Le François qui célèbre Noël cet hiver-là à Greccio, n’est plus le jeune converti plein de fougue et de zèle. Tout au contraire ; la vie l’a buriné, peut-être même un peu abîmé. Quelques années auparavant, il a pris la mer avec les croisés pour se rendre en Terre sainte, le rêve de sa jeunesse. À Damiette, en rencontrant le sultan Al-Kâmil, il a brisé les murs de l’indifférence et de la haine ; mais peu de temps après, l’intransigeance du légat pontifical a ruiné tous ses efforts. Plus récemment, il a obtenu l’approbation de sa règle par le pape ; c’est une victoire pour lui, mais une victoire au goût amer : la liberté et la spontanéité des débuts des frères mineurs sont désormais prises dans les mailles rigides du droit et de la réglementation. Bref, ce Noël 1223 s’annonçait pour François comme un Noël assez terne, un Noël en demi-teinte en somme. Le poison de l’aigreur n’était pas loin...
Fuir l’éclat trompeur
Les conditions ne sont pas favorables. Qu’importe ! Par l’une de ces toquades dont il a le secret, François décide de sortir de la torpeur. Pour cela, il aurait pu choisir bien des moyens. Il aurait pu aller "en lieu sûr", chez lui, à Assise ; il aurait pu aller à Rome maintenant que son ordre avait une place pleinement reconnue dans l’Église ; il aurait pu jouer la démonstration de force… Bref, il aurait pu suivre la logique du monde, réaliser un coup d’éclat ou un coup de maître, vivre Noël sous une lumière trop clinquante.
En cette nuit sainte, dans ce petit coin perdu d’Italie, quelque chose de l’écorce du vieux monde craque.
Pour nous, 800 ans après, la logique du monde prend une coloration bien différente, mais au fond, la tentation reste la même : faire de Noël une simple parenthèse où, pour quelque temps, mais quelque temps seulement, nous oublions les déceptions et désillusions de cette vie.
Retrouver la lumière de Noël
Finalement, François décide de célébrer la Nativité dans la vallée de Rieti, à Greccio. Une modeste église, quelques maisons en grappe, à flanc de montagne, une population assez pauvre et, un peu en contrebas du village, une grotte faisant office d’ermitage pour quelques frères. Tout ici pourrait paraître insignifiant. Le soir venu, les habitants des environs convergent vers la grotte apprêtée pour l’occasion. François fait venir un bœuf, un âne, un peu de paille et une mangeoire. Il prêche, ses paroles touchent les cœurs. Ce nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire, cet enfant à accueillir, à langer, à nourrir, à élever, à protéger, cet enfant dont le cri perce le silence de la nuit, cet enfant promesse de vie comme l’est tout enfant, cet enfant, c’est Dieu parmi nous ! Tous s’émerveillent.
En cette nuit sainte, dans ce petit coin perdu d’Italie, quelque chose de l’écorce du vieux monde craque. Les ténèbres ne sont pas dissipées, mais une lumière nouvelle luit dans les cœurs, la lumière de la paix, de la joie et de la fraternité. Des vies si grises en apparence se mettent à chatoyer de reflets et de couleurs insoupçonnés. Cette lumière, parfois vacillante, qui a brillé à Greccio il y a 800 ans, comme elle avait brillé à Bethléem et comme elle brillera chez nous en 2023, est le véritable trésor de Noël ! À nous de l’accueillir pour la partager.
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