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Alors que des affaires d’abus et de pédophilie secouent l’Église catholique un peu partout dans le monde, un livre publié le 8 mars en Pologne, Maxima culpa. Jean Paul II savait, du journaliste néerlandais Ekke Overbeek, suscite dans le pays une vive polémique précédée quelques jours plutôt par la diffusion d'un documentaire de la télévision privée polonaise TVN produisant des accusations semblables.
Selon le journaliste néerlandais, le cardinal Karol Wojtyla, alors évêque de Cracovie était au courant d’affaires de pédophilie dans son diocèse. Toujours selon lui, le cardinal transférait les prêtres en question d’une paroisse à l’autre pour éviter le scandale. Le futur Jean Paul II aurait ainsi couvert des cas de pédophilie au sein du clergé du diocèse, et continué à le faire en tant que pape pendant tout son pontificat.
Quatre cas de pédophilie entre 1960 et 1973
Dans son livre, Ekke Overbeek décrit le cas de quatre prêtres du diocèse de Cracovie accusés d'avoir abusé de mineurs : Kazimierz Lenart, accusé d'avoir abusé d'adolescentes en 1969, déplacé de paroisse en paroisse et finalement suspendu en 1979 par le cardinal Franciszek Macharski, successeur de Wojtyla ; Jozef Loranc, auteur en 1970 d’abus envers des collégiennes et qui, après avoir avoir passé quelque temps en prison, a repris son travail pastoral ; Eugene Surgent condamné à trois ans de prison pour avoir abusé de jeunes garçons en 1973 mais déplacé à sa sortie de prison dans un diocèse ; enfin le dernier cas concerne le responsable de la catéchèse de la curie, accusé en 1960 par des mères d’avoir abusé de leurs fils. Il est alors envoyé par le cardinal Wojtyla en Autriche.
L'enquête a été menée principalement sur la base des archives des agents secrets communistes. Une démarche remise en question par certains historiens.
L'enquête d'Overbeek a été menée principalement sur la base des archives de l'Institut polonais de la mémoire nationale IPN, qui conserve notamment les rapports des agents secrets communistes UB (l’équivalent polonais du KGB, ndlr). Une démarche remise en question par certains historiens ayant l’habitude et la compétence d’analyser ce type de documents et qui, par définition, se posent cette question : ces documents sont-ils fiables ?
Une enquête remise en question
L’auteur veut répondre dans son livre à deux questions. Tout d’abord la principale, déjà contenue dans le titre "Que savait Jean Paul II ?". Quand on s’y penche de plus près, cette question s'avère équivoque : Il serait étrange que le cardinal Wojtyla, en tant qu’évêque diocésain pendant 14 ans (de 1964 à 1978), n'ait pas été confronté à de tels cas. D’ailleurs, ceux des pères Surgent et Lenart ont été récemment décrits par deux journalistes polonais Tomasz Krzyżak et Piotr Litka, dans le quotidien Rzeczpospolita. Ils y ont démontré qu'en sanctionnant le père Lenart, le cardinal Wojtyla s'en tenait strictement au droit canonique en vigueur à l'époque. Quant à Ekke Overbeek, il n’a pas la même vision des faits. De même, il semble ignorer la situation juridico-canonique du père Surgent, qui appartenait au diocèse de Cracovie mais relevait formellement de l'évêque de Lubaczow (Sud-est). C'est ce dernier, et non Wojtyla, qui avait le dernier mot à son sujet en matière pénale.
Pour l’historien Marek Lasota, le livre "dévoile à la fois le manque de connaissances des réalités historiques de la Pologne et celui de fiabilité dans la critique des sources".
La deuxième question à laquelle Ekke Overbeek tente de répondre concerne la manière dont le cardinal Wojtyla a réagi face à ces situations. La réaction prudente de Jean Paul II au problème de la pédophilie dans l'Église peut-elle être justifiée par le fait que sous le régime communiste, ce dernier utilisait sa connaissance des cas des prêtre pédophiles pour lutter contre l'Église ? Pour l’auteur du livre, une telle argumentation est indéfendable.
