C’est une description précise et honnête de la maladie que beaucoup ne considèrent pas comme une vraie maladie psychique. Pleine d’énergie, joyeuse, meneuse dans son groupe d’amis, mais hypersensible, Clotilde Margottin entre dans la vie d’adulte sans embûches. Journaliste de télévision, jeune mariée, sa vie a toutes les promesses de la réussite. Les apparences aussi. Elle-même n’a pas prêté attention aux signes avant-coureurs. Un jour, elle s’effondre. Tous les obstacles sont devenus insurmontables. Le découragement, le désespoir, la honte et la peur s’amoncèlent sur un épuisement chronique et un sentiment de solitude accompagné de culpabilité. Tout la paralyse jusqu’aux pensées suicidaires qui l’inclinent inconsciemment vers la seule issue possible.
Dans son livre Se relever toujours, Clotilde Margottin, mariée, mère de cinq enfants, journaliste radio et accompagnatrice en sortie de crise personnelle à la suite de la dépression, livre un témoignage saisissant sur sa traversée de la maladie. Elle évoque son cheminement intérieur et intime, physique et spirituel, jusqu’à pouvoir dire enfin « je suis guérie ». Son récit dépeint par petites touches, avec parfois des étincelles magnifiques, comment la guérison s’est opérée, pour la transformer profondément et lui donner une force rayonnante.
Aleteia : Vous aviez 21 ans, la vie d’adulte commençait à se dessiner : amoureuse, confiante, croyante, avec un diplôme d’école de journalisme en poche… Comment imaginiez-vous votre avenir à cette époque ?
Clotilde Margottin : En amour, j’étais complètement fleur bleue. J’imaginais que la vie était un vrai conte de fée. Très amoureuse, j’avais une confiance immense en François-Xavier, mon futur mari. Il était beau, il me rassurait, on avait plein de projets. Je ne voyais que l’amour entre nous deux et la famille qu’on allait fonder. Si je voulais m’occuper des enfants, c’était sans laisser de côté ma vocation de journaliste. D’ailleurs, très rapidement, j’ai commencé à travailler pour KTO, la chaîne de télévision catholique.
Tout se déroulait de façon fluide, vous écrivez dans votre livre que vous ne connaissiez aucune embûche à cette époque... Jusqu’à l’accouchement de votre fille qui ne se passe pas bien. Une erreur médicale qui va avoir des conséquences…
Je l’ai subie au moment de la pose de la péridurale, où j’ai eu une brèche. L’anesthésiste a effectué l’injection… en parlant au téléphone. Elle a mal calculé la dose. Le désastre a été grave, les conséquences sur ma santé ont duré plus de dix ans. Je me suis bien doutée qu’il se passait quelque chose d’anormal, ce qui m’a rendu bien fragile alors que je devenais mère.
Vous évoquez d’ailleurs un mauvais climat dans cette maternité…
Je dirai même que ce climat n’était pas bienveillant. Je suis arrivée à la clinique privée réputée tôt le matin. On m’a allongée sur le dos sans me donner d’autre consigne. C’était mon premier accouchement, je n’osais rien demander. Comme je n’avais pas d’expérience, je suis restée toute la journée sur mon lit à subir les contractions, ignorées par les infirmières. Douze heures plus tard, toujours en « pré travail », j’avais froid. J’ai demandé une couverture à l’anesthésiste qui préparait alors la péridurale. Elle a éclaté de rire en disant : « Ah vous avez froid ! Alors attendez un peu, vous allez vous réchauffer en accouchant ». D’autres commentaires dans le même esprit ont suivi. Cette succession d’indélicatesses m’a beaucoup fragilisé au moment crucial de ma vie : je devenais mère pour la première fois. Bien sûr, la naissance de notre fille a été un merveilleux moment, une joie immense. Mais en même temps, je n’arrivais pas à me remettre des nausées, des migraines et des douleurs qui ne s’arrêtaient pas.
