La basilique de Saint-Maximin — dans le Var mais proche aussi bien d’Aix-en-Provence que de Marseille —, renferme un riche patrimoine d’art paléochrétien. La très belle basilique actuelle, du XIIIe siècle, a succédé à une basilique ancienne, accompagnée d’un baptistère dont on a retrouvé les soubassements. Cette première basilique était elle-même construite à proximité d’une sépulture où une famille chrétienne aisée inhumait ses proches dans des sarcophages décorés. Ceux-ci sont des exemples remarquables de représentations chrétiennes du IVe-Ve siècles. Ils sont complétés, dans la crypte de la basilique actuelle, par des dalles gravées plus tardives (sans doute du VIe siècle), qui ont l’intérêt d’attester que les premières images chrétiennes ont perduré au-delà de la grande époque de la production des sarcophages sculptés, et surtout de montrer en plus grand ce que les sculpteurs réalisaient en plus petit sur les parois des cuves funéraires.
Sur quelque vingt mètres carrés, avec ces quatre sarcophages et leurs couvercles ainsi qu’avec les quatre dalles gravées, nous nous trouvons face à une extraordinaire concentration d’art chrétien primitif et, même si l’éclairage de la crypte est limité, il vaut la peine de découvrir ces images. Disons d’emblée qu’elles sont de bonne qualité, généralement bien conservées et qu’elles sont un bon exemple de l’art chrétien ancien, dans ses modèles classiques, mais aussi qu’elles réservent quelques surprises, avec des représentations rares, comme le massacre des saints innocents ou surtout la rencontre de Thomas avec Jésus ressuscité.
La présence de Jésus : miracles et sacrements
Sur le sarcophage à droite en descendant dans la crypte (dit « de saint Sidoine », fig. 1) on trouve par exemple, autour d’une figuration de la résurrection, trois miracles des évangiles. Selon la coutume sur ce type d’images, les bénéficiaires de l’action miséricordieuse du Seigneur sont figurés plus petits, avec une taille d’enfants, et Jésus est montré en jeune adulte imberbe, sa figure répétée à chaque scène. Autour de la croix glorieuse, le paralytique, l’aveugle-né et la femme souffrant d’un flux de sang (ou "hémorroïsse"), chacun d’eux aux pieds de Jésus, avec une expression de confiance particulièrement soulignée pour la femme qui regarde vers le Sauveur. Sur le couvercle au-dessus, les deux côtés du "cartouche" (rectangle réservé à l’inscription funéraire) montrent la multiplication des pains, débordants de trois corbeilles et, en face, la résurrection de la fille de Jaïre, à laquelle Jésus tend la main avant de la relever. Ces deux images, au-delà de leur contexte évangélique, pointent vers les sacrements qui marquent la vie du chrétien : le baptême qui fait renaître à une vie nouvelle, suggéré par la résurrection de l’enfant, et l’eucharistie, annoncée par la multiplication des pains. Le geste de Jésus bénissant les miches qui lui sont présentées par des disciples suggère d’ailleurs un geste de consécration.
La passion suggérée et l’enfance représentée
L’évocation de la passion de Jésus, présente discrètement dans ces scènes, comprend d’abord l’annonce du reniement de Pierre — avec entre les deux interlocuteurs un coq bien visible à leurs pieds (fig. 1). Nous voyons ensuite l’arrestation de Jésus, dont l’attitude humble et calme dit qu’il s’avance librement vers son sort. Enfin, le lavement des mains de Pilate, qui prélude à la condamnation (sarcophage dit "de Madeleine").
Mais Jésus est aussi là en tant qu’enfant, avec les premières images de la nativité : Jésus dans sa mangeoire devant Marie surmontée de l’étoile, protégé par le bœuf et l’âne et vers lequel convergent les trois mages avec leurs offrandes. Pour faire pendant à cette scène de la naissance de Jésus déjà classique à l’époque, le sculpteur a figuré, sur le couvercle d’un des sarcophages de gauche, le massacre des innocents (beaucoup plus rare) : on y voit trois personnages, une femme tenant un bébé dans les bras et deux soldats portant eux aussi des enfants, mais pour les tuer, converger à l’inverse vers le roi Hérode qui trône à l’opposé de Marie (sarcophage dit "de saint Maximin").