Selon l'historien Marek Lasota interrogé par l’agence catholique KAI, il ne faut pas oublier que les services secrets organisaient systématiquement des fausses preuves de ce type de scandale pour compromettre des prêtres. Le cardinal Wojtyla en a été lui-même plusieurs fois la victime. Pour l’historien, le livre du journaliste néerlandais "dévoile à la fois le manque de connaissances des réalités historiques de la Pologne alors sous régime totalitaire et celui de fiabilité dans la critique des sources". "Il faut tenir compte du fait que le cardinal Wojtyła n'a pas pu traiter tous les cas d’abus personnellement et que même si certains documents parvenaient à la curie, il n'était pas forcément au courant de toutes les situations concernant les 1.500 prêtres de son diocèse", explique-t-il.
Appel à ne pas détruire l’héritage de Jean Paul II
Selon Marcin Przeciszewski, directeur de l’agence KAI, afin d'expliquer de manière fiable les cas de prêtres qui ont abusé sexuellement de mineurs à l’époque, il est essentiel d’effectuer une recherche appropriée dans les archives de l'Église. "Il ne s'agit pas de puiser sans esprit critique dans les dossiers des services secrets communistes, mais de comparer et de confronter ces documents avec les informations contenues dans les archives de l'Église", a-t-il déclaré à Aleteia. Il serait nécessaire dans ce cas de lever le secret de tels dossiers (c’est-à-dire abandonner la règle de confidentialité de 50 ans). "Il semble urgent et nécessaire de le faire pour le bien commun", insiste-t-il.
Défendre la sainteté et la grandeur de Jean Paul II ne signifie pas, bien sûr, dire qu'il ne pouvait pas se tromper.
De son côté, le président de l’épiscopat polonais, Mgr Stanislas Gadecki, a appelé ce jeudi "toutes les personnes de bonne volonté à ne pas détruire le bien commun et l'héritage de Jean Paul II qui en fait incontestablement partie". Dans sa déclaration, il a notamment rappelé qu’en promulguant le 30 avril 2001, le motu proprio Sacramentorum sanctitatis tutela, qui "considère le mal fait à un enfant dans le domaine sexuel comme l'un des crimes les plus graves", Jean Paul II a obligé tous les épiscopats du monde à introduire des normes de conduite détaillées dans de tels cas. C'était une décision sans précédent", a-t-il écrit. "Défendre la sainteté et la grandeur de Jean Paul II ne signifie pas, bien sûr, dire qu'il ne pouvait pas se tromper. Être pasteur de l'Église à l'époque de la division de l'Europe entre l'Occident et le bloc soviétique signifiait affronter des défis difficiles. Il faut également être conscient qu'à cette époque, non seulement en Pologne, les lois étaient différentes de celles d'aujourd'hui, la conscience sociale et les manières coutumières de résoudre les problèmes étaient différentes.
Jean Paul II et la sainteté imparfaite
"En pensant au Pape, je ne peux pas - et je ne veux pas - faire abstraction du sentiment de gratitude infinie qu’il a été notre soutien, notre guide et notre témoin d'espoir dans des temps sombres de la Pologne sous régime communiste", a écrit Henryk Wozniakowski dans une tribune de la revue prestigieuse catholique Wiez. Ce membre historique de l’opposition, a été longtemps le président de la maison d’édition catholique Znak, protégée à l’époque par le cardinal Wojtyla. "J’ai la profonde conviction que Jean Paul II n'a pas eu accès à toute la vérité sur les horreurs des crimes pédophiles. En d'autres termes, si toute la vérité l'avait atteint, alors il aurait certainement pris des des mesures plus décisives. Il semble qu’il a plutôt confié ce sujet à d'autres responsables de la curie en qui il faisait pleinement confiance, et que ce sont plutôt ceux-ci qui ont trahi cette confiance", commente-t-il. Dans la même revue, le philosophe Karol Tarnowski ajoute de son côté cette précision : "Sans cette confiance dans les gens, Jean Paul II aurait peut-être été un chef d'État ou d'institutions plus efficace, mais il n’aurait pas été un saint qui, par définition, est un homme qui aime les gens et qui leur fait confiance".