Après la naissance, le post-partum s’est mal passé, vous culpabilisiez beaucoup. Comment l’expliquez-vous ?
Il y avait un contraste entre cet état anormal que je ne comprenais pas et les joies de la maternité que mes proches louaient en voyant mon magnifique bébé. À peine maman de quelques jours, je culpabilisais de ne pas être à la hauteur, tout en souffrant en silence de l’incompréhension et du mal être que je ressentais.
C’est le début de cette longue dépression qui va vous conduire, quelques années plus tard, à une tentative de suicide ?
Ce que j’ai alors vécu, c’est une dépression post partum de six mois, intensifiée par l’erreur médicale. Mais s’il n’y pas de lien direct entre cette dépression post partum et ma dépression sévère, cette étape m’a fragilisée. Le mécanisme qui s’est mis alors en place était similaire à celui qui, beaucoup plus grave, aurait lieu plus tard.
Après un temps d’accalmie marqué par deux naissances qui se suivent, l’épreuve de la mort de votre beau-père très jeune qui fragilise votre mari François-Xavier et juste après, la maladie de votre propre père, ont déclenché cette fois une dépression sévère…
Il était difficile d’imaginer ce que je vivais. Les apparences étaient trompeuses. À l’époque, nous avons quitté Paris pour déménager dans la région de Genève. C’était le début d’une vie très confortable dans un bel appartement avec vue sur le lac… J’étais enceinte de mon quatrième enfant et face à la maladie grave de mon père, je me suis écroulée. C’était un mélange d’impuissance, de tristesse et d’épuisement, avec un sentiment d’échec qui ne me quittait plus. J’étais paralysée par la moindre tâche comme celle de mettre trois assiettes pour faire dîner les enfants. C’était au-dessus de mes forces. Je ne pouvais plus gérer ma vie, ni celle de ma famille. Je la subissais. Avec François-Xavier, on ne se comprenait plus. Tout en essayant de s’épauler, on ne concevait pas la peine de l’autre. On était comme deux pauvres qui essayaient d’avancer sans avoir les moyens d’y arriver. Et c’est au moment de la mort de mon père que la dépression grave s’est installée pour de bon.
Ce jour-là, au lieu de déjeuner avec les autres, je suis montée dans une chambre tout en haut de la maison. La fenêtre était ouverte. Tout d’un coup j’ai senti que c’était la solution. Sauter, pour en finir avec mes tourments, pour stopper la souffrance...
Comment les idées suicidaires vous ont-elles envahi ?
C’’était au mois d’août. Je passais les vacances d’été dans notre maison familiale, en Vendée. Chaque année, toute la famille s’y retrouvait le 15 août pour la fête de l’Assomption. Alors que d’habitude, ces moments passés ensemble étaient pleins de joie et de légèreté, cette fois-ci, c’était l’inverse. Des questions ou des affirmations négatives comme « Pourquoi je vis » « À quoi ça sert ? » « Je suis à bout », « Je n’ai plus la force de me battre » me poursuivaient. Elles se mêlaient à la peur du retour des vacances. Le quotidien que je devais à nouveau subir me paraissait insurmontable. Ce jour-là, au lieu de déjeuner avec les autres, je suis montée dans une chambre tout en haut de la maison. La fenêtre était ouverte. Tout d’un coup j’ai senti que c’était la solution. Sauter, pour en finir avec mes tourments, pour stopper la souffrance. Bref, en finir avec le désespoir. Dans ma tête, en me jetant dans le vide, j’améliorais une situation invivable pour tout le monde. C’était une issue au mal.
