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La Maison de Valois, qui accède au trône de France en 1328, lorsque Philippe VI succède à ses cousins de la branche capétienne directe, morts sans postérité masculine, a toujours tenu saint Michel pour son patron et l’a honoré comme tel. L’Archange ne l’oubliera pas et se fera son appui lorsque les rois d’Angleterre contesteront ses droits, faisant valoir qu’Edward III, petit-fils de Philippe IV le Bel par sa mère, Isabelle de France, est héritier plus direct, donc plus légitime.
La vaine prise du Mont Saint-Michel
Cette protection, saint Michel la manifeste hautement au début du XVe siècle, alors que le roi d’Angleterre Henry V, victorieux le 25 octobre 1415 à Azincourt, profite de la schizophrénie du roi de France, Charles VI, pour obtenir la main de sa fille, la princesse Catherine. Le roi anglais veut faire reconnaître la couronne aux enfants qui naîtront de ce mariage, au détriment du dauphin, le futur Charles VII, réfugié à Bourges avec ses derniers fidèles et déclaré bâtard sur les dires de sa mère, la reine Isabeau de Bavière.
Le premier soin des Anglais sera d’essayer de reprendre le Mont Saint-Michel, dont les Français ont fait une place forte admirablement protégée par la mer. Pendant plus de quinze ans, ils vont tout tenter pour s’en emparer, dépenser des sommes folles, jeter à l’assaut leurs troupes d’élite : en vain ! Les tentatives les mieux préparées se solderont par des échecs cuisants et les soudards anglais confesseront avoir vu, au côté de la poignée de chevaliers français épuisés, isolés, normalement voués à la défaite et à la mort, chevaucher un mystérieux cavalier nimbé de lumière, à la cuirasse d’une éclatante blancheur qui, avant de disparaître, retourne toujours la situation en faveur des défenseurs du Mont : l’Archange…
Boutés hors de France
Et puis, il y a cet été 1425 où Michel descend dans un jardin du Barrois, "vers l’heure de midi", dire à une fillette nommée Jeanne "la grande pitié qui est au royaume de France" et l’instruire de la mission dont le Ciel veut la charger, qui commencera par ce message porté au Dauphin de Bourges : "De par Messire Dieu, je vous dis que vous êtes vrai fils de roi et roi de France !" Jeanne périra sur le bûcher le 30 mai 1431 mais ses voix ne l’auront pas trompée et les Anglais seront comme elle l’a prédit, "boutés hors de France, hormis ceux qui y seront tués".
Cela, la famille royale ne l’oubliera pas et remerciera l’Archange pour son secours. Il sera désormais représenté, en compagnie de saint Gabriel, apparu lui aussi à Jeanne, soutenant le blason de France. Et le 1er août 1469, Louis XI, fils et successeur de Charles VII, grand dévot du Prince de la Milice céleste qu’il appelle familièrement "mon compère", fonde en son honneur un ordre de chevalerie : celui-ci exprime "la très singulière confiance et dévocion que nous avons à Monseigneur Saint Michel, premier chevalier qui, pour la querelle de Dieu, victorieusement batailla, et qui son lieu et oratoire [du Mont Saint-Michel] a toujours gardé et défendu sans être prins ne subjugué des anciens ennemis de la couronne de France et être invincible".
Le miracle d’Alençon
Signe de sa reconnaissance, Louis XI s’est déjà rendu en pèlerinage au Mont en 1462, ce qu’aucun roi de France n’avait fait depuis saint Louis. Il y retourne en 1471, afin de rendre grâce pour un miracle de protection. Cette année-là, le roi réside au château d’Alençon, car la cour, à l’époque, demeure itinérante, ce qui n’est ni pratique ni confortable mais permet de garder le contact avec les Français.
Donc, un bel après-midi d’été, le roi se promène dans le parc et emprunte, pour regagner ses appartements, une allée qui passe sous le rempart. Sur l’une des tours, invisibles d’en bas, il y a un page de quinze ou seize ans, l’un de ces jeunes nobles introduits dès l’enfance dans l’entourage royal pour y être éduqués en attendant d’aller combattre, et une fille de son âge, qu’il a attirée là-haut sous prétexte de lui montrer le roi, avec l’espoir de lui ravir un baiser, ou davantage… De la plateforme où ils sont, on ne voit pas le jardin, à la vive déception de la petite. Le garçon grimpe alors avec elle sur l’étroit chemin de ronde crénelé. Là, en effet, la vue est imprenable et les adolescents voient Sa Majesté rentrer de promenade et passer à leurs pieds. Seulement, le créneau est ancien, mal entretenu et nullement prévu pour que des jouvenceaux y fassent des cabrioles… L’un des merlons se descelle et tombe, droit sur l’auguste tête du roi ! Affolés, les deux imprudents poussent un cri, qui fait lever les yeux à Louis XI ; il bondit en arrière, juste à temps puisque sa robe sera "déchirée de bas en haut" par la grosse pierre. Le petit couple s’en sortira avec une belle réprimande.
L’ordre le plus noble d’Europe
Quant au roi, certain que, sans l’intervention de son "compère", il serait mort écrasé, il portera solennellement au Mont la pierre qui a failli le tuer et son habit en lambeaux, suspendus par une chaîne en ex-voto dans l’abbatiale. Il fera également ajouter aux armes du Mont, au-dessus du blason primitif, ce que l’on nomme en héraldique un "chef de roi", autrement dit une bande "d’azur aux fleurs de lis d’or" rappelant le blason de France.
L’Ordre de Saint Michel sera regardé comme le plus noble d’Europe. Il ne comptera que trente-six chevaliers, choisis parmi l’élite d’Occident, catholiques exemplaires. La fuite sur le champ de bataille, la désertion, la trahison en feront exclure d’office, comme l’hérésie, raison pour laquelle Henry VIII d’Angleterre en sera un jour expulsé. Le collier de l’Ordre pèsera deux cents écus d’or et sera composé de coquilles, symboles du Mont, et d’une médaille de l’Archange qu’il sera interdit de quitter. La Réforme, qui moquera le culte angélique, fera, à cent ans de là, sombrer dans l’oubli le plus glorieux des ordres de chevalerie, et les rois de France n’iront plus au Mont y vénérer l’Archange…