne constitue pas un « investissement » pour l’autre. De plus, le souci des pauvres n’est pas exclusif de celui de Dieu. Quand une pénitente répand sur les pieds de Jésus un parfum coûteux, les disciples critiquent : on aurait pu le vendre et en donner le produit aux pauvres. Jésus les reprend : c’est elle qui a raison car « les pauvres vous les aurez toujours tandis que moi vous ne m’aurez pas toujours » (Mt 26, 11). Concrètement c’est aussi à Dieu qu’il faut donner et donc à son église.
La destination universelle des biens
Au niveau collectif, la doctrine sociale de l’église justifie la propriété mais la subordonne à la destination universelle des biens. C'est ce qu'explique le Compendium de la doctrine sociale de l’Église (chapitre 4, III notamment §§ 176 sqq. - citant notamment Rerum Novarum de Léon XIII, en 1892, et Centesimus annus de Jean-Paul II en 1991, n. 6 et 30). Quelles sont les conséquences de ceci au niveau collectif ? L’Église raisonne comme les Écritures sur une économie fondée sur la libre initiative. Et la propriété privée en est un point de départ essentiel. Elle est de façon décisive garante de liberté, et pose un rapport direct de l’individu à l’objet matériel, fruit ou moyen du travail. En même temps c’est un puissant facteur d’efficacité. On l’a vu avec le Bon Pasteur.
La répartition des biens doit tenir compte de la justice des échanges, de la capacité à créer de la richesse collectivement, ainsi que de l’harmonie de la société.
Le droit de propriété est une responsabilité et il ne signifie pas qu’on a le droit de faire ce qu’on veut des biens détenus. Les choses possédées sont destinées à l’usage commun, et c’est comme cela que le propriétaire doit les utiliser. D’abord bien sûr en fonction de ses besoins propres, qui dépendent de sa position dans la société ; ensuite en fonction des autres. Mais cela ne justifie ni une propriété collective, ni le vol, sauf besoin impératif. La propriété est une responsabilité que Dieu a confiée à quelqu’un, selon des modalités définies par les lois humaines, en vue d’une utilisation ordonnée au bien commun. Dès qu’il dépasse le niveau de dépenses correspondant à ses besoins, en fonction de sa position et de son éducation, il doit notamment avoir le souci des nécessiteux, soit pour leur donner, soit pour créer les moyens durables qui leur procureront ces ressources.
L’égalitarisme n’est ni efficace ni juste
Les débats sur l’égalité des revenus pèchent par une sorte d’égalitarisme réflexe, finalement indifférent aux fins dernières de l’homme. Il est vrai que tout homme a droit à un ensemble de biens comme la nourriture, le logement, des vêtements, des soins médicaux, l’accès à l’éducation, etc., le tout en échange de sa solidarité et de son travail. D’où le problème des exclus, qui sont privés de ces biens, et surtout de la possibilité de se les procurer de façon digne. Ils sont donc prioritaires (c’est l’option préférentielle pour les pauvres). Mais la grande majorité se situe au-delà de ce seuil.
La répartition des biens doit tenir compte de la justice des échanges, de la capacité à créer de la richesse collectivement, ainsi que de l’harmonie de la société. Autant l’égalité au sein d’un monastère est logique et nécessaire, puisque c’est le détachement qui est valorisé ; autant on ne voit pas de fondement moral à l’égalité maximale dans la société. Même si l’inégalité ne doit pas atteindre des proportions excessives, pour des raisons d’équilibre social évidentes et si on doit garder un objectif de souci mutuel des uns par rapport aux autres, et de valorisation de la personne humaine comme telle. Ce qui conduit à regarder ce que la société apporte à chacun, et ce que chacun donne aux autres. Mais cela n’implique pas une norme égalitaire.
Si quelqu’un a créé de la richesse vraie, au sens large, c’est bon en soi et il est juste de lui reconnaître cette richesse : reste ensuite à voir l’usage qu’il en fait. On a vu que les « riches » ont un devoir majeur envers les autres. De même pour la consommation. L’argent ne se justifie pas seulement par la manière dont on le gagne, mais aussi par celle dont on le dépense. Une société comme la nôtre qui gaspille ses ressources en futilités peut difficilement être justifiée en termes moraux. Et le gaspillage des riches au sens large, alors que la misère subsiste, ne peut être moralement justifié ; même s’ils ont payé leurs impôts, et même si ces derniers sont élevés.