C’est au moment où vous passiez à l’acte qu’on vous a rattrapé de force…
C’est mon frère et ma sœur ainée qui m’ont saisie à quatre mains. Cette double tenaille m’a ramenée à la réalité. Inconsciemment, je crois que j’attendais ce geste de leur part. Quelques instants plus tard, ils m’ont posé cette question « Comment ça va, vraiment ? » Cela a été le déclic. J’ai explosé en sanglots. Ensuite, j’ai pu leur confier tout mon désespoir. Ce « comment ça va, vraiment » m’a libéré. Cette question m’a permis d’écrire ce soir-là dans mon carnet le mot « guérison » en lettres majuscules. C’était le premier pas. Mais j’ai aussi compris assez vite qu’aucun proche – ni mon mari, ni mes frère et sœurs – ne pourraient réellement m’aider dans ma guérison. Il fallait que j’y arrive seule.
Pourquoi ?
Parce que quelqu’un qui souffre de dépression a besoin d’un regard extérieur, en dehors du cercle familial. Un regard extérieur, c’est-à-dire celui d’un professionnel de santé, car il s’agit bien d’une maladie. J’ai pris alors une décision radicale : partir me soigner dans une clinique psychiatrique. C’était le début de la mise en place d’un plan de sauvetage.
Ma décision lui a fait baisser les armes. Mon mari est sorti de la logique de survie dans laquelle il s’était réfugié pour ne pas se faire écraser par ma maladie.
Quelle a été la réaction de votre mari ?
Ma décision lui a fait baisser les armes. Il est sorti de la logique de survie dans laquelle il s’était réfugié pour ne pas se faire écraser par ma maladie. Mon mari a été soulagé et aussi impressionné par ma décision radicale qu’il a trouvé courageuse. Et c’est à ce moment-là que la tendresse et la bienveillance ont soudainement réapparu entre nous. Nos échanges sont devenus plus sereins. En fait, c’était non seulement le début de ma guérison, mais aussi celle de notre couple.
C’est-à-dire ?
Je pense que notre relation a basculé une fois que le diagnostic a été posé : une fois que ma maladie a été nommée par une tierce personne, par un professionnel. Quant à moi, j’ai capitulé et accepté la faiblesse. François-Xavier à son tour devait accepter ma maladie. C’est depuis ce jour, que nous avons cessé de nous accuser mutuellement. Et il y a eu à ce moment une véritable grâce qui nous a permis d’accepter nos limites et d’essayer de transformer cette épreuve en force. Concrètement, pour François-Xavier, cela signifiait renoncer à toutes les activités extérieures et se concentrer exclusivement sur nos quatre enfants… et sur moi, son épouse malade.
Comment vos enfants âgés alors seulement de 7, 6, 3 et 2 ans ont vécu ce temps de séparation ?
Au moment où je devais partir en clinique, on avait réuni toute la famille dans le salon. C’est mon mari qui a annoncé la nouvelle. Je n’oublierai jamais ma fille de 6 ans qui a dit « Moi, je sais que Maman est malade, ça se voit ! ». Les autres m’ont confié leurs angoisses bien plus tard. Une autre fille aura la délicatesse d’attendre mon retour à la maison pour me dire : « Comme tu n’es plus malade, je peux te raconter comme j’ai eu peur ». Et l’autre me confiera : « J’étais contente que tu partes pour te guérir, c’est beaucoup mieux maintenant. » Les enfants voient tout et comprennent tout.
Nous avons formé un vrai tandem médecin-patiente. C’est ce qui m’a permis de retrouver petit à petit confiance en moi. C’est ainsi que la guérison a commencé à opérer.
Comment s’est passée votre hospitalisation ?
Une fois derrière la porte de la clinique, j’ai senti rapidement un sentiment d’apaisement. Beaucoup de soins, beaucoup de douceur, beaucoup d’attentions. Les journées étaient ponctuées de repos, d’ateliers, de cours… mais surtout de beaucoup d’écoute, sans jugements ni leçons de morale.
Vous parlez dans votre livre de l’importance de la relation avec le médecin…
À mon arrivée, il m’a félicitée en me disant que j’avais déjà franchi un pas vers la guérison en décidant moi-même de me faire soigner. Nous avons formé un vrai tandem médecin-patiente. C’est ce qui m’a permis de retrouver petit à petit confiance en moi. J’avais vraiment l’impression d’être au bon endroit au bon moment. C’est ainsi que la guérison a commencé à opérer.
