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Vaison-la-Romaine… et la paléochrétienne !

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Vaison-la-Romaine (Vaucluse).

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Agnès Bastit-Kalinowska - published on 30/08/23
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Connue pour ses vestiges antiques exceptionnels, Vaison-la-Romaine abrite des traces remarquables du patrimoine paléochrétien. Le christianisme y était si bien implanté que la ville fut le siège de deux conciles où se prirent des décisions liturgiques… toujours en vigueur. (3/5)

La petite ville de Vaison-la-Romaine — appelée ainsi depuis les fouilles qui y ont révélé, au début du XXe siècle, d’importants vestiges — était une bourgade gauloise de romanisation ancienne. Elle a donné à l’Empire, en la famille des « Trogue », un compagnon de Pompée, puis un secrétaire privé de César, et enfin un historien et naturaliste, tous trois liés à Marseille et fortement hellénisés. Il est probable que le christianisme y soit apparu tôt, même si les traces que nous en avons sont plus tardives. Vaison se trouve en effet sur la route entre Marseille et Lyon, un peu à l’écart à l’est du Rhône, mais facilement accessible par la plaine qui borde le fleuve, non loin du majestueux mont Ventoux. 

L’évangélisation est remontée le long du Rhône

Le christianisme, probablement arrivé en Gaule par Marseille, avec les nombreux bateaux de commerce et les armées romaines — où il y eut très vite des chrétiens — s’est répandu rapidement dans la grande et ancienne province romaine de Narbonnaise, correspondant au pourtour de la Méditerranée et à un large couloir autour de la vallée du Rhône, depuis longtemps intégrée au domaine romain. L’évangélisation est remontée le long du Rhône jusqu’à Vienne et surtout Lyon, où ont été suppliciés en 177, Pothin, Blandine et au moins une cinquantaine de chrétiens. Si quelques indices suggèrent la présence du christianisme à Vaison dès avant sa reconnaissance par l’empereur Constantin en 313, les restes que nous en avons correspondent au moment où les chrétiens, après cette date, peuvent se montrer au grand jour, tel l’évêque Daphnus, au nom de consonnance grecque, qui dès 314 représentait Vaison au Concile d’Arles. 

Un dispositif unique en France

À Vaison, les témoignages locaux des premiers siècles du christianisme sont de deux sortes : la cathédrale romane d’abord, qui garde la trace d’au moins une église paléochrétienne sous-jacente, et d’autre part des objets — sarcophage, grilles de chœur en pierre et stèles funéraires. Pour celles-ci, quelques-unes sont conservées, mais hélas pour la plupart elles ont disparu depuis la Révolution, après avoir été exhumées et décrites aux XVIIe et XVIIIe siècles. 

La cathédrale romane (XIIe) a ceci de particulier que ses bâtisseurs étaient très respectueux du passé paléochrétien du lieu. L’actuelle église romane est construite en effet sur des soubassements bien antérieurs, et des témoignages remontant au XVIIe siècle font état de deux niveaux de sol sous-jacents, avec chacun des pavements de mosaïques antiques (non visibles). Outre les colonnettes et les piliers antiques qui ont été intégrés, les architectes du XIIe ont préservé un élément primitif, devenu très rare du fait des évolutions liturgiques et architecturales. L’abside actuelle de la cathédrale présente en effet un dispositif unique en France, mais courant en Asie mineure et en Grèce et attesté en Italie, dont l’expansion remonte au Ve siècle de notre ère : une série de gradins semi-circulaires en pierre, dits en grec synthronon (c’est-à-dire siège partagé), entourant le siège de l’évêque ou « cathèdre », selon l’idée que l’évêque et son presbyterium donnent à voir l’image du Christ entouré des apôtres.

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"Synthronon" ou siège partagé, destiné aux prêtres et diacres qui entouraient l’évêque.

Les sermons de saint Augustin laissent entendre qu’il présidait sur un siège de ce type, et les fouilles archéologiques ont dégagé des bancs similaires dans l’église de Nicée, où s’est tenu le premier concile œcuménique. L’église présente aujourd’hui en outre deux autels paléochrétiens en marbre, en particulier l’autel majeur actuel, construit sur une paroi de sarcophage à motifs de "strigiles" ou lignes courbes (probablement du IVe siècle). L’autre autel, visible dans la chapelle latérale de gauche), remontant sans doute à la fin Ve ou VIe siècle, reprend sur l’un de ses grands côtés, le motif ancien du chrisme (entremêlement des deux premières lettres grecques du nom "Christ") entouré de deux colombes. 

