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Les saints bretons, mieux vaut le savoir, ont la mémoire longue, et, même parvenus au but dans l’Éternité bienheureuse, il peut leur arriver de se montrer vindicatifs… L’atteste l’histoire de Paterne, premier évêque de Vannes. Nous sommes à la fin du Ve siècle. Voilà quelques lustres que Paterne a rendu l’âme, le 15 avril 475, loin du diocèse vannetais dont il a pourtant obtenu la fondation en 465. S’il a dû le quitter et se retirer hors d’Armorique, c’est que l’évêque, homme au caractère bien trempé — mais tout l’épiscopat de cette époque troublée est ainsi composé de fortes personnalités, sinon tout irait à vau l’eau… — s’est mis rapidement tout le monde à dos. À cela, d’ailleurs, une première raison : Paterne n’est pas breton… et c’est évidemment très grave.
L’émigration des Bretons
Pour le comprendre, il faut revenir en arrière. Lorsque l’on parle de Bretagne, en ces derniers temps d’un empire romain d’Occident agonisant, l’on désigne l’île de Bretagne, la Grande-Bretagne actuelle, peuplée de Celtes romanisés convertis au catholicisme depuis plusieurs générations. Malheureusement, l’île lointaine, alors que les Barbares déferlent sur des provinces romaines que les légions n’ont plus les moyens de défendre, ne constitue pas pour le pouvoir impérial une priorité stratégique. L’important, c’est de protéger l’Italie et les armées cantonnées aux postes avancés ont été rapatriées. Cela n’a pas empêché deux millions de Germains de franchir le Rhin en décembre 405, fondre sur la Gaule, chevaucher jusqu’en Espagne et en Afrique du Nord, ravageant tout sur leur passage, ni, en août 410, les Wisigoths de prendre Rome, la piller et réduire en esclavage les habitants qui n’ont pu se réfugier dans les sanctuaires.
Pendant ce temps, les Bretons, qui n’entendent plus parler de l’empereur que lorsque le fisc vient leur réclamer les impôts, sont obligés de se défendre tout seuls contre d’autres Barbares : Saxons descendus de la Mer du Nord et Irlandais, jamais colonisés par Rome. Pour courageuses qu’elles soient, les milices bretonnes, écrasées sous le nombre, ne parviennent plus à les arrêter. Les Saxons prennent pied en Bretagne, s’y trouvent bien, et installent sur son sol des colonies de peuplement, commençant par chasser les légitimes propriétaires. Ce n’est pas le pire car les Celtes sont plus attachés à l’être qu’à l’avoir. Le vrai drame est que ces envahisseurs sont païens et haïssent les chrétiens. La destruction de leurs églises et monastères, l’interdiction de célébrer le culte catholique sont insupportables à ces gens pieux et, quand ils comprennent qu’il n’y aura pas de contre-offensive victorieuse et qu’ils ne reprendront pas leur patrie, ils décident, exceptés les Gallois à l’abri de leurs montagnes, afin de rester fidèles au Christ, de tout quitter et de partir.
Le cas particulier des Vénètes
Ainsi essaimeront-ils jusqu’en Galice espagnole et surtout en Armorique, juste de l’autre côté de la Manche. Cette installation se fait aisément, car l’invasion de 405 a ravagé le pays. Les Germains ont détruit les villes et villages qu’ils traversaient, massacré les habitants et emmené captives les jeunes femmes. Saint Patrick, débarqué peu après ces événements en Armorique, dira avoir marché trois jours sans rencontrer âme qui vive. L’Armorique est donc une terre sans hommes qu’il faut repeupler et les survivants sont soulagés de voir arriver ces cousins d’outre-Manche avec lesquels ils ont toujours commercé. La seule difficulté, mais elle sera vite réglée grâce au zèle apostolique des nouveaux venus et de leurs pasteurs, tiendra à l’attachement obstiné des Armoricains à leurs dieux ancestraux. Révoltés contre Rome dans les années 250, ils n’ont jamais toléré l’intrusion de missionnaires catholiques, assimilés à des collaborateurs de l’occupant, chez eux. En revanche, ils se laisseront évangéliser par d’autres Celtes.
