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Voilà cinq siècles, aux alentours de l’an 1523, un missionnaire franciscain, frère Thomas, dit l’Illyrien car il est né en Slovénie ou en Croatie, après un lustre de prédications épuisantes dans les provinces du Sud-Ouest, estime avoir bien mérité un peu de repos et de temps pour s’adonner à la prière. Il peut enfin s’occuper de son propre salut après s’être beaucoup soucié de celui des autres. Il se retire alors au cœur de la vaste forêt qui couvre alors la côte Atlantique, au bord du bassin d’Arcachon pour y vivre en solitaire. Parfois, pourtant, le religieux quitte son refuge sylvestre et descend jusqu’à l’océan pour s’y promener sur la plage.
La sensibilité de l’époque ne porte guère à admirer la mer toujours recommencée qui apparaît à la plupart des gens comme un élément hostile, dangereux, dont il vaut mieux ne pas s’approcher. Frère Thomas est-il de cette espèce ? On ne sait mais, ce qui est sûr, c’est qu’il n’a pas choisi le meilleur jour pour son excursion… Une violente tempête qui soulève les vagues et fait mugir derrière lui les grands arbres de la forêt voisine se déchaîne soudain dans un déferlement de fureur, levée à l’improviste de sorte que plusieurs sardiniers, surpris par ce coup de vent, se retrouvent bientôt désemparés, à sec de toile pour tenter d’échapper au gros temps mais du même coup plus guère manœuvrables et poussés vers la côte où ils vont inexorablement se briser sur les écueils. C’est la mort assurée pour les équipages.
La naissance d’Arcachon
Lettré, frère Thomas a sans doute lu le poète latin Lucrèce et se souvient du passage affirmant qu’il est consolant de regarder depuis le rivage moins chanceux que soi en train de se noyer… Telle n’est pas l’opinion du fils de saint François et, à défaut de pouvoir secourir les matelots en péril par des moyens humains, déterminé, face à l’océan, il dessine sur le sol une vaste croix, marquant dans son esprit le sanctuaire qui s’élèvera en ces lieux si Notre-Dame l’écoute, et, élevant vers le Ciel une prière fervente, la supplie de sauver ces malheureux. Aussitôt, le vent tombe, un grand silence se fait, et les navires en perdition réussissent à s’éloigner des brisants et à reprendre le large. Sauvés.
Au même instant, le ressac dépose aux pieds de frère Thomas une statue d’albâtre de la Sainte Vierge, merveille de la sculpture gothique, jaillie des abysses où, sans doute, un naufrage l’a engloutie voici un ou deux siècles. Certain du miracle, l’humble franciscain obtient les autorisations nécessaires afin d’élever, comme il en a fait le vœu, entériné par la découverte de la sainte image, une chapelle côtière qu’il nommera Notre-Dame de Bon Port. Très vite, sa renommée attirera de telles foules, et d’abord des marins venus rechercher sa protection, qu’une ville se développera autour du sanctuaire et donnera naissance à la ville d’Arcachon.
Notre-Dame de Bon Port semble attirer sur elle d’étranges fureurs acharnées à la détruire.
Au demeurant, cela ne se fera pas tout seul et Notre-Dame de Bon Port semble attirer sur elle d’étranges fureurs acharnées à la détruire. Elle est pillée une première fois, vers le milieu du XVIe siècle, par des pirates anglais, désormais protestants, que leur haine de la dévotion mariale motive autant que les richesses supposées de l’endroit. Restaurée, Notre-Dame de Bon Port est quasiment détruite, le 16 janvier 1624, par la terrible tempête qui balaie la côte ce jour-là. On la rebâtit mais, moins de cent ans après, le mouvement des dunes l’ensevelit, en 1721, sous les sables… Un haut prélat, le cardinal de Sourdis, fournit l’argent nécessaire à sa reconstruction et y adjoint, bien visible du large, une très haute croix de bois peinte en rouge, ce qui est peut-être une réminiscence du crucifix rouge du Père de Montfort. Ces travaux s’échelonnent entre 1722 et 1727.
Trois coups de corne
Pendant tout le XVIIIe siècle, et alors même que la dévotion mariale ne cesse de faiblir en France, Notre-Dame de Bon Port garde ses fidèles, qui se pressent à ses pieds. L’usage se prend, quand un bateau s’en va ou revient, de la saluer de trois coups de corne, qui deviendront plus tard des coups de sirène. Nul n’omettrait cet hommage, de crainte de perdre sa protection, et les ex-voto, sous forme de tableaux ou de maquettes de navires, s’entassent dans la chapelle des marins.
Est-ce un effet de la misère engendrée par le terrible hiver 1788-1789 ? Ou les premiers mouvements de la Révolution ? En mars 1789, le sanctuaire est mis à sac et pillé par des "brigands", expression floue qui peut aussi bien désigner des malheureux poussés à bout par les privations que des émeutiers. Mouvement isolé, néanmoins, car la chapelle échappe à toutes les mesures antichrétiennes de la Terreur. La fête patronale de l’Annonciation y est célébrée le 25 mars 1793 comme à l’accoutumée et les autorités laissent faire, conscientes qu’il serait stupide de se mettre à dos les populations côtières au risque de les voir favoriser un débarquement ennemi. Ainsi Notre-Dame de Bon Port sort-elle intacte des années révolutionnaires. Intacte mais définitivement trop petite pour la foule des pèlerins qui s’y pressent et pour les besoins de la population arcachonnaise. En 1856, le cardinal Donnet décide, tout en préservant avec soin la chapelle primitive, de l’entourer d’une église beaucoup plus grande et d’obtenir de Pie IX le couronnement de la statue miraculeuse en 1870. En 1953, Pie XII l’élèvera au rang de basilique mineure.
Un acharnement singulier
Est-ce la fin de ses tribulations ? Non… La vieille croix de bois de 1902 rongée par les intempéries est remplacée par une autre mais ce calvaire est malencontreusement démoli lors de travaux à la fin des années 1970. On le reconstruit en 1980 mais, le 8 janvier 1986, un incendie criminel éclate à l’intérieur de la basilique et cause des ravages dans la vieille chapelle au cœur de l’édifice… Qu’à cela ne tienne ! Dès l’année suivante, les Arcachonnais ont réparé les dégâts ! L’on admettra qu’un tel acharnement contre l’édifice, qu’il vienne des hommes ou des éléments, est singulier. Mais n’est-ce pas la preuve irréfutable du bien qui s’y fait depuis six cents ans et dont la protection accordée à ceux qui vont en mer n’est que l’image, le secours de Marie s’étendant à tous ceux qui l’implorent lorsque, vraiment, ils sont trop malmenés par les flots de la vie ?