Le pape François a initié en 2021 une démarche synodale qui concerne toute l’Église catholique et qui doit être conclue par un synode des évêques à Rome (reporté en 2024) et une exhortation apostolique du pontife romain. Cet événement est à la fois très classique et très nouveau. Classique, car depuis deux mille ans, la vie de l’Église unit profondément la consultation du Peuple de Dieu et la responsabilité propre des successeurs des apôtres qui doivent discerner dans tout ce qui est exprimé par les fidèles "ce que l’Esprit dit aux Églises" (Ap 2, 7). Ainsi le "principe" communautaire est-il étroitement associé au "principe" hiérarchique, ou mieux : apostolique. Nouveau cependant aussi, parce que les nouvelles technologies de la communication (Internet) permettent pour la première fois, dans un délai raisonnable, de consulter l’ensemble du Peuple de Dieu dans le monde entier. Prenant conscience que le mouvement de mondialisation prend à l’heure actuelle une dimension inédite dans l’histoire par les interactions multiples et rapides entre les peuples, la communauté chrétienne doit intégrer ces données nouvelles, notamment pour accomplir plus et mieux sa mission évangélisatrice.
Dans le peuple de Dieu, la grâce vient d’en haut
Il y a là ce que le grec appelle un kaïros, un moment particulier et favorable pour une plus grande fidélité de l’Église au Christ. Mais il y a aussi, avec cette grâce, le risque que çà et là, des chrétiens et des communautés chrétiennes passent à côté et rendent l’évènement de nul effet chez eux. Le plus grand risque à notre avis, pour l’Église présente dans les pays de culture occidentale, est celui de la sécularisation de la démarche synodale en processus de type démocratique. C’est une inversion redoutable qui conduit immanquablement à l’échec. Alors qu’un cheminement synodal a pour objet de se mettre à l’écoute de l’Esprit du Seigneur pour en recevoir la sagesse et l’énergie réformatrice et missionnaire, on a déjà vu s’exprimer — avec l’accueil très bienveillant des médias — des revendications qui tendent surtout à aligner la vie de l’Église sur les "standards" de la vie séculière, c’est-à-dire sur les principes de la démocratie.
Dans ce système politique tout procède "d’en bas", de la souveraineté qui est dans le peuple, et doit être exprimé par les dirigeants en suivant, dans les questions disputées, la loi de la majorité. Dans le Peuple de Dieu, au contraire, tout vient "d’en haut", c’est-à-dire de la Tête du Corps qui est le Christ. Le Seigneur diffuse sa grâce dans l’ensemble des croyants, fidèles comme ministres, et a donné à ses apôtres et à leurs successeurs, le charisme propre de discerner à partir du témoignage des fidèles ce que l’Esprit dit et veut. Il n’y a pas de place ici pour les règles et procédures de type démocratique, mais il s’agit d’une relation réciproque fidèles-apôtres dans laquelle chacun possède sa grâce propre complémentaire de l’autre.
Une vraie pratique du dialogue
Il convient donc pour entrer dans cette démarche synodale, pour qu’elle s’accomplisse fidèlement et porte ses fruits, que dans la communauté chrétienne chacun ait une claire vision de la place qu’il occupe, réfléchisse à ce que son expérience et sa compétence propres lui permettent d’exprimer en fait d’avis et de suggestion, dans le souci de l’unité avec tous les autres et dans le respect du charisme propre des successeurs des apôtres.
Ce n’est pas de culture démocratique avec ses votes à la majorité que l’on a besoin mais d’une vraie pratique du dialogue au sens proprement théologique : confessant la même foi, entrer dans un échange loyal, attentif à la parole de l’autre, ouvert à l’évolution des opinions, jugé en définitive par la Parole de Dieu.
La relation réciproque des ministères
Il semble important, dans notre contexte actuel, de recevoir cette invitation au chemin synodal comme une indication majeure pour retrouver une dimension très importante de la vie de l’Église : la complémentarité des états de vie, des charismes, des vocations. La distinction fondamentale dans l’Église entre les fidèles baptisés et leurs ministres ordonnés doit être comprise comme devant s’exprimer dans une relation réciproque et pas à sens unique. Nos frères protestants ayant nié le sacerdoce ministériel, la réponse catholique au concile de Trente a été de le réaffirmer clairement. Il s’en est suivi jusqu’au XXe siècle une tendance lourde dans le catholicisme à ne pratiquer la relation clercs-fidèles que dans le sens de l’autorité des clercs sur les fidèles. Grâce à Vatican II, une tradition plus ancienne, plus générale, plus profonde a été retrouvée : les deux sacerdoces, baptismal et ministériel, sont en relation réciproque et pas à sens unique (Constitution Lumen gentium n. 10, 2).
Il y a donc un vrai effort pour que cette relation réciproque clercs-fidèles redevienne le mode habituel dans la vie du Peuple de Dieu.
C’est dire que chacun à sa note propre à jouer en relation avec l’autre. Dans la démarche synodale, cela donne ceci : sur la base des documents issus du Pape et du secrétariat romain du synode, les pasteurs rassemblent les fidèles pour un échange ouvert et font remonter par l’intermédiaire des épiscopats de chaque conférence des évêques qui expriment leur propre discernement vers Rome les synthèses. Il y a donc un vrai effort pour que cette relation réciproque clercs-fidèles redevienne le mode habituel dans la vie du Peuple de Dieu. Plus de cinquante ans après Vatican II, il serait temps de pratiquer cette participation de tous au service de la communion de tous.
Pratique :