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Dans l’Ancien Testament, la richesse matérielle est à la fois le signe de la bénédiction de Dieu, et une cause de péché lorsqu’elle est mal utilisée. Les premiers croyants de l’Ancien Testament sont le symbole du lien entre richesse matérielle et bénédiction divine. Ce lien découle de l’invitation originelle de la Genèse à la croissance : « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la » (Gn 1, 28). Cet appel est capital pour comprendre l’enseignement biblique sur le développement humain, et partant, la pensée économique de l’Église. La pensée créatrice de Dieu contient bien une invitation à la fécondité et à la multiplication. Abraham, Jacob, Esaü ont été des croyants comblés de richesses. À propos d’Isaac, le livre de la Genèse dira qu’il « fit des semailles dans ce pays, et cette année-là, il moissonna le centuple, le Seigneur le bénit et l’homme s’enrichit » (Gn 26, 12-14).
La condamnation de l’accumulation des richesses
Mais ces richesses sont la bénédiction de l’homme fidèle, qui obéit à Dieu et ne se laisse pas entraîner dans une logique d’accumulation qui le coupe de son Seigneur. Dans le livre du Deutéronome (28, 62-66), la désobéissance à Dieu entraîne toutes sortes de malédictions : l’homme maudit perd tout et « le Seigneur prendra plaisir à [le] perdre et à le détruire ». L’accumulation des richesses est condamnée : elle conduit l’homme à se penser comme l’origine de ses propres richesses et, ainsi, à se couper de Dieu (Dt 17, 17 et 20).
La suite de l’Ancien Testament reprend cette mise en garde. L’argent peut être signe du péché et conduire au péché lorsqu’il est obtenu en faisant le mal. Les comportements de ceux qui agissent uniquement par appât du gain sont fustigés : ce sont les dénonciations du livre de Job, et des prophètes. Les paroles du prophète Amos à l’encontre de ceux qui « diminuent les mesures, augmentent les prix et faussent les balances », rêvent d’« acheter le faible pour un peu d’argent, le malheureux pour une paire de sandales » sont très dures. Par la bouche d’Amos, Dieu condamne sans appel la recherche de richesses qui devient source de violence sociale et empêche de rendre un culte à Dieu (Am 8,4).
Nul ne peut servir deux maîtres
Dans le Nouveau Testament, l’argent est très souvent présent dans les enseignements du Christ. Sur la forme, d’abord : combien de paraboles empruntent-elles leurs exemples au monde des transactions financières ! Salaires, investissements, banques, héritages, dots, dons : autant d’études de cas dans lesquelles le Christ n’hésitait pas à puiser pour illustrer une réalité aussi peu matérielle que le Royaume des Cieux... Il reste que ces paraboles, si elles attestent de la familiarité du Christ avec le quotidien de l’argent, doivent être lues en regard de la maxime radicale des Évangiles : « On ne peut pas servir à la fois Dieu et l’argent » (Mt 6, 24). Cette parole du Christ porte le présupposé que l’argent est mis au même rang que Dieu. Devenu sa propre finalité, l’argent est incompatible avec le service de Dieu. L’argent doit être un moyen, que l’homme ne doit ni revendiquer ni s’approprier, au risque d’adorer une idole.
C’est la folie du riche insensé qui accumule les réserves dans ses greniers, oubliant qu’avant son grain, c’est son âme qui doit être sauvée.
L’argent exerce une véritable fascination sur l’homme, qui l’éloigne de Dieu. « La racine de tous les maux, c'est l'amour de l'argent » (1 Tim 6, 10). Car « là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur », dit l’Évangile de saint Luc (12, 33-34). Le piège de l’argent, c’est la tentation de la thésaurisation égoïste, qui représente un double danger pour la vie du chrétien : elle rend sourd à l’appel au partage ; elle endurcit le cœur et l’âme dans les apparente douceurs du confort matériel. Présente dans l’Ancien Testament, cette mise en garde constitue la pierre de touche des évangiles. C’est la folie du riche insensé qui accumule les réserves dans ses greniers, oubliant qu’avant son grain, c’est son âme qui doit être sauvée (Lc 12,16).
