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Le mal-être des jeunes était déjà préoccupant avant la crise sanitaire, mais cette dernière a nettement aggravé la situation. Les prescriptions de psychotropes chez l’enfant s'accroissent depuis 2010. Entre 2014 et 2021, les données fournies par l’Assurance Maladie démontrent une augmentation de la consommation de psychotropes : +49% pour les antipsychotiques, +63% pour les antidépresseurs, +78% pour les psychostimulants et +155% pour les hypnotiques. En 2010, la prévalence de la consommation de psychotropes chez l’enfant, déjà élevée, atteignait 2,5%.
Le présent rapport, dévoilé ce lundi 13 mars et intitulé Quand les enfants vont mal, comment les aider ?, alerte sur le fait que cette consommation a doublé en 10 ans, et concernerait aujourd’hui plus de 5% des enfants et des adolescents de 6 à 17 ans. Cela représente un enfant sur 20. Une particularité française puisque ce pourcentage est "sans commune mesure avec les consommations observées dans les pays européens et en Amérique du Nord, y compris dans les pays très prescripteurs".
Augmentation des troubles psychiques chez les jeunes Français
Si la santé mentale des jeunes était déjà fragile en France, la pandémie a accentué le phénomène : selon l’ANSM/EPI-PHARE, pour la seule année 2021, la consommation de psychotropes chez l’enfant et l’adolescent a augmenté de +16% pour les anxiolytiques, de +224% pour les hypnotiques, de +23% pour les antidépresseurs, et de +7,5% pour les antipsychotiques. Ces augmentations sont 2 à 20 fois plus élevées que celles observées au niveau de la population générale. En outre, l’écart considérable entre la consommation attendue et la consommation observée permet de conclure à un phénomène de sur-médication. Une sur-médication qui ne concerne pas des cas isolés mais "bien des milliers d’enfants", souligne le rapport.
Selon un sondage publié en mars 2022 pour l'association Psychodon, un jeune de 16 à 24 ans sur quatre déclare être malheureux et 24 % des jeunes sondés déclarent avoir des pensées suicidaires au quotidien. "Si le sondage portait sur les 14-16 ans voire même sur les 12-14 ans, on trouverait les mêmes chiffres ; il y a beaucoup de passages aux urgences pour des pensées suicidaires voire des passages à l’acte chez les adolescents avec des scarifications, des intoxications médicamenteuses volontaires", estime Alice Oppetit, pédopsychiatre à la Pitié Salpêtrière à Paris.
Nos services d’urgences pédiatriques connaissent depuis l’automne 2020 une "épidémie" de recours pour motifs psychologiques.
En France, depuis plus de deux ans, le nombre de consultations pour geste suicidaire augmente, et concerne majoritairement les filles. Ainsi, le nombre d’admission des moins de 15 ans à l’hôpital Robert Debré pour tentative de suicide a augmenté de 299% entre 2019 et 2021. Dans une tribune du 16 mars 2021, Thierry Lang, épidémiologiste, témoignait de l’évolution des admissions aux urgences depuis la crise du Covid : "Nos services d’urgences pédiatriques connaissent depuis l’automne 2020 une "épidémie" de recours pour motifs psychologiques (anxiété, tentatives de suicide, crises, etc.)... Ces admissions ont augmenté de 40 % à 70 %, selon les régions".
D’où vient ce mal-être croissant chez les enfants et les adolescents ? Si les causes, complexes et multiples, divisent les spécialistes, le rapport évoque néanmoins certains facteurs sociaux et environnementaux tels que la crise sanitaire, la guerre en Ukraine, l’éco-anxiété, les crises économiques et inégalités sociales…
Faiblesse de l’offre de soins
Si la demande de soin est criante, l’offre de soins, elle, s’avère trop faible. Un déficit dû à des délais d’attente trop longs (délais d’attente de 6 à 18 mois), à la saturation des services, au manque de coordination du système de soin spécialisé, à l’inadéquation de sa répartition sur le territoire et à une baisse démographique de soignants spécialisés. Sur ce dernier point, le rapport constate que seuls "597 pédopsychiatres sont recensés" au 1er janvier 2020, avec un âge moyen de 65 ans.
Faute de spécialistes, la majorité des consultations de l’enfant est réalisée par le médecin généraliste.
"Quand une jeune adolescente arrive aux urgences pour une tentative de suicide, on sait a priori comment la prendre en charge. Des médicaments au départ, et deux trois séances de psychothérapie par semaine. Mais voilà, on sait que vu la crise actuelle, elle n'aura pas accès à ces séances", constate Bruno Falissard, psychiatre, auditionné par le HCFEA le 20 mai 2022.
Cet écart entre la demande et l’offre de soin crée "un effet ciseau" : l’offre pédopsychiatrique est en net recul et ne permet plus d’accueillir dans des délais raisonnables les enfants et les familles. "Faute de spécialistes, la majorité des consultations de l’enfant est réalisée par le médecin généraliste", constatent les auteurs.
Non-respect des normes réglementaires
En raison du déficit chronique d’une offre de soins adaptée, les prescriptions de psychotropes explosent, alors même que l’indication ne correspond pas, en première intention, à la situation de l’enfant. Plus inquiétant, certaines prescriptions de psychotropes ne respectent pas les réglementations des autorités de santé. Ainsi, 68% des prescriptions de psychotropes réalisées dans un hôpital pédiatrique parisien étaient hors AMM (autorisation de mise sur le marché), dénonce le rapport. "Ces prescriptions hors AMM touchaient 66% des patients et concernaient essentiellement la prescription chez l’enfant de médicaments réservés à l’adulte", constatent les auteurs, qui soulignent également d'autres dérives : prescriptions avant l’âge de 6 ans, durées de traitement particulièrement longues alors que les études et les agences de santé recommandent des prescriptions de court terme, prescriptions hors diagnostic…
Pourtant, le rapport rappelle que les consensus internationaux demeurent réservés quant à la prescription de médicaments psychotropes chez l’enfant et l’adolescent. Ils soulignent notamment "la rareté d’études robustes sur l’efficacité des traitements médicamenteux chez l’enfant, les effets indésirables importants et une balance bénéfice/risque qui conduit à un nombre limité d’AMM". En France, la HAS et l’ANSM soulignent la nécessité d’un usage raisonné des médicaments psychotropes, les préconisent en deuxième intention et, dans les cas les plus sévères, toujours après et en association avec les pratiques psychothérapeutiques.