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Aide à mourir : politiques, médecins, société civile… la réticence s’organise

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La reproduction de « L’école d’Athènes », une célèbre fresque commandée par le pape Julles II à Raphaël au début du XVIè siècle, se trouve au coeur de l'hémicycle de l'Assemblée nationale.

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Cécile Séveirac - publié le 11/04/24
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Religieux, politiques, médecins, société civile... De plus en plus de voix s'élèvent pour dénoncer le projet de loi du gouvernement visant à légaliser une "aide active à mourir".

"Euthanasie", "suicide assisté", "aide à mourir", "injection létale"... La triste litanie de la fin de vie se poursuit. Le projet de loi annoncé dès le début de son second quinquennat par Emmanuel Macron vient d'être présenté en Conseil des ministres, ce mercredi 10 avril 2024. Cette étape signe donc le début du marathon parlementaire du texte, examiné en commission spéciale d'ici à mi-mai avant d'être débattu en séance publique dès le 27 mai prochain.

Mais loin de rassembler, l'idée de légaliser le suicide assisté, dissimulée sous l'habile parade sémantique "aide médicale à mourir", est en réalité loin de faire l'unanimité. De toutes parts, les oppositions à cette macabre réforme sociétale se font entendre, Église catholique en tête, mais pas seulement. Orthodoxes, juifs et musulmans, soignants et médecins, mais aussi personnalités publiques, politiques de tous bords... Le projet de loi, loin de rassembler, divise.

Les représentants des cultes

L'Église s'est prononcée à maintes reprises contre la "tromperie" du texte de loi proposé par le gouvernement. "Nous exprimons notre grande inquiétude et nos profondes réserves à l’égard du projet de loi annoncé sur la fin de vie" ont notamment déclaré les évêques dans une déclaration commune intitulée "Ne dévoyons pas la fraternité", le 19 mars 2024.

Les représentants des cultes musulman, protestant et juif ont eux aussi tenu à exprimer leur inquiétude commune. "Une aide à mourir ne peut pas être “une loi de la fraternité”, quelles que soient les conditions et les circonstances", avait ainsi déclaré le recteur de la Grande Mosquée de Paris Chems-eddine Hafiz, pour qui "il y a un véritable déséquilibre entre l’aide à mourir et la culture palliative". De son côté, l'Assemblée des évêques orthodoxes de France (AEOF) a réaffirmé en avril son opposition à au projet de loi : "(...) les réformes dites sociétales, de la constitutionnalisation de l'IVG à l'ambiguïté normative
de l'aide à mourir, érigent en norme supérieure des situations d'exception au détriment des
valeurs de la vie", peut-on ainsi lire dans son communiqué. "En cela, elles provoquent un renversement des valeurs, et une transformation radicale des paradigmes. Il y a là une véritable entreprise de régression humaine qui abolit progressivement la valeur intrinsèque de la vie."

Des responsables politiques de tous horizons

La droite "conservatrice" n'a pas le monopole de l'indignation sur le thème de la fin de vie. Plusieurs députés de tous bords politiques ont déjà exprimé leur opposition quant à l'unicité du projet de loi combinant à la fois soins palliatifs et fin de vie.

Dans une tribune publiée par l'Express fin septembre 2023, des députés réclamaient que soient dissociés ces deux thèmes afin d'éviter que ne se pose un cas de conscience lors du vote. Parmi eux, Blandine Brocard (MoDem), André Chassaigne (PCF), Pierre Dharréville (PCF), Patrick Hetzel (LR), Caroline Janvier (Renaissance), Cécile Untermaier, (Socialiste), Frédéric Valletoux (Horizons) devenu depuis ministre délégué chargé de la Santé et de la Prévention, ou encore Annie Vidal (Renaissance).

Nommez les choses ! Nous parlons de suicide assisté ou d’euthanasie. Il faut le dire !

De nombreux députés de la majorité présidentielle comme de l'opposition de gauche continuent d'alerter sur la rupture sociétale majeure induite par le projet de loi : "La conviction intime qui m’anime, c’est qu’il ne me semble pas opportun de légiférer pour légaliser l’aide active à mourir. J’ai la conviction que notre priorité absolue doit être celle d’assurer à tous ceux qui le veulent et à tous ceux qui le nécessitent, un accès aux soins palliatifs", s'est ainsi publiquement exprimé Charles Rodwell au lendemain de la communication d'Emmanuel Macron sur le projet de loi. Même inquiétude pour le député Renaissance Benoît Mournet qui déplore une " rupture anthropologique, un saut vers l'inconnu. Même si l'accès reste pour l'instant restrictif, les verrous risquent de sauter les uns après les autres", alerte ainsi l'élu dans le Figaro. Certains ont même changé d'avis, comme Maud Gatel, élue MoDem et maire des VIe et XIVe arrondissements :  "En tant qu'élue parisienne très attachée aux droits, j'étais pour", reconnaît-elle ainsi. "Mais ce que j'ai vu et entendu m'a fait changer d'avis. Nous avons coutume de dire que la fin de vie est un sujet personnel, mais en tant que député, il faut parfois laisser de côté ses convictions intimes, religieuses, ses expériences personnelles. La mort n'est pas un sujet individuel mais éminemment collectif."

