Par la parole qu’elle adresse à Bernadette le 24 février 1858 : "Priez Dieu pour la conversion des pécheurs", la Vierge nous fait toucher du doigt le drame du péché. Celui-ci ne consiste pas seulement en des actions répréhensibles et condamnables. Le péché représente bien plus que cela. Il est un état, un état d'esprit, une "condition humaine" à lui tout seul. En effet, le péché ne se réduit pas à un acte ponctuel mais s'étend à toutes ses conséquences. Et ses conséquences sont : coupure de l'amitié avec Dieu, enfermement dans une condition privée de la joie divine, obscurcissement de la conscience et au final impossibilité de retrouver le chemin de retour à la maison divine paternelle. En fait, le péché est une impuissance fondamentale. Aussi la personne qui traîne ce boulet a-t-elle besoin d'un secours afin de s'extirper de cette nasse spirituelle. Cependant, comme nous sommes des hommes libres, c'est à l'homme de se tirer, par un mouvement de conversion, de ce marécage dans lequel il s'est embourbé librement. D'un autre côté, le péché l'ayant rendu incapable de sortir tout seul de cette mauvaise passe, Marie nous demande d’aider le pécheur en priant Dieu pour sa conversion.
L’impuissance du pécheur à sortir de sa prison
Examinons succinctement l'impuissance dans laquelle nous plonge le péché. S'étant coupé de Dieu, le pécheur tente de se justifier, tant et si bien qu'il finit par nommer mal ce qui est bien et vice versa. Sa conscience s'enténèbre. Cet obscurcissement, s'il se prolonge, finit par enfermer le pécheur dans cet état de rupture avec Dieu — état en lequel il se complaît. Après tout, son péché ne lui paraît pas une si mauvaise chose ! Ses apparences sont si jolies ! Ne parle-t-on pas de "péché mignon" ? Si bien qu'à force de mariner dedans, l'homme perd de vue non seulement son Créateur mais surtout la conscience de Son existence. Le péché a si bien resserré ses mâchoires sur lui que le pécheur est désormais détenu dans une prison dont il n'a même plus conscience ! Dans ces conditions, comment parviendrait-il à se convertir, à vouloir changer de vie et se tourner de nouveau vers Celui qui seul peut le sauver ?
La Vierge désire notre participation à la vie divine
Cette triple impuissance (obscurcissement de la conscience, enfermement et incapacité à concevoir ou désirer l'existence d'une issue) explique la demande que la Vierge adresse à Bernadette de prier Dieu pour la conversion des pécheurs. Car seul Dieu peut entrer dans le sanctuaire de notre conscience et mouvoir notre volonté, seul Il est capable de nous illuminer afin que nous constations l'écart entre Son Amour et la piètre existence que nous menons ! La Vierge, mère des hommes, voit plus loin que notre simple "bien-être". C'est la raison pour laquelle elle assigne à Bernadette, et à nous tous à travers la bergère de Lourdes, la tâche de prier pour la conversion des pécheurs, et pas seulement pour leur bien-être. Car de cette conversion dépend le rétablissement de leur amitié avec Dieu, et finalement leur participation à la vie éternelle.
Certes, de nos jours, pareille demande peut paraître une intrusion intempestive dans l'existence des gens, voire l'effet d'un prosélytisme incompatible avec la sacro-sainte "laïcité". Toutefois, les chrétiens ne doivent pas se laisser intimider par les gros yeux de cette bien-pensance. L'enjeu de la conversion est une question trop importante pour être laissée à l'appréciation du conformisme idéologique : c'est une question de vie et de mort. Il s'agit d'entrer dans le Royaume par la "porte étroite" (Lc 13, 24) sans emprunter le large chemin de la passivité somnambulique tant vantée par nos Babylone modernes (Mt 7, 13). L'importance de la conversion des pécheurs explique la désapprobation du monde à l’égard des mises en garde à propos du danger du péché — ce monde qui désire rester dans sa prison, confortablement aménagée par les soins du Malin déguisé en designer de lumière.
La liberté de l’amour
À rebours, la Vierge nous appelle à la liberté de l'amour. Et comme seule la liberté peut dire "oui" à l'amour (car un amour contraint est un contresens, une impossibilité), la Vierge désire notre conversion — conversion pour laquelle nous devons nous faire aider par les prières de nos frères et sœurs. Telle est la finalité de la demande adressée par Marie à Bernadette, à Lourdes, le 24 févier 1858.