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La police du vêtement identitaire

Abayas, voile, France, Islam

Deux jeunes femmes en abaya.

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Louis Daufresne - publié le 01/09/23
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L’interdiction de l’abaya est la mesure la plus médiatisée des réformes annoncées de l’Éducation nationale. Dans un système politique qui vante son multiculturalisme, s’interroge notre chroniqueur Louis Daufresne, cette police du vêtement identitaire est-elle à la hauteur des enjeux ?

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C’est un rituel de l’Éducation nationale. À chaque rentrée, il fait sa sortie : Gabriel Attal est à la Macronie ce qu’Agnan est au Petit Nicolas, un profil de premier de la classe un tantinet agaçant. Trêve de puérilités ; voyons ce que le ministre a dit. Qu’importe que ses annonces ne fassent pas bouger le mammouth d’un poil — et Dieu sait s’il en a. Celles-ci recadrent son prédécesseur, éjecté pour dilettantisme. 

Renforcer les savoirs fondamentaux

Commençons par le début : le calendrier du bac va changer. La tenue en mars des épreuves de spécialités avait rendu inutile le troisième trimestre. Dès 2024, les élèves plancheront en juin, histoire d’endiguer l’absentéisme et la démotivation. Pour l'épreuve du grand oral, les cinq minutes dédiées au projet d'orientation des élèves seront supprimées. Ils passeront plus de temps sur "les savoirs". Dont acte. Pour l’oral du bac français, le nombre de textes sera ramené de 20 à 16 afin de "mieux les approfondir et mieux les préparer". Pourquoi pas. Les maths redeviennent obligatoires pour tous les lycéens de la filière générale en première. Ceux qui ne les ont pas pris en spécialité en auront une heure et demie en plus par semaine. On se demande comment les têtes pensantes du ministère avaient pu rendre les maths optionnelles. Alors qu’il s’agit de la seule matière sélective ! Un élève médiocre, s’il est bon en maths, s’en sortira toujours. 

Ces annonces, soyons honnêtes, tiennent du rafistolage. En termes de vision et d’ambition, le mammouth accouche toujours d’une souris. Dans un pays normalement développé, aucun des sujets abordés ci-dessus ne devrait se poser.

L’idée du ministre est de renforcer les savoirs fondamentaux dès le primaire. En CP, chaque jour, "deux heures seront consacrées à l'apprentissage et la pratique de la lecture". En CM2, les élèves devront produire au moins un texte écrit chaque semaine. En CM1, ceux qui ont des difficultés en lecture bénéficieront d'une pratique quotidienne renforcée, avec des textes longs. L’air de rien, on dirait que Gabriel Attal souscrit à la proposition de François-Xavier Bellamy de consacrer "la moitié du temps scolaire à la lecture, à l'écriture et au calcul". De nouvelles évaluations nationales seront organisées en français et en mathématiques dès cette année pour les élèves de CM1 et de quatrième.

Du rafistolage

Au collège, une heure par semaine en plus en français ou en maths sera mise en place en sixième et chaque élève en profitera. L'heure de technologie passe à la trappe. Dès la sixième également, le dispositif "Devoirs faits" (qui permet de faire ses devoirs au collège) sera rendu obligatoire. Tant d’élèves, semble-t-il, ne peuvent, ne savent ou ne veulent pas travailler chez eux. Au menu sécuritaire, le harcèlement scolaire sera érigé en priorité nationale et devrait faire l'objet d'un plan interministériel. C’est la réponse au suicide en mai d'une adolescente. Nouveauté : le harceleur pourra être transféré dans une autre école et un cyberharceleur contre un jeune d'un autre établissement pourra lui aussi être sanctionné. 

Les signalements ont augmenté de 150 % en deux ans, selon une note des services de l’État. Dans cette histoire d’abus d’habit, tout le monde se couvre, et pas seulement les élèves.

Ces annonces, soyons honnêtes, tiennent du rafistolage. En termes de vision et d’ambition, le mammouth accouche toujours d’une souris. Dans un pays normalement développé, aucun des sujets abordés ci-dessus ne devrait se poser. Ce dont parle Gabriel Attal reflète les errements d’une société hétérogène et déstructurée. Songez à la Corée du Sud et au niveau d’exigence et de pression que s’inflige ce pays de taille comparable au nôtre : quand l’école s’arrête, tous les élèves embrayent sur des cours particuliers jusqu’à point d’heure, en plus des activités sportives. Les jours d’examen, les transports publics tournent au ralenti pour ne pas perturber les épreuves, etc. On est bien loin de tout ça.

