Le très contesté et contestable projet de loi fin de vie arrive en séance plénière de l’Assemblée nationale ce 27 mai, après avoir été lourdement aggravé en commission spéciale. Création d’un délit d'entrave à l'aide à mourir, disparition du critère de pronostic vital, réduction du délai de réflexion, euthanasie réalisée par un proche, fragilisation de la collégialité de la décision, contradictions sur les modalités d’administrations et sur la vérification de la réitération du consentement au moment de l’acte…
Un équilibre rompu
Rien n’est joué, le processus va durer quelques mois, il y aura deux lectures, dans chacune des deux chambres. Mais telle qu’elle se présente aujourd’hui, cette loi fin de vie est la pire du monde, même si en réalité, peu de pays ont déjà légalisé euthanasie ou suicide assisté. C’est comme si la plupart des dérives prévisibles — au regard notamment des leçons que nous donnent justement ces pays étrangers — y étaient déjà intégrées. Démontant, s’il le fallait encore, qu’une loi ouvrant l’euthanasie et le suicide assisté est impossible à tenir.
Pour nombre de commentateurs, "les garde-fous ont sauté". Même l’une des plus importantes "porteuses" de ce texte, la présidente de la commission, Agnès Firmin-Le Bodo, a trouvé plusieurs nouvelles dispositions "inacceptables" et conclut dans l’Opinion que "l’équilibre sur la fin de vie a été rompu"… Elle qui pourtant a élaboré ce projet de loi quand elle était ministre déléguée à la Santé dans le gouvernement Borne. Le plus consternant est de lire que cette pharmacienne de formation s’est dit surprise par l’attitude du rapporteur général, le député Olivier Falorni, qui ne fait pourtant que pousser ce qu’il a toujours promu et recherché.
Pas de clause de conscience pour les pharmaciens
Parmi les dispositions graves que contient ce projet de loi, l’une d’elle reste très peu évoquée, c’est celle de l’exclusion des pharmaciens de toute clause de conscience, un sujet qui me tient à cœur étant donné que c’est la vocation et les études que j’ai embrassées. Comme tous les docteurs en pharmacie, j’ai prononcé un serment au moment de la soutenance de ma thèse. Le Serment de Galien (équivalent du serment d’Hippocrate) mentionne qu’"en aucun cas, je ne consentirai à utiliser mes connaissances et mon état pour corrompre les mœurs et favoriser des actes criminels". La version d’origine de ce Serment des apothicaires, celle que j’ai moi-même lu devant mes pairs, confrères, famille et amis contenait la promesse "de ne donner jamais à boire aucune sorte de poison à personne et ne conseiller jamais à aucun d'en donner, non pas même à ses plus grands ennemis".
Exclure les pharmaciens constitue une injustice grave et une atteinte à leur liberté de conscience.
Pourtant, le texte prévoit que les professionnels de santé qui seront impliqués bénéficieront d’une clause de conscience. Se faisant, le législateur établit et reconnaît que participer à cet acte peut heurter la conscience et pose donc un grave problème moral. Dans ces conditions, il est normal mais surtout légitime de pouvoir y objecter. Le Conseil d’État a d’ailleurs établit que ce projet de loi "introduit une rupture en autorisant, pour la première fois, un acte ayant pour intention de donner la mort" et que "les missions confiées aux professionnels de santé, chargés d’étudier la demande de mourir des personnes ou de les accompagner dans l’administration de la substance létale peuvent heurter leurs convictions personnelles dans des conditions de nature à porter atteinte à leur liberté de conscience". Ainsi, exclure les pharmaciens constitue une injustice grave et une atteinte à leur liberté de conscience, au cœur d’un texte que certains de ses promoteurs n’hésitent pas à qualifier, avec cynisme ! de "nouvelle liberté" voire "d’ultime liberté".
Préparer une substance létale
Les motifs invoqués pour exclure cette profession sont aussi légers que non convaincants. Ils relèvent d’une posture, portée en premier lieu par le Conseil d’État, qui considère que "la réalisation de la préparation magistrale létale et la délivrance de la substance létale, qui interviennent après la prise de décision et avant la mise en œuvre de l’administration de la substance létale, ne concourent pas de manière suffisamment directe à l’aide à mourir pour risquer de porter atteinte à la liberté de conscience des pharmaciens et des personnes qui travaillent auprès d’eux". Suffisamment directe ? Quoi de plus direct que la mise en œuvre et la délivrance du produit létal, absolument central dans le processus ? Cet argument n’est pas recevable. Quand le pharmacien aura entre ses mains un tel produit à préparer et/ou à délivrer, il saura très bien qu’il ne peut servir qu’a une chose : donner la mort à quelqu’un. Comme l’a rappelé le Synprefh, syndicat national qui regroupe les pharmaciens des hôpitaux qui réclame avec force l’octroi d’une clause de conscience pour les pharmaciens hospitaliers, "il apparaît clairement que le pharmacien hospitalier, en tant que professionnel de santé, se trouve toujours impliqué, moralement et intellectuellement, dans la finalité des soins auxquels il participe".
Il y a quelques jours est parue une tribune de pharmaciens et de juristes dans Le Figaro, sous l’impulsion du juriste Nicolas Bauer. Depuis que je l’ai co-signée, j’ai été mise en relation avec de nombreux pharmaciens d’officine. Un constat m’a frappé : aucun d’eux avant cet article n’était au courant de ce qui se trame dans leur dos et qui menace leur profession : être contraint de devenir l’un des maillons essentiels d’un acte dont l’intention est de donner la mort. Avec stupéfaction, nous avons réalisé que la présidente de l’Ordre des pharmaciens, Carine Wolf-Thal, a déclaré lors de son audition en commission spéciale que le pharmacien "ne peut représenter un frein ou un obstacle à la volonté du patient et à la décision du médecin, donc à la bonne exécution de la loi" et "ne saurait disposer d’une clause de conscience". S’exprimant au nom de près de 75.000 personnes qu’elle n’a pas pris la peine de consulter, on a de quoi être sidéré. "La bonne exécution de la loi"… face à un acte de cette nature et de cette portée, personne, jamais, ne devrait être regardée comme un simple exécutant. Un mot qui résonne ici douloureusement.
Le pouvoir du plus fort
À l’heure actuelle, un pharmacien qui prépare ou délivre une substance létale en vue de son ingestion par une personne serait poursuivi pour complicité d'empoisonnement et encourrait trente ans de réclusion criminelle. Le fait que la personne soit consentante ou non à son empoisonnement ne change pas la lourdeur de la peine. Avec ce projet de loi, cet acte actuellement puni jusqu'à trente ans de prison deviendrait une obligation. C’est une aberration.
Partout où on regarde ce projet de loi, on déplore qu’il ne produit que d’immenses dangers et régressions. Comme l’écrit Jeanne-Emmanuelle Hutin, directrice de la recherche éditoriale à Ouest-France, "il est temps de revenir au bon sens : appliquer les lois avant d’en voter de nouvelles. C’est-à-dire développer partout les soins palliatifs comme le recommande le Comité consultatif national d’éthique. Cela restaurerait la confiance entre les générations et éviterait une fuite en avant idéologique aux conséquences immaîtrisables". La seule issue raisonnable est de retirer cette loi. Au terme d’un article passionnant paru dans Actu-Juridique, l’avocat au barreau de Paris Julien Nava avertit : "Cette loi poussée au Parlement, malgré les oppositions, au motif que le Président s’y est engagé, relève de notre point de vue davantage du pouvoir du plus fort que de la recherche du juste."