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Ouvrir Fille de samouraï d’Etsu Sugimoto, c’est un ouvrage qui ne se lâche plus tant il sort des sentiers battus. À la fois par son sujet, la confrontation à la culture américaine d’une fille de samouraï élevée dans le Japon en pleine mutation de la fin du XIXe, et par la finesse d’analyse de son auteur. Etsu Sugimoto virevolte avec aisance sur le fil ténu où coexistent harmonieusement tradition et modernité, émancipation de la femme et consentement à sa nature profonde.
Etsu naît en 1874 dans un village de la côte Nord-Ouest du Japon, au sein d’une famille de samouraïs, ces membres de la classe guerrière qui ont dirigé l’archipel féodal durant près de 700 ans. Cette famille aimante lui dispense l’éducation traditionnelle réservée aux femmes de son rang : c’est l’apprentissage des tâches domestiques, la substantifique moëlle de la culture japonaise nourries de traditions, de littérature et de contes venus du fond des âges. La discipline corporelle aussi dont de petites mortifications et le dédain pour le confort matériel . Il y a aussi le code d’honneur, comme la fidélité à la parole donnée, le respect des maîtres et bien sûr la loyauté.
Élevée dans le bouddhisme, elle a goûté à la solennité des célébrations religieuses.
Docile, mais habitée par une soif d’apprendre et de comprendre, Etsu observe avec intérêt et sans manichéisme les mutations de la société japonaise qui depuis 1868 tourne le dos au féodalisme, incarné par le pouvoir des shoguns, les chefs militaires, et s’engage sur la voie de l’industrialisation, la fameuse ère Meiji, jusqu’en 1912.
L’ouverture du Japon au monde occidental réjouit autant qu’elle désole cette fille de samouraï : si elle prend conscience du caractère sclérosant de certaines traditions, elle déplore la frénésie pour la nouveauté aux dépens de certaines coutumes immémoriales ainsi que la quête effrénée pour l’enrichissement et le confort matériel au détriment du beau et de l’esprit chevaleresque d’antan.
Destinée à devenir prêtresse, elle voit son destin basculer quand sa famille prend finalement la décision de la marier à un ami de son frère, Matsuo, entrepreneur japonais exilé aux Etats-Unis.
La joie contagieuse des chrétiens
Etsu n’a pas 13 ans et se soumet sans broncher à cette décision. Elle en ignore encore toutes les conséquences. Car, pour la préparer à sa nouvelle vie, ses parents l’envoient pour quatre ans à Tokyo dans une école de missions (sic) tenue par des chrétiens. Il s’agit d’une école méthodiste, ce courant du protestantisme issu d'un schisme d'avec l'Église anglicane.
La jeune femme a une âme religieuse. Élevée dans le bouddhisme, elle a goûté à la solennité des célébrations religieuses dans les temples avec force encens, battements de gongs, chœurs solennels de prêtres aux robes somptueuses… et est très sensible au respect des ancêtres si prégnant dans les cultes de son pays natal. L’esprit toujours en éveil, elle découvre avec intérêt dans sa nouvelle école les "belles et solennelles prières dans la chapelle le matin" et l’Ancien Testament, où elle entrevoit nombre de concordances avec la culture japonaise traditionnelle. Mais ce qui la marque avant tout, c’est le rayonnement des femmes chrétiennes, leur liberté d’être, leur spontanéité. "Si mon enfance avait été heureuse, elle n'avait cependant jamais connu ce qu'est la joie. (...) car, dans toute pensée bouddhiste, on retrouve une tristesse désespérée."
Doucement, sans tambour ni trompettes, elle s’ouvre à l’amour de Jésus-Christ : "Je passai d’une foi faite de philosophie, de mysticisme et de résignation à la foi des hauts idéals, de la liberté, de la joie et de l’espérance." Assumant la réticence de certains membres de sa famille, Etsu assure s’être considérablement enrichie par cette conversion et avoir trouvé "un bien-être indicible et une parfaite paix du cœur".
Un féminisme sain et tempéré
Conversion qui n’est pas étrangère à sa remise en cause du statut de la femme dans son pays. Une fois prête à rejoindre son futur époux Outre-Atlantique, elle s’y marie chrétiennement et élève dans la foi ses deux filles. La culture américaine et la foi chrétienne lui ouvrent les yeux sur les conditionnements dont sont victimes ses consœurs au Japon, où la femme est considérée comme inférieure à l’homme et priée de se soumettre sans rechigner aux évènements. Un fatalisme qu’Etsu juge inhérent au bouddhisme.
Ne nous y méprenons pas : le féminisme dont cette dernière serait le porte-étendard -si l’on en croit les critiques récentes sur son livre- n’a rien à voir avec l’idéologie égalitariste et revancharde qui a le vent en poupe chez nous. Il fait plutôt songer à l’analyse nuancée d’une Jane Austen, épinglant les inégalités hommes-femmes de son temps sans pour autant nier les spécificités propres au genre féminin et la complémentarité entre les sexes.
Cette vision équilibrée imprègne aussi la spiritualité de l’écrivaine japonaise qui, tout en reconnaissant que sa religion natale "n’apporte au chercheur ni à l’affligé le réconfort de joie et d’espérance que donne la foi dans le dieu de Nazareth" n’en conserva pas moins une "parfaite révérence vis-à-vis de ses pères et « un grand respect pour leur foi."
Pratique