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L’odeur à la fois douce et puissante du bois frais, scié et taillé toute la journée, prend d’assaut les narines, mêlée à celle des champs moissonnés tôt en ce début d’été. C’est ici, dans les ateliers Desmonts situés à Perriers-la-Campagne, dans l'Eure, que travaillent les mains humbles et rêches des "rebâtisseurs" de Notre-Dame. Ce jeudi 29 juin, dans la matinée, une vingtaine de charpentiers des Ateliers Desmonts et Perrault monte à blanc les deux premières fermes de la charpente en chêne massif de la nef, totalement détruite par l’incendie du 15 avril 2019. Ces professionnels du bois se concentrent sur la charpente de la nef et du chœur, cet arbre gigantesque perché dans les hauteurs de la cathédrale qui semble à mi-chemin entre les hommes et les cieux. 1.200 grumes la composent, dont la plupart mesurent douze mètres de long.
Une voix de stentor s’élève soudain au milieu de l’effervescence générale. «C’est un pari fou que nous menons-là, à travers cette reconstruction. Mais nous allons remporter cette bataille ensemble, tonne le général Georgelin, président de l’établissement public chargé de la restauration de l’édifice. Le chantier de Notre-Dame c’est avant tout une histoire d’hommes !» Des hommes qui ont parfois parcouru des milliers de kilomètres pour Notre-Dame. Les charpentiers, bien que majoritairement Français, comptent aussi parmi eux plusieurs amoureux de la cathédrale venus d’ailleurs.
Des charpentiers aux petits soins pour Notre-Dame
Will est américain. Il vivait avec sa femme et ses deux enfants dans le Vermont, à la frontière du Québec, où il est à la tête de son atelier depuis vingt ans, avant de rejoindre le chantier en janvier 2023. Lorsqu’il a appris que Notre-Dame brûlait il y a quatre ans, incrédule, il a encaissé le choc. "Je pensais que ce n’était pas vrai. Comment cela pouvait-il brûler ? C’était impossible, impensable. Je connaissais l’histoire millénaire de la charpente, le savoir-faire avec lequel elle avait été construite", confie-t-il à Aleteia. Presque immédiatement vient la question de la reconstruction. "J’ai tout de suite su que je voulais y participer. On a cette opportunité qu’une seule fois dans sa vie." Depuis janvier, date de son arrivée en France, Will a travaillé sur les fermes principales de la charpente. À la veille de son départ dans quelques jours, le père de famille a le cœur serré mais ses ateliers du Vermont l’attendent.
Plus loin, Mike et Anck, la quarantaine, discutent, sourire aux lèvres et casques jaunes à la main, sur une poutre encore poussiéreuse. Le premier est britannique, le second américain. Comme beaucoup, Anck a laissé tomber son activité il y a six mois, dans son Massachusetts natal, où il tient seul sa petite entreprise. Il s’est installé en Normandie grâce à l’association Charpentiers sans Frontières. Un changement de vie drastique, soudain mais passionnant. "Ce chantier, c’était une chance de montrer au monde le savoir-faire et les traditions anciennes du métier de charpentier. J’ai résilié mon bail, mis mes outils dans un conteneur, revendu ma voiture, et j’ai mis en pause mon activité là-bas. Tout quitter était difficile, il fallait recommencer une nouvelle vie ici. C’est un peu l’aventure. Mais vous imaginez, participer à la reconstruction de Notre-Dame ?"
Contribuer à un chantier historique
Comme Will et Anch, Mike est athée. Mais tous ont conscience de contribuer à quelque chose qui les dépasse. "C’est évidemment plus grand que nous", reconnaît volontiers ce britannique aux cheveux si blonds qu’ils en sont presque blancs, un large sourire aux lèvres. "En même temps, on a l’impression de faire partie d’un tout. Chacun à sa place. Les charpentiers, les forestiers qui ont choisi les arbres, les bûcherons qui les coupent, les conducteurs de camions qui les transportent…" Venu en France en 2016 et installé en Dordogne, Mike est à la fois charpentier et archéologue. Passionné du patrimoine français, il se prépare à d’autres chantiers en France ainsi qu’à une thèse en archéologie.
Parmi les artisans, la jeunesse est fièrement représentée. Plusieurs d’entre eux ont entre 20 et 30 ans. Marlin est le benjamin de la bande. Sec et élancé, le jeune homme de 21 ans manie avec habileté sa hache de dégrossi. Coiffé de sa gavroche, ses godillots pleins de copeaux humides et ses ongles noircis par le travail du bois, il montre une véritable ardeur à la tâche. Il est venu du Devon, dans le sud-ouest de l’Angleterre. Fils de charpentier, il était encore au lycée et passait l’équivalent du baccalauréat lorsqu’il apprend que Notre-Dame brûle. "C’est assez incroyable de pouvoir travailler sur un chantier qui a une telle importance culturelle, surtout en étant jeune. Poursuivre ce que nos prédécesseurs ont fait pour cette cathédrale, c’est assurer une forme de continuité. Je suis fier d’en faire partie."