La sanctification et non la richesse
En définitive, nous devons rechercher notre sanctification. Le Christ recommande la pauvreté intérieure, éventuellement l’abandon de tous les biens, au moins intérieurement. Comment cela peut-il se concilier avec la vie économique, fondée apparemment sur le calcul et l’intérêt, et donc sur la recherche des biens matériels ? Mais d’un autre côté, si les hommes meurent de faim, ce ne peut être le désir de Dieu ; c’est donc que les biens matériels ne sont pas mauvais en soi ; et l’économie, non plus, à condition qu’elle s’inscrive en s’y subordonnant dans la perspective supérieure, celle de la vie éternelle, et donc des vertus du don et de la pauvreté intérieure.
Car il ne s’agit pas de construire le royaume de Dieu sur terre par notre activité économique ; mais de préparer en nous et ensemble un Royaume qui n’est pas de ce monde, y compris par notre activité matérielle.
Les richesses matérielles peuvent être le moyen de tentations aux effets désastreux, y compris pour les personnes qui ne se classent pas comme riches. La richesse nous est donnée comme moyen, pas mauvais en soi, mais qui nous fait courir en permanence le risque de nous détourner de ce qui seul a véritablement un sens. Même si elle était répartie de façon égalitaire. Car il ne s’agit pas de construire le royaume de Dieu sur terre par notre activité économique ; mais de préparer en nous et ensemble un Royaume qui n’est pas de ce monde, y compris par notre activité matérielle.
Se convertir par rapport à la richesse
Quelle voie doivent suivre les gens confrontés à la réalité économique, notamment ceux en charge de diriger ou d’entreprendre ? Il ne saurait s’agir pour eux d’une mise entre parenthèses de la vie de foi ni même de la limiter à la solidarité. Ce qu’il faut est une conversion au sens plein du terme, avec remise en cause des valeurs et des styles de vie dominants, donc un choix de vie fondamental. Ce qui implique notamment de faire pour soi-même une critique radicale de la pensée et de la mentalité utilitariste. On ne transfigure la réalité matérielle qu’en se convertissant en profondeur à la Vérité essentielle, explicitée par le message évangélique (les Béatitudes en Mt 5,1-11 ; Lc 6, 20-26).
Le but de notre activité économique ne peut être le lucre, l’appât de l’argent ou l’accumulation. En revanche fonder une activité qui offrira un produit nouveau, donnera des emplois, animera une communauté, et au minimum établira sa famille etc. est positif, si c'est avec l’esprit qui convient. De même progresser dans une carrière, si ce n’est pas pris avec orgueil, mais comme une occasion de faire plus et mieux. Gagner plus peut même avoir un sens, si l’argent est gagné honnêtement, sans esprit d’accumulation, et surtout si sa présence signifie non seulement le succès — au bon sens du terme — dans ce que l’on a entrepris, mais une occasion d’en faire quelque chose d’intelligent ou de socialement utile.
La priorité est au devoir d’état
Dans une perspective chrétienne, il est évidemment nécessaire de prévoir du temps pour aider des actions d’intérêt général ; comme de veiller à ce que l’ensemble de notre temps ait le maximum de sens, dans une perspective de recherche du Bien. Mais la priorité est d’abord d’assumer notre devoir d’état, c’est à dire de faire rayonner, là où nous sommes, donc là où la Providence nous a placés, la Charité, et d’abord dans l’activité professionnelle d’un côté, la vie familiale de l’autre. Avec pour boussole la volonté de Dieu.
Tout dépend alors de l’état de vie dans lequel nous nous trouvons. À l’ouvrier incombe par exemple une qualité et un soin particuliers dans son travail, une vraie solidarité avec ses compagnons, et de vivre ce travail quotidien comme une louange au Seigneur. Au patron, qu’il combine les contraintes du marché, des actionnaires ou des banquiers, avec les besoins matériels et moraux de ses salariés et de ses collaborateurs, y compris leur vie familiale, leur dignité personnelle, la communauté qu’ils forment voire le sens de leur vie. En vivant ces tâches comme une offrande quotidienne à Dieu, et en faisant des produits bons et utiles, vendus correctement.
