Depuis le 22 avril et jusqu’à ce vendredi, professionnels de santé, élus, représentants des cultes, francs-maçons, philosophes et présidents d’associations sont reçus par les membres de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi sur la fin de vie. Une étape souvent marginalisée mais nécessaire avant l’examen du texte en séance le 27 mai à l’Assemblée. Non pas que ces auditions puissent changer radicalement le texte, le gouvernement ayant déjà annoncé sa volonté de légaliser "l’aide à mourir", c’est-à-dire l’euthanasie et le suicide assisté. Mais elles permettent de mieux mesurer les enjeux et les conséquences qu’une telle évolution va avoir sur l’ensemble de la société française.
"Sans avoir de données suffisantes sur les besoins réelles, ce projet de loi nous fait basculer vers un modèle qui rompt une digue essentielle, un principe essentiel de notre société voire de notre civilisation : celui de l’interdit de tuer", a lancé en préambule le le 24 avril matin Mgr Vincent Jordy, archevêque de Tours et vice-président de la Conférence des évêques de France (CEF). "Cette loi introduit donc un déséquilibre." Il a également soulevé le mésusage fait de la notion de fraternité. "Nous sommes également surpris de l’usage qui est proposé de la notion de fraternité, aujourd’hui principe constitutionnel qui assure en principe la solidarité dans les droits économiques et sociaux et qui justement devrait assurer une égalité d’accès aux soins palliatifs", détaille-t-il.
Donner la mort n’est pas un soin et ne le sera jamais.
L’archevêque de Rennes, Mgr Pierre d’Ornellas, a quant à lui insisté sur le manque de clarté du texte qui n’emploie pas une seule fois les termes de suicide assisté et euthanasie, privilégiant systématiquement "l’aide à mourir". "On voudrait tous parler avec clarté comme le font les autres pays en nommant les actes tels qu’ils sont afin de nourrir le débat démocratique dans la vérité mais on semble vouloir cacher l’acte d’assistance au suicide et d’euthanasie sous le vocable aide à mourir sous le prétexte que c’est simple et humain. Mais ce qui est humain c’est la vérité." Et le spécialiste des questions de bioéthique de reprendre : "Donner la mort n’est pas un soin et ne le sera jamais mais on l’englobe derrière la formule d’aide à mourir qui désigne déjà ce que font les bénévoles et les soignants lorsqu’ils accompagnent les personnes vers la mort de manière aussi apaisée que possible. L’acte létal brise l’accompagnement et stoppe le soin." Toujours dans l’usage des termes, l’archevêque de Rennes en pointe deux essentielles à ses yeux dans les conditions d’accès à "l’aide à mourir" : les "souffrances insupportables" et l’ «altération grave du discernement". "Comment objectiver les termes de "graves" et de "souffrances insupportables" ?", s’interroge-t-il, y voyant un flou qui pourrait élargir par la suite l’accès à cette pratique.
Soignants et médecins ont également été auditionnés. Parmi eux Claire Fourcade, médecin en soins palliatifs, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs. "L’État a-t-il le droit et le pouvoir de dire : parce que vous voulez mourir, je vais vous tuer ?", s’est-elle interrogée en préambule lors de son audition le 24 avril. "N’ayons pas peur des mots et parlons sans ambiguïté, c’est bien cette question qui nous réunit aujourd’hui." Elle a partagé avec les membres de la commission ce qu’est son travail, à savoir les soins palliatifs. "Les soins palliatifs ne sont pas un cahier de recettes de Bonne Mort. Ils sont une médecine qui place la relation humaine au cœur du soin. Un éloge du regard, de l’altérité, de la parole et du silence, des mains, de la lenteur et de l’équipe", a-t-elle rappelé. "Leurs pionniers sont venus dire le scandale de laisser mourir dans la douleur, la solitude ou la peur en même temps que le scandale de faire mourir. C’est grâce à eux que chaque année en France plus de 150.000 personnes et leurs proches sont accompagnées, soulagées et écoutées." Et la médecin d’insister : "Les soins palliatifs sont un progrès inouï de ce début du troisième millénaire : vivre dignement jusqu’à la mort. Ils ne sont pas une évolution du soin. Ils sont une Révolution." Claire Fourcade a également partagé son expérience de 25 ans de soins palliatifs au cours desquels elle a accompagné 13.000 personnes, soit plus de 700 chaque année. Et parmi tous ces patients, "seulement quatre demandeurs d’euthanasie ont persisté", indique-t-elle. "Cette loi, en l’état, est celle de la toute-puissance médicale. L’état doit-il donner au médecin le pouvoir de dire "parce que vous voulez mourir, je vais vous tuer"" ?
