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La flèche de Notre-Dame s’élève donc à nouveau. Et pour la troisième fois. La première, érigée au XIIIe siècle dépassait les 80 mètres. Elle résista vaille que vaille aux intempéries et à l’usure, sonnant les heures et les offices, jusqu’à son démontage décidé par le gouvernement de la Ie République pour y récupérer probablement le plomb et éviter qu’elle ne s’écroule du fait de sa vétusté. On connaît la suite : Viollet-le-Duc dessine une nouvelle flèche, plus haute, plus somptueuse et moins utile puisque les cloches sont désormais installées dans la tour nord. Il l’orne des symboles des évangélistes, de la figure des douze apôtres et d’un coq retrouvé le lendemain de l’incendie par l’architecte en chef alors en charge de Notre-Dame.
L’ascension de la prière
Le père spirituel du monde du patrimoine français n’avait pas craint de prêter ses traits à l’apôtre Thomas, le seul dans la statuaire qui regardait vers le sommet de la flèche tout en tenant en main le compas et l’équerre maçonniques. Chacun demeure libre de ses interprétations. J’ai toujours pensé que cette flèche — dont on nous dit si volontiers qu’elle est l’achèvement de l’accomplissement de la grande œuvre de restauration de Viollet-le-Duc, qui aurait à lui seul donné à l’édifice sens et signification — était aussi une belle petite marque d’orgueil. Comme un lointain souvenir d’une tour de Babel venue se planter au cœur de l’Église.
Certes, les 93 mètres de hauteur n’ont rien à voir avec l’édifice biblique mais n’est-il pas permis d’interroger sa raison d’être ? L’interprétation spirituelle la plus courante de la flèche d’une église est de dire qu’elle symbolise l’ascension de la prière des hommes vers le Très Haut. "Ah si tu déchirais les cieux, si tu descendais..." (Is 63, 19) : la supplique du prophète a retenti dimanche passé dans les églises du monde entier. Faut-il plutôt, comme le suggère la flèche, que ce soient nos prières qui déchirent le ciel pour atteindre le cœur de Dieu ?
Un chantier puissant
Nous savons désormais que les cieux se sont ouverts par l’avènement en notre Histoire du Fils de l’homme. Nous croyons que désormais, dans cette Rencontre qui ne cesse pas, il n’est nul besoin de recourir à quelque prouesse pour que la prière soit entendue par Celui auquel elle est destinée. La question se pose donc : pourquoi représenter quelque chose qui ne dit pas la vérité de notre foi ? L’émotion était si violente au soir de l’incendie qu’il fallait trouver les mots pour calmer les angoisses et consoler les traumatismes. Reconstruire : comme on dit à un enfant dont le jouet préféré est cassé, "on va te le réparer". Promesse qui retient les larmes et panse bien des chagrins, qui permet de retrouver confiance, rien n’est perdu !
Oui, il fallait reconstruire car ce trou béant dans le cœur de la cathédrale du monde, comme on l’a surnommé alors, révélait bien, lui, quelque chose du tragique de notre société. Et il était dans la mission de l’État d’entreprendre ce chantier pharaonique. Il le fit avec ce pari fou de la qualité et de la rapidité, en un mot avec un désir d’excellence qui allait drainer bien des énergies et des compétences. Un chantier puissant : après tout n’est-ce pas en France le propre des projets nationaux ? La flèche s’élèvera, fière et orgueilleuse, dans le ciel de Paris. Elle sera belle, probablement. Ornement royal, portant l’exemple d’un savoir-faire et d’un génie français. Mais elle n’aura pas de sens spirituel car elle ne peut pas en avoir. À moins que le coq... ce coq qui se fichera sur sa pointe, ne peut-il pas représenter celui de l’Évangile, qui chante trois fois pour rappeler à chacun la possibilité de la Miséricorde ?
À l’ombre des tours, l’Hôtel Dieu
Aux temps jadis, lorsqu’on décidait d’ériger une cathédrale, on y ajoutait, sous son ombre, un Hôtel Dieu. On sentait bien, alors, qu’élever un magnifique temple de pierres à la gloire d’un Dieu qui mendie ne pouvait suffire. Pour être juste, on manifestait ainsi que l’Église n’est porteuse de la Parole de vie qu’à condition d’être servante des pauvres et des plus petits. À l’ombre des tours qui résistèrent aux flammes, il y a un Hôtel Dieu parisien sur les murs duquel bien des regards cupides semblent se tourner.
Les sommes gigantesques, nécessaires, ont été investies avec un élan de générosité formidable pour que les blessures de l’incendie soient soignées au plus vite. Ne pourrait-on rêver que les donateurs, et notamment les plus puissants parmi eux, investissent dans l’ancien hôpital des sommes équivalentes pour en faire un lieu où la charité puisse se manifester ? Et que, poussés par l’Esprit, des chrétiens et d’autres, puissent y exprimer ce qui fait la vraie grandeur d’une société, c’est-à-dire le service et la fraternité. Avant que le coq, de là-haut, ne chante une nouvelle fois, promettant à nos lâchetés le pardon et invitant chacun à dépasser ses peurs de se montrer simplement disciples de Jésus. À l’heure où les digues morales s’effondrent les unes après les autres, où nous nous habituons à voir des enfants dormir dehors et des familles ne pas être accueillies, où l’État est à bout de souffle dans sa capacité d’appliquer des lois dont il est pourtant l’auteur, dans un hiver qui s’annonce rude, il est grand temps que des initiatives courageuses et un peu folles, puissent manifester aux ténèbres qui silencieusement nous endorment que la Lumière de l’Amour est, seule, le dernier mot de l’Histoire.