Faire au mieux selon sa richesse
Il faut faire au mieux avec sa richesse grande ou petite, en fonction des appels du Seigneur. Que dire de celui qui a des moyens élevés, dépassant ce que lui demande une vie normale conforme à ses obligations sociales ? Sa priorité est que ces moyens soient utilisés en vue du bien commun. D’où deux types de questions. D’abord, quel est le niveau de dépenses jugées « normales », qui découle de nos obligations sociales ? La réponse dépend de la société. Pas de la pression ambiante, tantôt excessive (dépenses somptuaires, immorales en regard de la pauvreté), tantôt insuffisante qualitativement (ainsi à notre époque de médiocrité collective). Il s’agit des dépenses, conçues raisonnablement, qui permettent de remplir dans la société le rôle positif qu’elle attend légitimement de celui qui a reçu des moyens importants. Ce qui va depuis le maintien d’un certain style, le modèle culturel, la construction d’édifices, l’artisanat d’art, etc. jusqu’à l’acceptation d’un rôle public rendu possible par ces moyens. Des circuits économiques de production légitimes et bénéfiques en vivent ; et le bien commun suppose que des personnes, ayant un certain effet d’entraînement sur les autres du fait de leur position et de leurs moyens, assument la promotion effective de telle ou telle valeur, ou style de vie.
Orienter l’investissement vers le bien commun
L’investissement, la création de moyens de production de richesse collective futur est en soi bon. Cela dit, il faut l’orienter en fonction de facteurs qualitatifs, notamment éthiques : refuser de financer tout ce qui apparaît immoral, nocif, etc. Et favoriser tout ce qui est positif : l’emploi durable, le progrès moral, humain, technique, esthétique, etc. On ne réfléchit pas assez au poids considérable que peut avoir une action collective en matière d’orientation des investissements, et donc des placements. Autant en effet il faut que certains donnent ce qu’ils ont et se dépouillent comme le jeune homme riche aurait dû, autant il faut que la richesse utile soit développée et gérée au mieux par des gens responsables et bienveillants. D’ailleurs même si quelqu’un se dépouille de tout ce qu’il possède, cette richesse est alors possédée par quelqu’un d’autre, qui a acheté ces biens. Il y a ici légitimement une fonction de détention privée à des fins d’investissement, consciemment et activement gérée dans le sens du bien commun.
Le champ de la générosité et la solidarité
La seconde grande catégorie d’utilisation de la richesse relève de la générosité et de la solidarité : ce qui est donné qui aide des malheureux et démunis, soit directement, soit en finançant des œuvres qui les aident. On pourrait objecter que de nos jours la redistribution étatique y répond. De fait en France, sur 1 euro supplémentaire gagné par un salarié très bien rémunéré, près des trois quarts du coût pour l’entreprise va à l’État et au système social ; on pourrait se demander s’il faut alors encore donner. Posée ainsi, la question confond deux plans distincts. Il est vrai qu’il y a un effet massivement redistributif, sans doute excessif, et d’une efficacité douteuse : le nombre et la marginalisation des exclus tendent en effet plutôt à augmenter. Mais la société fonctionne ainsi. Dès lors, tant que ce système subsiste, on ne saurait se dispenser d’un effort de réflexion sur ce que nous avons à faire avec ce qui nous reste, et cela en fonction de deux considérations. La première est celle de nos responsabilités. Comme notre mérite dans les prélèvements publics est nul, il est nécessaire, si on veut appliquer les préceptes évangéliques, de regarder ce que nous gagnons après toute fiscalité, et de donner une fraction de ce montant. La seconde considération est celle de la relative inefficacité de l’action publique, notamment dans le cas des plus déshérités et des exclus ; d’où l’utilité de financer les œuvres qui leur apportent ce dont ils ont le plus besoin, le soutien humain. S’y ajoute l’utilité évidemment de financer l’Église.
Quelle part de sa richesse donner ?
Quelle fraction donner ? Cela dépend évidemment de chacun, de ses charges, de son rôle dans la vie, de ses talents, de sa vocation. Est-il cependant possible de donner une idée de minimum ? Il me semble que l’Écriture et la tradition nous donnent une référence, qui est la dîme. Donnons au minimum le dixième de ce que nous gagnons vraiment (après impôt). La dîme est dans nos revenus la "part" minimale de Dieu, c'est-à dire ce qui est "pour Dieu", les pauvres et les malades. Bien entendu ceci peut être réduit en cas de dépenses incompressibles résultant d’un devoir d’état, notamment familial.
Cependant il y a des fortunes, donc des gens qui les possèdent, et c’est voulu par Dieu. Bien compris, c’est-à-dire comme une responsabilité collective confiée à quelqu’un, lourde mais passionnante, ce peut être très positif. En fait aucun des progrès qu’a pu effectuer l’humanité dans les sciences ou la culture, n’aurait été possible sans de riches personnes qui les ont assumés. Donc celui qui est dans cette situation doit en assumer les exigences. Ce qui veut dire vivre au milieu des richesses sans en être le prisonnier, accepter de les perdre ou de les donner le cas échéant, et ordonner au mieux ces moyens dans un sens conforme au bien commun. Mais malheur à lui si ses richesses le dominent…