D'autres députés, à l'image de Louis Marguerite, député Renaissance de Saône-et-Loire, plaident pour la prudence en la matière : "il faut avancer avec beaucoup de prudence sur cette question parce que la mort ne doit pas être banalisée (…) la question du médecin avec la clause de conscience doit figurer au centre du texte", a ainsi déclaré le député à France Info. "Ne faisons pas un service public pour donner la mort" a quant à lui imploré François Bayrou, président du MoDem, dans les colonnes du Figaro en mai 2023, rappelant l'existence la loi Claeys-Leonetti pour "accompagner ce passage vers la mort". À gauche, le député socialiste Dominique Potier s'était exprimé en faveur d'un projet de loi séparé pour les soins palliatifs et la fin de vie et dénoncé le "rouleau compresseur politique et médiatique du progressisme".

"L'État ne doit en aucune manière se donner l'autorisation de tuer quelqu'un" a quant à lui assené Philippe Juvin, député LR des Hauts-de-Seine et chef des urgences de l’hôpital Georges Pompidou à Paris, au lendemain des annonces sur le futur projet de loi pour "une aide à mourir". "Il y a une difficulté qui est loin d'être mince, c'est de mettre dans un même texte le soin et l'aide à mourir, comme si l'aide à mourir était le prolongement presque naturel du soin palliatif", s'est inquiété le 10 avril le député LR de la Manche Philippe Gosselin, tout en interpellant Gabriel Attal en séance ordinaire à l'Assemblée nationale : "Nommez les choses ! Nous parlons de suicide assisté ou d’euthanasie. Il faut le dire !" Côté Rassemblement National, si Marine Le Pen a précisé ne pas donner de consignes de vote, la présidente du parti s'est personnellement montrée réticente à la nouvelle loi : "La solution, c’est de lutter contre la douleur, ce n’est pas de lutter contre la vie."

Ce projet de loi signe l’entrée dans une société moins fraternelle où l’on assume sans ciller que toutes les vies ne se valent pas et qu’il serait décent, à un certain moment, de partir.

Dans une lettre adressée le 11 avril 2024 à la présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, sept députés LR membres de la commission spéciale en charge de l'examen du texte ont souhaité alerter sur plusieurs "angles morts" de la loi : Thibault Bazin, Annie Genevard, Justine Gruet, Patrick Hetzel, Philippe Juvin, Frédérique Meunier et Yannick Neuder. Nombres de patients éligibles à l'aide à mourir, impact économique et financier de la légalisation d'une telle mesure... Les députés déplorent des lacunes qui "participent au grand flou qui entoure ce texte".

"Au-delà de décisions individuelles respectables, la mort administrée représente une rupture anthropologique et un choix de société dont les plus faibles seront les premières victimes", regrette Jean-Marc Sauvé dans un entretien avec le Figaro pour qui "ce texte signe une nouvelle victoire de l’individualisme sur le collectif, la sollicitude et la fraternité." Le haut fonctionnaire s'inquiète de la remise en cause "d'acquis importants", comme la procédure collégiale des lois Leonetti et Claeys-Leonetti à laquelle se substitue une décision individuelle du premier médecin prise après deux avis. "Ce projet de loi ne commande pas à lui seul notre avenir. Mais il signe, parmi d’autres indices, l’entrée dans une société moins fraternelle où l’on assume sans ciller que toutes les vies ne se valent pas et qu’il serait décent, à un certain moment, de partir", déclare-t-il. "Au nom d’un droit nouveau, l’autodétermination de la personne, nous allons vers une société qui va ajouter au désespoir individuel une forme d’impuissance collective."

Des médecins et des soignants

Ils n'ont pas le pouvoir de décision, mais sont les premiers concernés : les médecins, infirmiers et personnels soignants de France continuent massivement de s'opposer au projet de loi par la voix de plusieurs personnalités. "Je suis médecin de soins palliatifs depuis 25 ans, dans une équipe qui a accompagné 13.000 patients, on a eu trois demandes persistantes d'euthanasie. Ces demandes sont beaucoup moins importantes que ce qu'on imagine" fait ainsi une nouvelle fois valoir le médecin en soins palliatifs Claire Fourcade ce mercredi 10 avril.