Avez-vous appris à mieux vous connaître ?
On m’a fait faire des tests de capacité intellectuelle et de personnalité qui m’ont permis de comprendre que j’étais partagée entre une grande sensibilité, une soif d’idéal et une volonté de fer. J’avais combattu sans en avoir conscience et je m’étais épuisée… Ma guérison devait consister alors à ordonner toutes ces composantes, les meilleures comme les pires. D’abord à la clinique, ensuite avec un suivi médical et un traitement assez lourd, une fois rentrée chez moi. Une guérison qui a pris plusieurs années avec des périodes de plateau comme de progrès.
Avec cette épreuve, après un temps où François-Xavier et moi, nous ne comprenions pas la souffrance de l’autre, nous nous sommes petit à petit retrouvés.
Comment s’est passé le retour à la maison ?
Je me souviendrai de cette journée toute ma vie. Les enfants m’attendaient. Je les sentais un peu intimidés, se précipitant dans mes bras et s’assurant aussi de la présence réconfortante de leur père. Ils m’ont fait comprendre, avec leurs mots et leurs gestes, tout l’amour qu’ils avaient pour moi. J’étais leur mère, je n’avais jamais cessé de l’être, mais leur amour et leur tendresse m’ont énormément aidé.
Avez-vous senti la présence de Dieu dans votre guérison et celle de votre couple ?
Le sacrement du mariage a toujours été pour François-Xavier et moi quelque chose de très important. Celui que j’ai épousé, ce n’était pas juste parce qu’il était beau, mais parce qu’il y avait une alchimie des cœurs. J’avais une conviction profonde que nous nous sommes engagés à trois, avec le Christ. Donc nous savions intérieurement que nous n’étions pas seuls et que Dieu ne nous abandonnerait jamais. Avec cette épreuve, après un temps où nous ne comprenions pas la souffrance de l’autre, nous nous sommes petit à petit retrouvés. À mon retour, l’organisation à l’ancienne de notre vie familiale a dû changer : le modèle du mari qui travaille beaucoup à l’extérieur et de la mère qui s’occupe des enfants n’était plus viable. Au contraire. J’ai été édifiée de voir comment François-Xavier s’est mobilisé pour gérer notre quotidien. Sa place auprès de nos enfants m’a beaucoup touchée et m’a donné du courage pour progresser chaque jour.
Nous avons approfondi et étoffé notre vie de prière en couple. Nous aimions dire à Jésus : « Prie pour notre famille et l’épreuve qu’elle traverse. » J’ai intégré un groupe Spimaman pour prier via internet. Quant à François-Xavier, il a trouvé de son côté un groupe de prière des pères. C’était un soutien très important pour lui comme celui de son père spirituel. Ce dernier lui a dit un jour : « Regarde ta femme comme le Christ. Occupe-toi d’elle comme si tu t’occupais du Christ ». Ensemble, nous avons fondé une Équipe Notre-Dame. La vraie expérience spirituelle est celle de la fragilité et de l’amour débordant. C’est ce que j’ai vu dans notre cheminement de couple face à ma maladie.
Après deux ans et demi de traitement et cinq ans de convalescence, vous êtes aujourd'hui guérie. La vie normale peut reprendre. Craignez-vous une rechute ?
Non, car je suis avertie ! Lorsque je décrypte les signes dangereux tels que la fatigue, le stress, le manque de sommeil, les mauvaises nouvelles je reste très prudente. En même temps, ma guérison grâce au travail de psychothérapie m’a donné des armes. Elle m’a également permis d’approfondir et d’affermir ma vie de foi. Quoique je vive, je suis aimée de Dieu. Aujourd’hui je le sais, il y a ce passage de la Bible : « Tu as du prix à mes yeux et je t’aime telle que tu es ». Il reste gravée dans mon âme.
Pratique :
Webinaire de Clotilde Margottin : jeudi 27 janvier 2022 à 21h.