Richesse et royaume des cieux ?
C’est aussi de cette manière que l’on peut comprendre la dure mise en garde du Christ : « Un riche entrera difficilement dans le royaume des Cieux. Il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume des Cieux » (Mt 19, 23). Il n’est pas possible d’interpréter cette phrase comme une sentence condamnant le riche, car cela voudrait dire que Dieu fermerait le Royaume des Cieux à quelqu’un sous le simple prétexte qu’il serait riche. En revanche, cette phrase signifie que l’entrée du Royaume des Cieux sera plus difficile pour un riche. Pourquoi ? Parce qu’il devra rendre compte de ce qu’il aura fait de sa richesse, et que cette richesse aura pu le pousser à l’égoïsme et à l’éloignement de Dieu. Être riche n’est pas incompatible avec le Royaume des Cieux, mais implique de rendre des comptes.
L’amour de « Dame pauvreté »
Face aux pièges de la fascination par l’argent, les Évangiles et le magistère de l’Église semblent valoriser la pauvreté. Dans le Deutéronome (15, 10), l’impératif de charité et de dépouillement de soi se fait entendre. Dieu y commande le partage des richesses avec le pauvre. C’est un appel que l’Église primitive et médiévale prend au sérieux, de deux façons. D’abord, au sens symbolique : la pauvreté est associée au détachement spirituel. Au tournant du Ve siècle, saint Jérôme lance ainsi cette exhortation qui fera date : « Nu, il faut suivre le Christ nu. » Sept siècles plus tard, l’inspiration franciscaine met à l’honneur Dame Pauvreté : la pauvreté est une vertu ascétique, synonyme de désappropriation personnelle. Elle permet même d’être configuré à l’image du Christ. Mais la pauvreté est aussi un fait, souvent non choisi. Face à cela, l’Église exhorte à la charité. La charité chrétienne est exigeante : c’est un appel personnel à soulager le sort des pauvres de Dieu, par des aumônes et des dons. C’est ensuite un appel aux princes chrétiens, à mettre leur richesse et leur autorité au service des plus pauvres : les premiers hôpitaux, les « hôtels-Dieu », sont l’institutionnalisation à grande échelle de la charité et de la redistribution responsable des richesses.
L’argent, bon serviteur mais mauvais maître
L’insistance sur la notion de pauvreté, que le pape François a voulu remettre au centre du message de l’Église dans les circonstances actuelles, ne signifie pas que le salut soit conditionné à la pauvreté volontaire. Les Évangiles ne se présentent pas comme une condamnation sans appel de l’argent, et l’Église n’est pas hostile aux riches. L’argent fait partie des biens matériels dont Dieu donne l’usufruit aux hommes ; il participe de la logique de croissance et de multiplication voulue pour l’homme par Dieu dès la Genèse. Mieux : la parabole des talents est très dure à l’encontre de celui qui ne fait pas fructifier l’argent qu’il a reçu de son maître (Mt 25, 14).
Au Moyen Âge, l’Église enseigne ainsi que ce n’est pas la richesse qui est un piège, mais l’amour de la richesse. Le pendant nécessaire de la richesse, ce doit être la charité et le partage : des siècles de prédication chrétienne n’ont cessé de rappeler aux riches leur devoir de charité envers les plus faibles et, plus généralement, de les exhorter à la tempérance et au discernement, pour un usage responsable de leurs richesses. L’argent place le chrétien dans une situation difficile, qui implique le discernement et la vertu : c’est une situation de responsabilité. Comme le dit le dicton, l’argent est un mauvais maître, mais c’est bon serviteur. Mis au service de Dieu et du prochain, l’argent est bon ; subordonné à un épanouissement personnel, il coupe de Dieu. C’est donc le rapport à l’argent, et non l’argent en lui-même, qui est au cœur de l’enseignement du Christ et de l’Église.