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Voir un empereur romain, à genoux, demander pardon à son peuple pour avoir ordonné de réprimer une insurrection par un massacre n’est pas banal ! C’est ce que Théodose 1er, dernier empereur de l’Empire romain encore unifié, a accepté de faire en 390, sur l’ordre de son conseiller spirituel, saint Ambroise. Il lui fallait, certes, être cohérent : pour avoir fait, dix ans plus tôt, du christianisme la religion officielle de l’Empire, et interdit toutes les autres, Théodose se devait de se soumettre à l’autorité de l’Église et de sa morale. L’évêque de Milan lui avait pourtant demandé de se montrer miséricordieux envers les Thessaloniciens révoltés, et pour cela — connaissant son esprit impulsif — de prendre le temps de réfléchir avant de prendre une décision. Mais l’empereur avait préféré écouter Ruffin, son conseiller politique, qui penchait, lui, pour une répression brutale et exemplaire. La repentance des dirigeants entrait ainsi, grâce au christianisme, dans l’Histoire. Ou plutôt le repentir, ce qui n’est pas tout à fait la même chose.
Du repentir au pardon
Car Théodose a demandé pardon pour un crime dont il portait lui-même, et seul, la responsabilité. Il ne l’a pas fait pour ceux de la République romaine, 450 ans plus tôt, quand Jules César faisait massacrer un million de Gaulois, ni pour ceux de ses lointains prédécesseurs Vespasien et Hadrien, qui dispersèrent le peuple juif après avoir détruit son temple. Il est bien plus difficile de demander soi-même pardon d’actes qu’on a soi-même commis, à ceux qui en ont été personnellement victimes, que de juger les actes commis, dans le contexte de leur époque, et eu égard aux valeurs en cours à leur époque, par ceux qui ne sont plus là pour se défendre !
Tous les souverains chrétiens n’ont certes pas été capables de tels repentirs. Le testament de Louis XVI en est toutefois un magnifique exemple. « Moi Louis XVIe du nom Roy de France, […] je prie tous ceux que je pourrais avoir offensés par inadvertance (car je ne me rappelle pas d’avoir fait sciemment aucune offense à personne), ou à ceux à qui j’aurais pu avoir donné de mauvais exemples ou des scandales, de me pardonner le mal qu’ils croient que je peux leur avoir fait. » À l’approche de l’heure de l’échafaud, le roi demande pardon… et pardonne. « Je pardonne de tout mon cœur à ceux qui se sont fait mes ennemis sans que je leur en aie donné aucun sujet, et je prie Dieu de leur pardonner ». Car au pardon demandé doit correspondre le pardon accordé : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. »
La repentance sans pardon
Magnifique originalité de notre civilisation chrétienne que cette capacité de chacun, fût-il empereur, ou roi, de demander pardon, et de pardonner ! Et elle s’en donne aujourd’hui à cœur joie, depuis la demande de pardon de saint Jean-Paul II, le 23 février 1992, à Gorée, pour la traite africaine vers les Amériques. Les actes de repentance se sont dès lors succédé, dans une véritable frénésie mémorielle, de Jacques Chirac reconnaissant la culpabilité de la France pour la rafle du Vel d’Hiv à Emmanuel Macron qualifiant la colonisation de l’Algérie de « crime contre l’Humanité », en passant par la loi Taubira créant une journée de la mémoire de l’esclavage… des Noirs par les Européens.
Être les seuls à savoir pardonner, et demander pardon, ne doit pas faire des peuples chrétiens, les coupables universels.
La violence et la radicalité des accusations que notre Occident chrétien porte sur lui-même ont viré à la frénésie avec la déferlante « woke », venue des États-Unis puritains et relayée, en France, par ce véritable clergé républicain que sont les universités, les médias et le monde du spectacle. La culpabilité occidentale, donc chrétienne, serait systémique : esclavage (comme si personne d’autre que nous ne l’avait pratiqué, et si nous n’en avions jamais été nous-mêmes victimes), colonisation (comme si nous avions eu le monopole de la constitution de vastes empires par la conquête), patriarcat (la faute à l’Église), etc… Attitude bien commode, qui consiste à se poser soi-même en parangon de vertu par l’accusation de nos aïeux, qui ont agi — bien ou mal — en fonction des critères moraux de leur temps, et ne sont plus là pour s’en défendre.
Une exception chrétienne
Cet océan de repentance aboutit toutefois dans un désert de la miséricorde, les peuples à qui elle s’adresse n’étant bien souvent pas portés sur le pardon, reçu ou donné : celui-ci, je le répète, est une exception chrétienne. On pourra demander autant de fois qu’on voudra pour la Shoah, ou pour la colonisation de l’Algérie, elles ne seront jamais pardonnées, c’est comme ça. Et quant à savoir si ceux qui exigent sans cesse des excuses, toujours insuffisantes, seraient à même d’en présenter pour ce qu’ils ont commis au cours des siècles — la traite barbaresque des esclaves chrétiens, par exemple, qui porta sur un million et demi de personnes du XVIe au XIXe siècle, ou encore mille ans de conquête et d’occupation islamique, arabe ou ottomane — nous pouvons toujours attendre ! Être les seuls à savoir pardonner, et demander pardon, ne doit pas faire des peuples chrétiens, les coupables universels.
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