Ce tableau s’applique imparfaitement au pays des Vénètes (l’actuel Morbihan, Ndlr). Tôt romanisés, ceux-ci sont loyaux sujets de l’Empire, attachés à sa langue, ayant peu ou prou oublié celle de leurs aïeux, convertis au catholicisme lorsque l’empereur l’a embrassé, suivant en matière de religion les directives de Rome et du pape. Paterne, Patern en breton, Badarn en gallois, comme son nom bien latin, Paternus, l’atteste, appartient à ce milieu gallo-romain. Le Vannetais ayant été épargné par les envahisseurs, la population de souche y reste nombreuse et se sent peu d’affinités avec les nouveaux venus. Certes, on accueille ces Britto-romains chassés de chez eux, par solidarité politique et religieuse, mais on s’étonne de les voir pratiquer un christianisme rigoriste, plein de particularismes jamais admis par le pape. On se querelle autour de la date de Pâques, le calendrier celtique ne se rangeant pas sur les usages romains. Et pour bien d’autres choses, de sorte que Paterne se trouve souvent en désaccord, voire en franche opposition avec une partie de ses ouailles, voire de son clergé.
Exaspéré, il quitte son diocèse
Il semble pourtant, si l’on peut se fier à ses hagiographes — car ceux-ci l’ont souvent confondu avec son homonyme, l’abbé gallois du monastère de Lannbadarn, ou avec l’évêque d’Avranches, un autre Paterne que les Normands nomment saint Paire — que notre Paterne ait fait des efforts d’assimilation louables, notamment en se rendant, en sa jeunesse, en Cornouaille britannique et au Pays de Galles, voire en Irlande où son père se serait retiré dans un monastère. Quoiqu’il en soit, tout cela n’a pas fonctionné et notre Paterne, définitivement trop gallo-romain, agace son monde, au point que personne ne fait rien pour lui simplifier la vie. Au contraire !
L’évêque, pour christianiser le territoire diocésain et multiplier les lieux de culte, ce qui évite aux fidèles de n’avoir qu’une messe, à la cathédrale, comme dans les temps anciens, a jeté son dévolu sur un terrain proche de Vannes. Il souhaite y élever une chapelle. Quand il propose au propriétaire de le lui acheter, Paterne se heurte à un non ferme et définitif. Certes, il pourrait chercher ailleurs mais cette rebuffade est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Exaspéré, l’évêque abandonne son siège, quitte la région, se retire en Romania, cette partie de la Gaule, entre Seine et Loire, où un patrice exerce encore le pouvoir au nom de l’empereur. On ne le reverra jamais, il mourra loin de Vannes. En fait, les Vannetais ont été plutôt soulagés du départ de leur atrabilaire évêque et la nouvelle de sa mort ne les a pas plongés dans le deuil et l’affliction. Cela ne va pas durer…
Et la pluie revînt
Les années passent mais, voilà qu’après quelques lustres, donc, une sécheresse exceptionnelle frappe la région. Pas une goutte de pluie des mois durant, cours d’eau et fontaines à sec, sources qui tarissent, récoltes qui grillent sur pied, bétail qu’il faut abattre faute d’herbe. Désastre absolu… Il faut trouver une explication à cette calamité, tenter de comprendre quand, comment et pourquoi l’on a irrité le Ciel. C’est alors que l’on se rappelle l’affaire du terrain refusé à Paterne et son départ en exil. Ce pourrait être la cause des problèmes. Une délégation, dont fait partie le propriétaire qui a osé refuser son bien au saint homme, se rend au tombeau de Paterne afin d’y faire amende honorable, puis, si possible, ramener l’évêque chez lui.
Les torts ainsi publiquement réparés, Paterne intercédera auprès de Dieu et obtiendra le retour de la pluie. Les diocésains repentants parviennent en effet au tombeau mais, quand il s’agit d’en sortir le cercueil pour l’emmener, rien à faire ! Impossible de le soulever, même en s’y mettant à dix ou quinze. Devant le miracle, qui atteste du mauvais vouloir du défunt, et de sa mauvaise humeur persistante, chacun regarde méchamment le riche homme qui a refusé son terrain ; celui-ci se voit contraint de promettre de donner le lopin réclamé.
Promesse faite solennellement, Paterne, satisfait, daigne laisser transporter son cercueil. Et la pluie revient. On l’inhumera dans la chapelle neuve qui prendra son nom, Saint-Paterne, et non, selon l’usage, dans sa cathédrale. Cela provoquera d’ailleurs de nouvelles querelles, quand les chanoines de Saint-Pierre de Vannes s’aviseront, au Moyen Âge, que la notoriété de Paterne, devenu l’un des sept saints fondateurs des évêchés bretons, draine, lors du Tro Breiz, les foules vers son église au détriment du siège épiscopal et tenteront d’interdire l’exposition de ses reliques. En pure perte ! Paterne n’est-il pas l’irremplaçable intercesseur qui veille sur les récoltes vannetaises, fait tomber l’eau quand elle est nécessaire et protège son diocèse ingrat mais repentant de toutes les calamités ?