À Mauges-sur-Loire, fief des Ateliers Perrault situé à une trentaine de kilomètres d’Angers, l’atmosphère est décidément bien particulière en ce jeudi 15 décembre matin. Le froid mordant, la fine couche de gel qui recouvre la campagne alentour et le soleil pâle qui perce les nuages n’y sont pas étrangers. L’odeur si caractéristique du bois scié qui prend au nez dès les premiers pas franchis dans l’atelier non plus. Mais c’est en tournant le regard vers les grumes, d’immenses morceaux de chêne entreposés ici, que l’on comprend. Au centre, entouré des responsables et salariés équarisseurs et charpentiers de l’entreprise, se tient Mgr Olivier Ribadeau-Dumas, recteur de Notre-Dame de Paris. Livre des bénédictions et goupillon en main, il commence par bénir sous le regard attentif de l’assemblée les grumes. Car ce ne sont pas n’importe lesquels : ces immenses morceaux de bois vont servir à reconstruire les charpentes de la nef et du chœur de la cathédrale de Paris.
Les Ateliers Perrault et l’Entreprise Desmonts - reconnue pour son savoir-faire dans l'équarrissage à la hache - ont remporté ensemble les appels d’offre lancés cet été par l’établissement public chargé de la restauration de Notre-Dame, maître d’ouvrage du chantier, pour la reconstruction des charpentes médiévales, c’est-à-dire du XIIe et XIIIe siècle, du chœur et de la nef. Surnommé par certains "le chantier du siècle", la restauration de Notre-Dame constitue pour les ateliers Perrault "un défi et un honneur", assure son directeur général, Jean-Baptiste Bonhoure. Fondée en 1760, l’entreprise compte déjà des références de prestige telles que les écuries de Versailles ou encore le dôme du lycée Henri IV à Paris. Mais Notre-Dame c’est autre chose. Il y a l’envergue, bien sûr, les ateliers Perrault ayant en charge deux des trois lots de l’immense charpente en chêne. Le prestige de savoir ce chantier scruté et analysé par le monde entier et de l’inscrire dans la continuité de ce que fait l’entreprise lors de ses chantiers de restauration du patrimoine, mais aussi autre chose. Un supplément d’âme.
Vous tous ici qui contribuez à cette renaissance vous êtes des hérauts, des chantres de l’espérance.
Ce supplément d’âme, le recteur de la cathédrale en témoigne par sa présence en aube au milieu de ces grumes et de ces copeaux de bois. Après cette première bénédiction, il se dirige ensuite vers l’atelier à proprement parlé où travaillent une quinzaine d’équarisseurs. "Ce n’est pas simplement un bâtiment, c’est un lieu où chacun peut servir, s’entraider. C’est un lieu où se porte et se prépare un grand projet", reprend le recteur avant d’inviter les artisans qui le désirent à faire bénir leur outil de travail : leur hache. Le regardant de loin d’abord, ils sont finalement plusieurs à s’approcher tour à tour joyeux, fiers et amusés. Mgr Ribadeau-Dumas demande à chacun son prénom avant d’adresser une courte bénédiction pour leur hache et l’usage qu’ils en ont. Brieuc, 26 ans, est l’un d’eux. Arrivé en septembre aux ateliers Perrault il reconnaît en toute simplicité ne "pas forcément bien saisir tout ce que représente une telle bénédiction". "Mais c’est touchant et, d’une manière ou d’une autre, on se sent porté."
Pour Matteo, l’un des responsables de l’atelier d’équarrissage, c’est un événement qui témoigne d’une réelle reconnaissance pour leur travail. "Ici, pour ce chantier, on travaille selon des techniques médiévales en taillant les poutres des charpentes à la hache", reprend-t-il. Chaque jour, chaque artisan équarri environ 4 m2. "C’est une joie pour nous de travailler sur ce projet car les arbres sélectionnés sont magnifiques, ils sont exceptionnellement beaux", reconnait-il volontiers. "Et savoir que ce qu’on fait aujourd’hui traversera les siècles… C’est une vraie fierté". Et son confrère de reprendre : "On va vraiment laisser une marque, comme les artisans bâtisseurs de cathédrale au Moyen Âge."
"Les mois que nous vivons sont des moments très particuliers pour nous : c’est l’espérance qui renaît comme au printemps", reprend Mgr Ribadeau-Dumas dans sa bénédiction du dernier atelier où seront assemblés les différents morceaux de bois. "Vous tous ici qui contribuez à cette renaissance vous êtes des hérauts, des chantres de l’espérance." Alors qu’une statue de saint Joseph veille discrètement dans un coin de l’atelier, c’est tout à coup au père du Christ et à Jésus lui-même que le recteur pense : "Le travail de charpentier que vous faites est aussi celui que faisait Jésus, le sauveur de l’humanité. Que cette bénédiction vous dise d’abord la proximité de Dieu avec chacun d’entre vous."
Une proximité qui, que l’on soit croyant ou non-croyant, pourrait bien être un solide appui pour la suite. Alors que l’objectif de réouverture de la cathédrale en 2024 est maintenu, les ateliers Perrault prévoient la fin de l’étape d’équarrissage d’ici la fin du premier trimestre 2023. Les fermes de la charpente seront ensuite être montées à blanc devant les ateliers dans les prochains mois avant d’être démontées, envoyées à Paris et remontées devant la cathédrale. "Les fermes du chœur et de la nef seront levées à l’été 2023", explique Benoît de Belleroche, directeur du projet Notre-Dame au sein des Ateliers Perrault. "Notre-Dame retrouvera sa charpente l’hiver prochain." Une année séparera donc les grumes bénies à Mauges-sur-Loire en ce froid matin de décembre des spectaculaires charpentes qui soutiendront et veilleront sur Notre-Dame de Paris. Une année de travail, de défis à relever, mais aussi certainement de joie du travail accompli et, qui sait, de grâce(s) pour ces nouveaux bâtisseurs de cathédrales.
Découvrez en images la bénédiction des grumes de Notre-Dame :
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