C'est la première fois, peut-être la dernière, que les grands décors de Notre-Dame sont exposés à hauteur d'homme. Jusqu'au 21 juillet prochain, la galerie des Gobelins, à Paris, devient l'écrin fabuleux de ces chefs-d'œuvre qui regagneront prochainement les nefs de la cathédrale pour y rester. Voilà cinq ans, depuis le sinistre incendie qui embrasa le chœur de Paris, que treize des mays conçus pour Notre-Dame n'avaient pas été exposés. Le travail acharné des restaurateurs a, depuis, retissé, parfois au sens propre, l'histoire de ces œuvres qu'on ne voyait plus et que des siècles de poussière et de suie avaient abimés. Restaurés, mays et tapisseries ont enfin retrouvé leur superbe avant de regagner bientôt les hauteurs des chapelles latérales de Notre-Dame ou les réserves dont certaines œuvres ne seront présentées qu'exceptionnellement.
Les mays, Rome et l'Église en France
Grands tableaux d’autel commandés chaque année entre 1630 et 1707 par la corporation des orfèvres en hommage à la Reine du Ciel, les mays tiennent leur nom de la date de leur remise solennelle à la cathédrale, le 1er mai. Si leur iconographie s'attache à la représentation d'épisodes tirés des Actes des Apôtres, certains tableaux tiennent leur motif de La Légende dorée de Jacques de Voragine, comme le vibrant Crucifiement de saint Pierre de 1643 peint par Sébastien Bourdon, ou encore l'admirable Saint André tressaillant de joie à la vue de son supplice de 1670, peint par Gabriel Blanchard.
Le choix du programme n'est pas anodin, alors qu'en 1630, lorsque le premier may est accroché en la cathédrale, l'Église catholique garde le souvenir douloureux des guerres de religion qui l'ont mise à mal et qui se sont achevées une trentaine d'années plus tôt. Les Actes, en effet, par leur parti pris romain qui met en scène les saints Pierre et Paul, réaffirment la filiation de l'Église en France pour souligner sa romanité face à l'Église réformée.
1630 marque aussi la fin de grands travaux qui ont vu la cathédrale s'habiller de cette pierre calcaire nue et blanche. À la demande d'Anne d'Autriche, le chœur et le jubé qui le sépare de la nef sont entièrement repensés pour mettre en valeur une statue de la Vierge réputée miraculeuse. Le début du XVIIIe siècle voit s'achever la tradition médiévale des grands mays, alors qu'en 1710, Robert de Cotte initie de grands travaux qui repensent l'architecture intérieure de la cathédrale.
Le parcours proposé par la galerie des Gobelins offre également une place de choix à la somptueuse Tenture de la Vie de la Vierge, composée de quatorze tapisseries monumentales magnifiquement conservées, conçues pour orner le chœur de la cathédrale et tissées entre 1640 et 1657. Reléguées dans ses réserves après le réaménagement de Robert de Cotte, la tenture est désormais propriété de la cathédrale de Strasbourg où elle n’est exposée qu’une fois par an, durant l’Avent.
Une histoire tumultueuse
Tandis que la Révolution dépouille Notre-Dame de ses œuvres, de son mobilier, de ses statues et de son trésor, le Concordat rétablit en 1802 le culte en la cathédrale. Quand résonne enfin le Te Deum sous la croisées d'ogives, des tableaux acquis ou commandés pour l'occasion ornent de nouveau la nef : les toiles de Guido Reni, Carrache et Le Guerchin redonnent enfin à Notre-Dame le panache que la Révolution a tenté d'étouffer. L'exposition, ici, les restitue au regard du public après une restauration éblouissante qui a comme ressuscité des œuvres largement abîmées par le temps, l'incendie et les tourments de l'Histoire.
À ceux-ci répondent encore dans le parcours, qu’il clôt, l’éblouissant tapis de 25 mètres de long offert par Charles X en action de grâce pour son sacre ; le plus grand de France et intégralement tissé à la main. Terminé sous Louis-Philippe, il apparaît comme le témoin silencieux des profondes mutations qui façonnent le royaume de France quand les regalia qui ornaient son carton sont remplacées par un soleil d’or et de pierreries stylisées. Conçu pour orner le chœur avant les grands travaux de Robert de Cotte qui en ont modifié la structure, il n’est désormais qu’exceptionnellement exposé depuis que ses dimensions gigantesques ne lui correspondent plus.
Le parcours de l'exposition apparaît en somme comme un hommage vibrant au travail minutieux de tous ceux qui ont œuvré à la restauration de ces grands décors que l’on ne verra probablement jamais plus exposés ainsi, réunis dans un espace qui les rend accessibles au regard. La galerie des Gobelins devient ici l’humble écrin de ces œuvres qui ont fait l’Histoire de l’art sacré en France et qui semblent rappeler, plus éblouissantes que jamais, que le seul vrai trésor qui soit ne fut pas tissé par la main des hommes.
Pratique
Galerie des Gobelins, 42 avenue des Gobelins, 75013 Paris
Horaires d’ouverture : du mardi au dimanche de 11h à 18h (dernière entrée 17h15). Fermé le 1er mai 2024.
Plein tarif : 8 euros ; Tarif réduit : 7 euros