"Cette loi, c'est l'idée que l'État puisse organiser la mort programmée des gens avec l'aide de la médecine", abondait le même jour le docteur Alexis Burnod, chef de service de soins palliatifs à l’Institut Curie à Paris. Une inquiétude illustrée de nouveau par la la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap) qui a publié le 10 avril une enquête exprimant les réticences des professionnels des soins palliatifs : 83% des infirmiers, bénévoles et médecins interrogés se disent préoccupés, et 63% se décrivent insatisfaits d’une évolution de la loi, confirmant une opposition déjà établie dans de précédents sondages.

Notons aussi les doutes de plusieurs autres médecins : "Quel message envoie-t-on aux personnes les plus vulnérables qui se battent au quotidien pour vivre ?" s'interrogeait en mars dans les colonnes du Monde Elisabeth Hubert, à la tête de la Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile. Des psychiatres ont eux aussi souhaité faire entendre leur voix dans une tribune publiée dans le Nouvel Obs le 25 avril et portée par Faroudja Hocini, psychiatre et psychanalyste aux urgences psychiatriques de l’hôpital Sainte-Anne, ainsi que Bruno Dallaporta, médecin à la Fondation Santé des Etudiants de France. "Les propos décomplexés faisant l’éloge de "l’aide à mourir" (ou suicide assisté) sont dangereux et erronés", alertent ces professionnels. "Ils passent à côté de l’essentiel : une demande de mort est une demande de soins et une demande de vie. Il s’agit de la demande d’une autre vie, une vie où on est soigné, considéré et estimé, une vie où on n’est pas abandonné."

"Ce qui me préoccupe, c'est qu'on présente l'euthanasie et le suicide assisté comme une question individuelle et intime, alors que c'est une question politique et collective", affirme Sara Piazza, psychologue en réanimation et en soins palliatifs à l'hôpital Saint-Denis. "C'est la question de savoir quel modèle de société nous voulons."

La société civile

"L'État ne peut être mêlé en aucune manière à la mort d'une personne", a estimé l'écrivain membre de l'Académie française et avocat François Sureau au micro de France Inter le 11 mars 2024 en rappelant l'engagement de Robert Badinter contre la peine de mort... et son opposition au suicide assisté.

"Une "fraternité" qui donne la mort n’est pas une fraternité. Parler d’"aide à mourir" est un leurre quand on sait que les soins palliatifs déploient une aide précieuse en fin de vie – plus précieuse que tout", tance dans le JDD le philosophe Damien Le Guay, spécialiste des questions éthiques et auteur de Quand l’euthanasie sera là (Salvator, 2022).

"Emmanuel Macron prétend que le texte ne prévoit ni l'euthanasie ni le suicide assisté alors même qu'il instaure les deux" fustigeait quant à lui l'avocat et bénévole en soins palliatifs Erwan Le Morhedec dans Le Figaro. "Ce projet de loi comprend quelque chose qu'aucun pays au monde n'a encore réalisé : demander à un proche de réaliser le geste [en cas d'incapacité à le faire soi-même, ndlr]. Quand j'entends parler de conditions strictes alors qu'un tiers est susceptible d'administrer le produit à la demande du patient, je constate qu'il y a un risque terrible pour tous", souligne encore Erwan Le Morhedec au micro de Sud Radio le 10 avril. "On peut surinterpréter la demande du patient. Je vois des gens réclamer la mort régulièrement en soins palliatifs et qui changent d'avis."

Pour Alexia Soyeux, fondatrice du podcast écologiste "Présage", l'opposition à l'euthanasie doit dépasser le clivage manichéen d'une droite "réac voire intégriste-religieuse" et d'une gauche progressiste "en faveur des réformes sociétales". "Avant de pouvoir mourir dans la dignité, il faut pouvoir vivre une vie digne. Et si on veut donner le choix de la mort, il faut que ce choix ne soit pas biaisé", affirme-t-elle sur son site tout en considérant l'euthanasie comme une option envisageable dans un "monde idéal" où régnerait l'égalité parfaite entre citoyens. "Choisir l’euthanasie ou le suicide assisté, serait-ce donc vraiment une question de choix individuel ? Dans un monde idéal, oui. Dans un monde où on aurait toutes et tous accès aux mêmes conditions de vie bonne, où on serait soigné·es (sic) de la même façon."

"Sans égalité, il n’y a pas de réelle liberté de choix, quel que soit le domaine" abonde de son côté Elisa Rojas, avocate, militante féministe et cofondatrice du Collectif Luttes et handicaps pour l'égalité et l'émancipation (CLHEE). "Nous vivons dans une société inégalitaire, marquée par des systèmes d’oppression qui hiérarchisent les vies, et en cours de fascisation", assène-t-elle. "Une société dans laquelle, d’une part, les vies des personnes malades/handicapées ne valent pas cher".

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