C’est une difficulté à surmonter pour tout le monde : si Dieu avait voulu délibérément le mal et la souffrance, on ne pourrait pas croire à sa tendresse. Dire qu’il faut des ombres au tableau, que l’on n’apprécie le bonheur que s’il est accompagné de quelques épreuves, n’est pas sérieux. La souffrance de l’homme est chose trop grave : Dieu qui est toute bonté n’a pas joué avec nous à ce jeu cruel, qui consisterait à nous faire passer par du négatif, même pour un bien futur, si merveilleux soit-il. La réponse de la foi chrétienne est que le mal et la souffrance ne sont pas une donnée de la Création. Ils ne font pas partie du projet premier de Dieu mais c’est un "accident de parcours" dont il avait peut-être pris le risque mais qu’il n’a pas voulu comme tel.
Le risque de la liberté
Dans le projet de Dieu, à partir du moment où la création passe de la nature inanimée à des êtres libres, comme les hommes et les anges, on sort du déterminisme absolu et apparaît alors une forme d’indétermination qui vient de leur liberté. Dieu accepte de faire au sein de son projet une place libre que l’homme est appelé à occuper personnellement. Dieu ne le programme pas jusque dans les derniers détails pour arriver à faire ce qu’il voulait. Mais l’homme n’a pas été seulement fait par Dieu : il a été fait pour Dieu et il ne peut véritablement se réaliser que dans une libre remise de lui-même à son Créateur. Dieu attend de l’homme qu’il le choisisse, mais s'il le refuse, alors qu’il a été fait pour lui, il ouvre la porte au mal. C’est la liberté que Dieu a voulu donner à l'homme quand il l'a créé.
La possibilité du mal
Dieu, si grand soit-il, n’amène pas l’homme bon gré mal gré là où il doit aller, mais il désire que celui-ci le choisisse parce qu’il est son bien, et, s’il le refuse, ce choix a des conséquences pour lui-même et pour les autres. Puisque l’homme a été fait pour Dieu, s’il ne le choisit pas, il va se faire du mal et il en fera aux autres aussi. On dira : si Dieu est notre bonheur, comment pouvons-nous le refuser ?
Mais si c’était une attraction inévitable et contraignante, si nous devions être des marionnettes, cela ne valait pas la peine que Dieu crée l’homme, parce qu’il avait déjà tout ce qu’il fallait sans nous : il a les astres, les planètes, les corps inanimés ; toutes ces choses obéissent parfaitement à ses ordres. Mais ce qu’il attend de la créature libre, c’est une réponse, et une réponse libre : et Dieu ne peut pas se mettre à la place de celui qui répond.
Le péché et la souffrance sont liés
Il reste à comprendre comment le mal moral, ce mal qui est une séparation spirituelle, le fait que l’homme se sépare de Dieu et s’oppose à Dieu, peut entraîner des conséquences jusque dans la constitution physique de l’homme. On pourrait se dire : le péché est une chose et la souffrance en est une autre. Comment se fait-il que les deux soient liées ?
L’homme a été fait pour Dieu mais s’il ne suit pas sa vocation, ou s'il subit les manquements de ses semblables, il va hélas ! souffrir physiquement et moralement. Ce n’est pas un châtiment, c’est une conséquence : quand on s’éloigne de la lumière on est dans l’ombre, quand on quitte l’amour et sa surabondance, on tombe dans la disette.
L’homme forme un tout
L’homme forme un tout, il a été voulu par Dieu pour le choisir, là où les autres créatures sont faites par Dieu mais n’ont pas vocation à partager son existence. Avec les anges, l’homme est le seul être dont la destination est de se réaliser en Dieu et ceci fait une grosse différence. Donc à partir du moment où l’homme manque sa vocation, ce n’est pas seulement son âme qui va être affectée, mais aussi son corps. Tout son être est fait pour répondre à cet appel, et à partir du moment où il se coupe de sa source, il en pâtit. C’est ainsi que l’on peut comprendre le commandement de la Genèse : « Si tu manges du fruit (du péché), tu mourras de mort » ; et pas seulement d’une mort spirituelle ou morale mais d’une mort concrète, physique.