L’autel principale actuel, réutilisant une paroi de sarcophage à "strigiles" du IVe siècle.

Le siège de deux conciles

C’est dans ce cadre que Vaison, tout en dépendant de la métropole ecclésiastique d’Arles, sera le siège d’au moins deux "conciles" locaux (les modernes diraient plutôt "synodes"), dont nous possédons les Actes, qui se sont tenus en 442 et 529, ce dernier sous la présidence de saint Césaire d’Arles. Ce deuxième concile a pris plusieurs décisions liturgiques (confirmées ensuite par le pape Grégoire le Grand), dont les conséquences durent jusqu’à nos jours : tout d’abord, les Pères du concile de Vaison ont décidé que l’imploration "Seigneur, prends pitié" au début de la messe continuerait à être dite en grec, par souci d’union avec les Églises orientales, alors que la forme latine miserere, Domine commençait déjà à concurrencer le kyrie, eleison ; ils ont aussi suggéré de compléter l’exclamation finale "Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit" par l’ajout "comme il était au commencement, maintenant et toujours". Ils se sont enfin intéressés à la formation des futurs prêtres et à l’évangélisation des campagnes.

Des stèles qui parlent

La tenue de ces conciles, et l’influence du dernier, n’aurait sans doute pas été possible sans l’ancienneté de la communauté chrétienne présente à Vaison, qu’atteste encore quelques vestiges présentés dans le cloître roman attenant à la cathédrale. Le visiteur y verra entre autres un sarcophage de la fin IVe ou début Ve, représentant Jésus debout au milieu de ses apôtres (onze en tout !) tenant en main le rouleau de la parole. Malheureusement, la figure de Jésus et les têtes des apôtres ont été victimes de vandalisme et mutilées à la Révolution. 

Sarcophage de la fin IVe ou début Ve, représentant Jésus debout au milieu de ses apôtres.

En revanche, la cuve funéraire est surmontée de deux stèles antiques, qui représentent sans doute les deux témoignages les plus vénérables du christianisme à Vaison : il s’agit des deux stèles funéraires de deux chrétiens. La dalle la plus ancienne, à droite, est dédiée à une femme, Januaria, à laquelle ses proches souhaitent la paix en Dieu (Pax tecum in Deo, fig. 4). Au-dessous de l’inscription, on devine des symboles chrétiens primitifs dont la gravure est assez effacée : de gauche à droite pour le spectateur, l’esquisse probable d’un poisson renversé (fig. 5), le chrisme et une palme ; sous ces trois motifs une autre incision, à peine perceptible, pourrait être une ancre, autre symbole chrétien ancien, mais l’état de conservation de la pierre la rend peu lisible. 

Sacorphage Vaison-la-Romaine
L’émouvante et maladroite inscription funéraire de Januaria (IVe siècle)

Au-dessus du sarcophage, une autre stèle, à la mémoire de Florentiolus, montre cette fois, dans un fronton triangulaire surmontant l’inscription Pax tecum, le chrisme entouré de la couronne de laurier du vainqueur. 

« La paix soit avec toi »

Une dernière stèle, qui n’est pas exposée dans le cloître, est très proche de celle de Januaria, et rappelle la mémoire d’un homme, Vincent. Elle offre une belle symétrie, soulignée par un tracé triangulaire imitant un fronton : au-dessus de l’inscription "La paix soit avec toi", deux palmes stylisées entourent un chrisme. Ces palmes ne signifient pas nécessairement que le défunt soit mort martyr, mais évoquent la victoire du Christ à laquelle participent les chrétiens. Les savants du XVIIe siècle ont répertorié et transcrit les inscriptions d’une bonne vingtaine de vénérables témoignages funéraires du même type que les stèles conservées, mais ils sont aujourd’hui perdus. 

Plus modestes que ceux d’Arles ou même de Marseille, les restes paléochrétiens de Vaison, outre leur valeur artistique, n’en sont pas moins impressionnants par le témoignage qu’ils offrent de la vie, active et fervente, des premières communautés de la Gaule méridionale, dont le souvenir nous est parvenu grâce à l’attachement des hommes du Moyen Âge, puis de ceux de l’âge classique pour leur passé.

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