Le projet de loi sur la fin de vie est-il hors de contrôle ? Il semble à certains égards avoir échappé en partie à ses initiateurs. Débattu dans l’hémicycle par les députés à partir de ce lundi 27 mai et pour deux semaines, le texte du gouvernement a été largement remanié par la commission spéciale. Quelque 3.300 amendements ont été déposés pour l'examen en première lecture. Suppression de la notion de pronostic vital engagé, euthanasie des personnes inconscientes, délit d’entrave… La nouvelle mouture a fait sauter de nombreux verrous. Des verrous fondateurs dont l’absence va même jusqu’à inquiéter les personnes à l’origine de ce texte.
Modifier les critères d'éligibilité pour accéder à l'aide à mourir, "c'est rompre l'équilibre de ce projet de loi", a mis en garde la ministre de la Santé Catherine Vautrin, en introduisant les débats à l'Assemblée nationale sur le texte du gouvernement. "Nous souhaitons que l'aide à mourir soit ouverte uniquement pour des personnes majeures, de nationalité française ou à résidence stable et régulière, atteintes d'affections graves et incurables avec pronostic vital engagé à court ou moyen terme, souffrant de douleurs insupportables et réfractaires aux traitements, qui en expriment la demande de manière libre et éclairée", a-t-elle détaillé. Le troisième critère a été modifié en commission par les députés, qui lui ont préféré la notion d'affection "en phase avancée ou terminale". Une position qu’elle avait défendu un peu plus tôt dans la matinée sur BFMTV et RMC : "Le texte a besoin d’un équilibre majeur […] protégeant les patients (et) les médecins qui ont à prendre cette décision".
Dans le texte tel qu’il est aujourd’hui, il y a beaucoup de choses inacceptables.
Si l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) et le rapporteur général Olivier Falorni (groupe MoDem) y voient la possibilité de permettre à "un certain nombre de malades" d’accéder à l’euthanasie et au suicide assisté, le gouvernement y voit au contraire une brèche pouvant "conduire à inclure de nombreuses pathologies non mortelles qui sortent de la philosophie du texte", a mis en garde le Premier ministre Gabriel Attal dans La Tribune Dimanche. "Un désaccord se fait jour entre le gouvernement et le Parlement", a noté de son côté sur RTL la présidente de l'Assemblée, Yaël Braun-Pivet, qui souligne que ce dernier "n'est pas une chambre d'enregistrement".
"Dans le texte tel qu’il est aujourd’hui, il y a beaucoup de choses inacceptables", a jugé l’ancien ministre de la Santé, François Braun, dans les colonnes de La Tribune, dimanche 26 mai. Il estime que le projet n’est "pas mûr". "Par exemple, le médecin pourrait prendre une décision de mort sur dossier, sans examiner le patient. C’est impensable. La volonté de mettre fin à ses jours est individuelle", a-t-il déploré. "Si l’aide à mourir est mise en place, la responsabilité ne doit pas reposer sur le médecin." Et l’ancien ministre de poursuivre : "Depuis quarante ans, j’ai pris en charge des patients dans toutes les circonstances que vous pouvez imaginer (…) Quelles que soient les circonstances, (la mort) est toujours un drame. On ne la rendra pas plus douce avec une loi", a-t-il enfin prévenu.
Inquiétudes et réticences
Un point de vue également partagé par Agnès Firmin Le Bodo, ancienne ministre déléguée à la Santé dans le gouvernement Borne qui a élaboré le projet de loi sur la fin de vie. Redevenue députée (Horizons) en février 2024, cette pharmacienne de profession et présidente de la commission spéciale sur la fin de vie de l’Assemblée juge plusieurs nouvelles dispositions "inacceptables". "On n’est plus du tout dans la même loi (…) Ce n’est pas l’équilibre de la loi qui a été souhaitée", a-t-elle regretté à l’issue des débats en commission. Et d’insister dans un entretien au Quotidien du Médecin : "Je pense en effet qu’il faut revenir au pronostic vital engagé à court ou moyen terme pour maintenir l’équilibre de la loi telle qu’elle a été imaginée."
Cette absence d’équilibre, c’est aussi le constat posé par le député LR Philippe Juvin : "L'engagement du président de faire une loi d'équilibre a volé en éclats", a-t-il dénoncé auprès de l'AFP. "On a ouvert une boîte de Pandore qui est dangereuse" avec le projet de loi sur la fin de vie, s'est inquiétée pour sa part Maud Bregeon, députée Renaissance des Hauts-de-Seine, ce lundi sur CNews. "Là on est dans ce qui est pour moi une dérive, par rapport à la philosophie initiale du texte."
Du côté de la société, nombre d’associations ont également exprimé leur réticence. Des associations de médecins et de soignants comme la Sfap, Société française d’accompagnement et de soins palliatifs. C'est aussi le cas du Synprefh, le syndicat national qui regroupe les pharmaciens des hôpitaux, qui réclame avec force l’octroi d’une clause de conscience pour les pharmaciens hospitaliers : "Il apparaît clairement que le pharmacien hospitalier, en tant que professionnel de santé, se trouve toujours impliqué, moralement et intellectuellement, dans la finalité des soins auxquels il participe." D'autres associations comme les Associations familiales catholiques (AFC) ou Alliance Vita ne sont pas en reste. Cette dernière organisait ce lundi un rassemblement dans plusieurs villes de France pour dénoncer le texte. Du côté des cultes, l’Église a multiplié les prises de parole fortes ces derniers mois. Ce mardi 28 mai, lors de la traditionnelle veillée annuelle pour la vie, les évêques d’Ile-de-France ont choisi de méditer autour de cette parole : "Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort" (2 Co 12, 10). Un thème qui trouve un écho particulier au moment où les députés débatte de la loi sur la fin de vie.