La mort est une réalité de la nature
Là se trouve posée la question du rapport entre la mort animale et la mort de l’homme. En effet, on dit que le péché ne peut pas être à l’origine de la mort, étant donné que l’on voit bien que depuis le début de l’évolution, ce qui fait avancer les choses, c’est le fait qu’il y ait une reproduction sexuée et une mortalité, qui multiplient les combinaisons possibles. La mort n’est donc pas une réalité humaine, elle est d’abord une réalité de la nature.
La vocation de l’homme
Certes l’homme est tiré de la nature, sans doute par l’évolution, ce n’est pas niable. Mais à partir du moment où avec l’homme, la conscience libre est apparue, une autre vocation est commencée au sein de l'Histoire. Le point de départ est certainement une humanité mortelle mais ce que Dieu voulait réaliser dès le début de l’expérience humaine était d’élever l’homme beaucoup plus haut par une intimité avec lui, lui faire connaître une vie qui n’aurait pas de fin, qui se renouvellerait sans cesse. C’est parce que l’homme n’a pas voulu de cela, parce qu’il a voulu se recroqueviller sur lui-même et se replier sur son avoir, sur cette part de bien qu’il avait déjà sans s’ouvrir à plus, c’est pour cela qu’il va éprouver le joug, qu’il va retomber lourdement sous la loi de la pesanteur dont la main de Dieu l’avait extrait.
Tout homme est affecté par le péché, le mal et la souffrance, qui marquent l’humanité. Si ce n’était pas le cas, nous n’aurions pas besoin d’un Sauveur, mais dans et par le Christ nous pouvons tous, jusqu’à la fin et quelles que soient nos fautes, être sauvés. Et un jour nous serons tous délivrés du péché et de la mort.
Le mal et la souffrance depuis l'origine
L’homme n’est pas seulement un individu, il fait partie d’une humanité dont il est solidaire. Le péché des origines concerne tous ceux qui viendront après. L’humanité a été voulue par Dieu comme un corps, comme une famille ; donc ce qui a blessé le premier blesse tous les autres après lui.
Dieu n’a pas permis cela de gaieté de cœur mais parce qu’il y avait une issue derrière, qui est déjà indiquée dans la Genèse quand Dieu dit à Ève que de sa descendance jaillira celui qui écrasera le serpent du talon. Il y aura un jour une solution : la victoire sur le mal, au sein de l’humanité, par un descendant de la femme. Si le mal est un accident de parcours et non une donnée inscrite dans la nature, un autre acte de liberté peut changer le cours des choses. C’est possible, parce que le mal de l’homme n’est pas complet, il n’est pas comme celui des anges qui ont choisi frontalement de se séparer de Dieu.
L’homme n’est pas entier dans ses choix
Derrière la catastrophe première, il y a donc une rédemption possible. L’homme n’est pas entier dans ses choix, il peut échapper à l’engrenage du mal, non de lui-même, mais avec le Christ qui renversera la logique du mal : « De même que par la désobéissance d'un seul homme, tous ont été constitués pécheurs, de même par l'obéissance d'un seul tous seront constitués justes » (Rm 5,19). Si bien qu’à nouveau la communication passera entre Dieu et l’homme, permettant ainsi imperceptiblement de revivifier l’homme de l’intérieur jusqu’à un jour pouvoir lui rendre le bonheur auquel il était promis, avec la Résurrection.
Jésus vient vaincre le mal de l’intérieur
Au lieu d’affronter le mal, comme nous l’aurions fait en tentant de l’éradiquer de l’extérieur, ce qui ne ferait qu’aggraver les choses, parce que l’homme s’enfermerait dans sa situation, Dieu opère une grande manœuvre d’encerclement, laissant le mal continuer sa course folle et préparant par derrière ce qui sera sa vraie réponse, c’est-à-dire, de glisser dans l’aventure humaine son Fils.
Lui, de l’intérieur va faire exactement le contraire du péché d’Adam, va transformer la situation devenue difficile de l’homme exposé à la mort et à la souffrance en gardant contact avec Dieu et ses frères, et en faisant en sorte que le piège dans lequel l’homme était entré soit complètement retourné de l’intérieur. L’homme affronté au mal se révolte ou se résigne sans amour, le Christ, lui, dans l’horreur la plus extrême continue d’aimer et de se donner. La résurrection est la réponse du Père, qui restaure l’humanité du Christ, prémices de la nôtre, corps et âme.