Se rendre, à Camaret, jusqu’à la chapelle de Notre-Dame de Rocamadour, tout au bout du Sillon près de la tour Vauban, se mérite, que ce soit par un jour de grand beau temps, ce qui arrive plus fréquemment que le croient les non-Bretons, lorsque le soleil tape dur en se reflétant sur la mer et la pierre, ou quand il fait mauvais et que le pèlerin se fait gifler par le vent, les embruns et les paquets de pluie. Curieux, touristes et pèlerins sont pourtant nombreux à entreprendre ce petit périple et s’ils ont l’âme sensible, ils ne manqueront pas de s’arrêter un instant à la hauteur du cimetière de bateaux où se désagrègent peu à peu, sous les coups du temps et des éléments, de vieux chalutiers, sardiniers et langoustiers à la peinture écaillée à jamais rentrés au port, spectacle étrangement poignant.
Tout au bout de cette digue qui protège un port autrefois stratégique pour la Bretagne, tant au plan militaire qu’économique, s’élève une chapelle aux dimensions modestes mais dont la très ancienne réputation reste grande, dédiée à Notre-Dame de Rocamadour. Longtemps, l’on ne s’est posé aucune question quant à ce nom. La chapelle bretonne a été ainsi baptisée en l’honneur du sanctuaire quercynois, à cause, disent les uns, d’un prêtre de Camaret qui aurait fait là-bas le pèlerinage.
Selon une autre version, ce serait à cause des Plantagenêt, grands dévots de la Vierge noire du Causse, qui auraient voulu placer sous sa protection la chapelle de ce port breton où débarquaient nombre de pèlerins en provenance des pays scandinaves, Grande-Bretagne et Flandres, à destination de Saint-Jacques-de-Compostelle, les incitant à faire le détour par Rocamadour. Ces gens, après avoir bravé les périls de la mer, allaient remercier Notre-Dame de Camaret, laquelle aurait ainsi permis à Rocamadour de se tailler la réputation d’un sanctuaire de protection des marins. La construction de la première chapelle est attestée en 1183 et des privilèges lui ont été accordés par le pape Grégoire XI en 1372.
Le Roc au milieu des eaux
L’ennui étant que cette version ne convient pas à certains qui dénient le moindre rapport entre la Notre-Dame bretonne et celle du Quercy, assurant du même coup qu’attribuer à la Vierge de Rocamadour un rôle de patronne des navigateurs serait une tromperie et une superstition. En fait, la chapelle de Camaret ne s’appellerait pas Notre-Dame de Rocamadour mais Notre-Dame de Roc’h ar ma douar, autrement dit « du Roc au milieu des eaux », ce qui correspond en effet à la situation du petit sanctuaire.
Une autre solution, qui a l’avantage de mettre tout le monde d’accord, du moins si l’on est de bonne foi, est de supposer que les deux étymologies se complètent au lieu de s’opposer et que, pour les pêcheurs de Camaret, qui n’iraient jamais à Rocamadour, et n’en savaient peut-être rien, ou pas grand-chose, les mots bretons familiers dont le sens coïncident si bien avec la réalité s’imposaient spontanément sans qu’il soit nécessaire d’aller chercher plus loin.
Quoiqu’il en soit au juste, la chapelle a toujours eu ses dévots, lesquels, au XVIIe siècle, alors qu’elle est en mauvais état et menace ruine, décident de la reconstruire. L’argent nécessaire ne rentre pas aussi vite qu’il le faudrait, de sorte que les travaux seront réalisés sur plusieurs décennies en trois tranches. Ils sont à peine achevés que Camaret subit, en 1694, les retombées de la bataille navale de Trez Rouz ; à en croire la chronique, un boulet de la flotte anglo-hollandaise frappe alors de plein fouet le clocheton neuf et l’abat, occasionnant maints dégâts. Les gens sérieux affirment que l’on n’a aucune preuve de la réalité de cet incident. Grand bien leur fasse !
Les murs sont intacts
En tout cas, la chapelle survit, et traverse la Révolution mais elle manque disparaître stupidement lorsque, dans la nuit du 25 février 1910, pour des raisons inexpliquées, le feu prend dans sa charpente et la dévore, ainsi que l’intérieur de l’édifice, en dépit des efforts désespérés des pompiers et de la population. Le mobilier, les statuts, et surtout la magnifique collection d’ex-voto offerts par des marins reconnaissants partent en fumée. Cependant, les murs sont intacts et, dès l’année suivante, le sanctuaire est reconstruit.
Sans doute le mobilier et la statuaire actuelle ont-ils perdu de l’intérêt mais, en plus d’un siècle, d’autres ex-voto sont venus, nombreux et touchants, remplacer les anciens. Ils méritent, à eux seuls, que vous remontiez le Sillon et alliez invoquer Notre-Dame du Roc, qu’il soit d’Amadour ou d’ar ma douar !