L’interdiction de l’abaya

Et que dire de la mesure la plus médiatisée ? L’interdiction du port de l'abaya, cette longue robe d’inspiration séoudienne. Depuis l’affaire du voile de Creil (1984), soit un demi-siècle, l’exécutif fait face à une marée montante que la loi du 15 mars 2004 sur les signes ostentatoires ne parvient pas à endiguer. Les musulmans les plus zélés s’emploient à remettre régulièrement le couvert sur les jeunes filles. Les signalements ont augmenté de 150 % en deux ans, selon une note des services de l’État. Dans cette histoire d’abus d’habit, tout le monde se couvre, et pas seulement les élèves. Les chefs d’établissement ont besoin d’une lettre signée du ministre pour faire paratonnerre au grief d’islamophobie. Reste à savoir comment ils vont s’y prendre avec les familles concernées, et si celles-ci vont retirer leurs enfants pour les mettre dans le privé confessionnel. Quoi qu’il en soit, l’interdiction de l’abaya (seulement à l’école, précisons-le), en victimisant les musulmans, sert la cause de l’entrisme islamique. Se diviser sur ce sujet, c’est en souligner le caractère central, qu’on défende ou qu’on pourfende la mesure gouvernementale. 

Toute apparence devient message. Il n’y a plus que des identités choisies, même à son corps défendant.

J’insisterai sur la légèreté avec laquelle ce sujet est abordé par les industriels de l’info, comme l’agence France-Presse, dans une dépêche intitulée "À 16 ou 19 ans, elles portent l'abaya et expliquent pourquoi". Aucun des témoignages recueillis on ne sait comment ne laisse affleurer la question de la radicalisation ou de l’instrumentalisation des jeunes filles. Bien au contraire. Le propos vise à euphémiser la situation. Y compris quand une certaine Justine Stoessel, étudiante de 19 ans à Strasbourg, "en noir des pieds à la tête", déclare qu’elle s’est convertie à l’islam et que c’est juste un vêtement "pratique et rapide à mettre". La dépêche se termine sur ces mots : "L'important, c'est que chacun fait ce qu'il veut." 

La police du vêtement identitaire

Cet argument est censé atténuer la chose, alors qu’il l’aggrave. Dans nos sociétés publicitaires, nous vivons tous au rythme de la concurrence entre les images. Et comme nul n’est plus obligé de s’habiller selon son statut social, le « chacun fait ce qu’il veut » devient effectivement très important. Car chacun se montre aux autres selon ses intentions : ce qui couvre le corps révèle alors ce que ressent le cœur et ce que veut la tête. Toute apparence devient message. Il n’y a plus que des identités choisies, même à son corps défendant. C’est vrai pour l’abaya comme pour le crop-top, le jogging ou la cravate. La robe islamique (abaya pour les femmes, qamis pour les hommes) est un signe investi du discours religieux qui, selon la philosophe et islamologue Razika Adnani, "veut que les musulmans se distinguent des non-musulmans".

Les jeunes filles françaises rêvent-elles de ressembler à leurs sœurs séoudiennes ? Si oui, pourquoi ne vont-elles pas vivre à Riyad ? Sinon, que cherchent-elles au juste ?

Le diversitaire véhicule l’identitaire, le propage au vu et au su de tous. Ce faisant, il habitue le regard d’autrui à un état de fait, ce qui revient à discipliner le corps social. Le Conseil français du culte musulman (CFCM) dit que cette robe n’est pas un signe religieux. Adnani répond que "sur le plan islamique, l'abaya est même plus conforme aux recommandations coraniques que le foulard étant donné qu'aucun verset n'évoque le foulard ni ne dit que la femme doit cacher sa chevelure". L’islamologue se réfère au "verset 59 de la sourate 33 [qui] recommande à Mohamed, prophète de l’islam, d’ordonner aux femmes de ramener sur elles leurs djalabib, pluriel de djilbab (d’où le terme djellaba) qui désigne une robe longue et ample". 

Les jeunes filles françaises rêvent-elles de ressembler à leurs sœurs séoudiennes ? Si oui, pourquoi ne vont-elles pas vivre à Riyad ? Sinon, que cherchent-elles au juste ? À provoquer ? À islamiser la France ? Quelle que soit leur intention réelle, c’est ce message-là qui passe. Le réflexe d’autodéfense de Gabriel Attal le prouve. Mais c’est celui d’un petit soldat d’une République moralement déliquescente, financièrement asphyxiée et politiquement ambiguë. Interdire l’abaya à l’école et promouvoir le multiculturalisme n’est pas le moindre des paradoxes. Faire la police du vêtement, et mettre des policiers en prison aussi.

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