La mise en valeur de la résurrection
Une des caractéristiques de l’ensemble de Saint-Maximin est la mise en valeur de la résurrection de Jésus. Et ce sous deux formes. D’une part, on trouve au centre de deux de ces quatre cuves une figuration narrative partiellement symbolique de la résurrection : les soldats endormis des deux côtés d’un poteau évoquant la croix et surmonté de la couronne du vainqueur (fig. 1 et sarcophage dit "de Madeleine"). La place centrale de cette image signale la valeur centrale de la résurrection de Jésus dans la foi chrétienne. Une telle image était relativement répandue, on la trouve par exemple au Musée de l’Arles antique, mais ce qui est beaucoup plus rare et même extraordinaire est la représentation qui se détache au centre du premier sarcophage à gauche en descendant. Sur cette paroi, une décoration sobre de "strigilles" (lignes courbes répétées) fait ressortir le groupe central de Thomas et de Jésus ressuscité levant, en un geste de prière, ses mains où se voient la marque des clous. Thomas pose son bras gauche sur l’épaule de Jésus et des doigts de sa droite touche délicatement les lèvres de la plaie du côté. Son visage, de profil, exprime tout à la fois la stupeur et la conviction. Il s’agit, semble-t-il, ici de la plus ancienne représentation de cette scène (sarcophage dit "de Marcelle").
Les préalables antérieurs et la continuité par les apôtres
Dans la conception à la fois globalisante (Ancien et Nouveau Testament ne font qu’un) et comme polyphonique de cette sculpture, les scènes représentant des personnages de l’Ancien Testament, en général de manière plus discrète et souvent sur les couvercles, constituent un réseau d’harmoniques autour des images des évangiles. Trois exemples ici : le sacrifice d’Abraham, figure de l’offrande de Jésus sur la croix (non représentée encore à l’époque) se trouve trois fois dans cette crypte, puis Daniel dans la fosse aux lions — sur une dalle gravée — et enfin la réception de la Loi par Moïse. Pour la première scène, Isaac est représenté en plus petit, souvent recroquevillé (car "lié" devant un autel, Abraham pose sa main sur la tête de son fils pour le consacrer en sacrifice et son autre bras est levé, mais il se détourne vers Dieu qui interrompt son geste, et un petit bélier est présent pour se substituer à l’enfant.
Si le sacrifice d’Abraham annonce celui de Jésus, la nudité de Daniel chantant son cantique d’action de grâce au milieu des deux lions qui l’ont épargné pointe vers la résurrection, du Christ d’abord, et ensuite du fidèle. Quant au don de la Loi à Moïse qui tend la main pour recevoir d’en haut un livre, elle est ici représentée couplée avec l’image du buisson ardent, pour suggérer que c’est le même Dieu qui a dit son nom à Moïse dans le buisson en se révélant à lui qui lui communique ensuite sa parole pour le peuple. De manière classique pour l’art paléochrétien, les sculpteurs ont instauré un parallèle entre le don de la première loi à Moïse et celui de la loi nouvelle aux apôtres. Et c’est ici que passent au premier plan les figures apostoliques, en tout premier lieu celle de Pierre, mais aussi, lui faisant pendant, celle de Paul. Pierre et Paul encadrent la scène de la confession de Thomas au Christ ressuscité. Ailleurs, ils reçoivent eux aussi le livre de la Loi et, pour Pierre, les clés du royaume. Quant aux scènes de l’arrestation de Pierre et de la résurrection par l’apôtre de la veuve Tabita (Ac, 9), elles montrent en Pierre le prolongement de l’action de Jésus.
Ainsi, sur un espace restreint et à côté de la vénération de la mémoire de Marie-Madeleine, le visiteur peut découvrir dans la crypte de la basilique de Saint-Maximin d’authentiques témoignages de la vie et de la foi des très anciennes communautés chrétiennes en Provence.