Jacques Fesch sera-t-il réhabilité par la Justice ? La Cour de cassation s’est penchée sur la question au cours d’une audience ce mercredi 6 juin 2024. Gérard Fesch, le fils du jeune homme condamné à mort et guillotiné pour avoir tué un policier, se bat depuis des années pour restaurer la mémoire de son père, converti au catholicisme en prison. "Au-delà de la face sombre, je veux aussi mettre en avant la face lumineuse de Jacques Fesch, qui est un modèle de rédemption", explique son fils auprès d’Aleteia.
En 2020, le Conseil constitutionnel a ouvert la voie à une nouvelle procédure de réhabilitation, gravée dans la loi un an plus tard. Gérard Fesch s’est empressé de former une demande auprès de la Cour de cassation, en 2021. “Cette procédure n’est pas une révision”, précise l’homme de 69 ans. Il ne s’agit pas de revenir sur la culpabilité de Jacques Fesch, qui avait tué le policier Jean-Baptiste Verge au cours d'un braquage, en 1954. Mais cette réhabilitation permettrait d’effacer sa condamnation à la peine capitale, et "au rétablissement de son honneur à raison des gages d’amendement qu’[il] a pu fournir", selon les termes du Conseil constitutionnel.
La conversion comme "gage d'amendement" ?
Il reste un point juridique de taille à résoudre pour espérer voir la demande aboutir. Celui de savoir si la conversion de Jacques Fesch constitue "un gage d’amendement" qui justifierait de rétablir son honneur. L’avocat général n’y est pas favorable, au nom du principe de laïcité. Il estime dans son avis rendu à la Cour que la conversion de Jacques Fesch "relève avant tout de la sphère de l’intime", et que le rayonnement spirituel suscité par le jeune condamné s’est fait "indépendamment de sa volonté". Car Jacques Fesch, profondément retourné par sa rencontre avec le Christ, a fait preuve d’un comportement exemplaire qui a marqué son entourage en prison. Gérard Fesch s’appuie ainsi sur plusieurs témoignages, dont celui du voisin de cellule de son père, un ancien truand repenti après avoir été bouleversé par cette improbable rencontre. À tel point que le chef de l’État René Coty, qui a refusé de gracier Jacques Fesch sous la pression des syndicats de police, écrit à l’avocat du condamné : "Dites à Jacques Fesch que je lui serre la main pour ce qu’il est devenu. Demandez-lui de donner sa tête pour la paix de l’État." Celui dont le procès en béatification est en cours a aussi produit des écrits lumineux en détention. Son journal, "Dans 5 heures, je verrai Jésus", retrace les deux derniers mois précédant son exécution. "Ses écrits ont eu un impact réel sur le monde religieux, mais aussi le monde laïc, note Gérard Fesch. Ce matin encore, j’ai reçu deux témoignages en provenance de Buenos Aires et d’Oxford."
Un symbole contre la peine de mort
Un autre critère nécessaire pour que la demande de Gérard Fesch aboutisse est d’établir que les victimes du crime commis par le condamné ont bien été indemnisées. Jusque-là, l’avocat général soutenait le contraire. Mais, au cours de l’audience du 6 juin, s’est produit l'événement le plus émouvant depuis le début des démarches entamées par Gérard Fesch pour rétablir l’honneur de son père. "La fille du gardien de la paix décédé, une ancienne avocate, a accepté d’attester par écrit que les parties civiles ont bien été indemnisées", confie-t-il. "Et elle n’a pas manifesté de réprobation à l’égard de cette procédure, alors qu’elle aurait très bien pu le faire !"
La reconnaissance de la réhabilitation de Jacques Fesch aurait surtout une portée symbolique. Pour l’homme, mais pas seulement. "Cette réhabilitation peut être importante, pour la continuité de l’oeuvre de Robert Badinter sur l'abolition de la peine de mort ; c'est peut-être une manière de la rendre encore plus universelle", estime Gérard Fesch. "Jacques Fesch est un modèle de rédemption : on ne peut pas revenir sur ce qu’il a fait, mais l’homme qui a été exécuté n’avait rien à voir avec celui qu’il était à son arrestation." Réhabiliter Jacques Fesch serait une nouvelle reconnaissance dans le droit français que tout homme a droit à une seconde chance. Celle à laquelle Jacques Fesch n’a pas eu droit, victime d’une sentence disproportionnée qu’il avait pourtant acceptée. "Puisse mon sang qui va couler être accepté par Dieu comme un sacrifice entier", écrivait-il quelques jours avant sa mort.
Il faudra attendre le 1er octobre prochain pour connaître la décision de la Cour de cassation dans cette affaire. Une date très particulière, puisque c’est ce jour, 67 ans plus tôt, que Jacques Fesch est entré au Ciel en livrant sa vie sur l'échafaud.