Du côté des associations, Tugdual Derville, porte-parole d’Alliance VITA et Olivier Trédan, cancérologue et conseiller médical de l’association, ont montré que la légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie relèverait d’une "fraternité à l’envers". Critiquant également l’euphémisation qu’est l’expression "aide à mourir", il a alerté sur le caractère flou et subjectif de deux critères d’éligibilité majeurs : le pronostic vital engagé à moyen terme et la souffrance psychologique insupportable, l’un et l’autre invérifiables et "augurant une boite de Pandore". S’agissant de ces critères, le Dr Olivier Trédan a souligné l’ambivalence des patients confrontés à de lourds traitements "dont l’expression de la volonté peut évoluer au cours d’une même journée ou d’un jour à l’autre". Cela nécessite d’accompagner chaque patient dans ses besoins, sans jamais céder à la fatalité ou à la désespérance. Tugdual Derville a également souligné que la légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie consacrerait l’abandon des plus fragiles et le renoncement à la solidarité. "Nous ne sommes pas des îles d’auto-détermination. La culture nous influence et cette dévalorisation sous-jacente, ce mépris des faibles que nous portons parfois sur ceux qui sont devenus fragiles, risque de les pousser à l’auto-exclusion", a-t-il affirmé. "La fraternité dont se réclament les promoteurs de cette loi est une fraternité à l’envers."
Tuer, même un peu, c'est déjà trop.
Président de l’association "Jusqu’à la mort accompagner la vie", Olivier de Margerie a alerté quant à lui sur les risques de dérives, les pressions sociales, économiques, familiales, liées à l'intervention des proches : "Maman, je pourrai t'aider à prendre le produit, et d'ailleurs je pourrai le faire pour toi", a-t-il illustré. "Des personnes "chancelantes", inconstantes dans leur désir de vivre ou de mourir, vont "tomber" avec le projet de loi", a-t-il repris. "Faut-il opérer une bascule sociétale majeure pour solutionner le cas d'un assez faible nombre de personnes ?". Ce projet de loi opère selon lui "une rupture sociétale en autorisant une réponse sociale au désir de mourir avant que la maladie ne nous tue". Il créera un "droit moral" qui fera que des personnes qui sont au-delà des critères considéreront que la loi est aussi pour eux. Un point de vue que partage le président de la fondation Jérôme Lejeune, Jean-Marie Le Méné, également auditionné. "Le projet de loi n’est pas un projet idéal mais un texte de résignation", a-t-il déclaré. Au regard de son expérience des lois bioéthiques, il affirme que l’encadrement ne tiendra pas. Le principe de l'interdit disparaît : "tuer, même un peu, c'est déjà trop".
Sociologues et philosophes ont également eu voix au chapitre. "Avec les verrous viennent les limites que l'on donne à notre existence", a rappelé le sociologue Philippe Batail. Et le réflexe humain, selon lui, est de repousser ces limites. "À quel moment peut-on dire qu'une vie est invivable ?", s’est interrogé le philosophe Damien le Guay. Quant à la compassion de donner la mort par amour il l’assure : "La mort en elle-même est une culpabilité, qu'on y ait participé ou pas."