Léa, graphiste de 31 ans, a un peu de mal à raconter son histoire. "Rompre ses fiançailles, c’est presque comme un divorce. La tristesse se mélange avec la honte et la peur d’être jugée. Avec mon fiancé, Paul, nous avons décidé de nous séparer trois mois avant la date du mariage. Pourtant tout semblait aller très bien. Nous étions amoureux, nous avions les mêmes passions, les valeurs dans lesquelles nous avions été élevés concordaient. Assez rapidement, j’ai fait connaissance avec ses parents, comme Paul avec les miens. Les fiançailles ont eu lieu dix mois plus tard. Nous vivions déjà ensemble. Mais au bout d’un an de vie à deux, Paul commençait à avoir des petits moments de peur", confie Léa.
Il craignait de quitter notre de style vie "sympa" et "libre", fait de virées chaque week-end et de sorties improvisées avec des copains. C’est, en fait, au moment du choix de l’appartement que le couple voulait acheter ensemble que tout s’est accéléré. Un soir, alors qu'ils parlaient des préparatifs du mariage, Paul a dit à sa fiancée qu’il avait décidé de la quitter car il ne se voyait pas dans une vie conjugale qui se réduisait pour lui à la vision : métro, boulot, dodo. "Après le choc, j’étais dans une terrible détresse et la honte de devoir l’avouer autour de moi", poursuit-elle.
On annonce – on dénonce – on renonce
S’il n’y a pas de statistiques concernant le nombre de fiançailles rompues, ce dernier est certainement plus important qu’on le pense. Car c’est un sujet qui reste tabou. "La douleur des fiançailles rompues est d’autant plus violente qu’il s’agit d’un échec public. L’annonce des fiançailles, c’est passer de la sphère privée à la sphère publique. Les fiancés se retrouvent alors dans une sorte de triangle de décisions pleines de conséquences : on annonce – on dénonce – on renonce", explique à Aleteia Nadine Grandjean, conseillère conjugale et fondatrice du Cabinet Raphaël. Elle souligne ce phénomène de plus en plus fréquent aujourd’hui : des jeunes qui vivent ensemble sans se fiancer, qui prévoient de se marier et qui finalement se séparent au bout de quelques années. "Ils ne se fiancent pas, mais ils achètent un appartement commun, un paradoxe qui peut souvent être le déclencheur de la rupture. Car il s’agit du premier pas concret dans une vie conjugale qui, d’un coup, fait peur", remarque-t-elle.
Léa se souvient encore de ce sentiment d’être dévastée et de devenir à ses yeux comme aux yeux des autres la personne qui n’était pas à la hauteur...
D’ailleurs, même ceux qui rompent leurs fiançailles préfèrent parler non pas d’une rupture mais d’une "séparation". Pour eux-mêmes comme pour leurs proches, c’est un mot qui semble plus acceptable. Il atténue peut-être l’impact des doutes et des questionnements : Qui a fauté ? Qui a manqué ? Qui n’a pas voulu se marier ? Léa se souvient encore de ce sentiment d’être dévastée et de devenir à ses yeux comme aux yeux des autres "la personne qui n’était pas à la hauteur". Même si elle reconnaît aujourd’hui que ses fiançailles devaient être rompues.
Entre liberté et pression
Parmi tous les couples fiancés que le père Paul Habsburg a préparé au sacrement de mariage au sein de la paroisse Notre-Dame d’Auteuil à Paris, il y en a eu quelques-uns qui ont rompu leurs fiançailles. "Heureusement ou parfois malheureusement… Heureusement, parce qu’il peut y avoir des raisons objectives. Je pense notamment à un couple de fiancés. Au moment où je leur ai demandé d’écrire la déclaration d’intention, le garçon traînait beaucoup à le faire. Finalement, il a fini par me dire pourquoi il se sentait incapable de l’écrire : il avait trahi sa fiancée quelques mois plus tôt. Il était encore plus mal à l’aise parce qu’il s’agissait d’une relation avec un homme. Leurs fiançailles devaient être rompues", explique-t-il à Aleteia.
Souvent, les erreurs proviennent d’un manque de liberté au moment du choix.
Parfois, hélas, les fiançailles sont rompues parce que les parents s’en mêlent trop. "Je pense à une jeune femme dont la mère trouvait que son fiancé n’était pas à la hauteur. Elle a fait pression sur sa fille qui a fini par céder. Bien sûr, une mère peut avoir intuitivement le sentiment que la personne n’est pas la bonne. Mais elle peut aussi projeter ses propres rêves sur sa fille. Dans ce cas précis, il est question de la liberté de la fiancée. Elle n’était pas libre dans sa prise de décision. Souvent, les erreurs proviennent d’un manque de liberté au moment du choix. Les personnes la sous-estiment comme elles sous-estiment les propres blessures qu’elles portent et qui ont des conséquences. Elles sous-estiment aussi le poids de la pression sociale ou familiale", constate le religieux.
Donner du sens à l’échec
Les fiancés qui rompent leurs fiançailles le vivent comme un petit divorce. Faire le deuil est alors nécessaire pour tirer les leçons de cet échec et lui donner du sens. C’est le moment où les ex-fiancés doivent renoncer à des illusions, à une partie de soi, à la pression de la famille. C’est également pour eux le moment des doutes sur soi, sur l’autre et sur le mariage. Cependant, c’est aussi une opportunité, comme toute crise, afin de comprendre la raison de l’échec. "Il me semble important de se faire aider par un thérapeute. Non pour découvrir les horreurs sur soi-même, mais pour mieux se connaître afin de ne pas retomber dans un autre échec", conseille Nadine Grandjean.
Rester une personne qui aime
Seulement comment croire à nouveau à une histoire d’amour possible et célébrée cette fois-ci par un mariage ? Pour le père Paul Habsburg, il est essentiel de se rendre compte que par le baptême, "toute personne a la possibilité d’entrer dans l’histoire du salut, de donner du sens à sa vie, la réussir". Et le plus important est de "garder l’amour dans tout ce qu’on vit et fait, dans les bonheurs comme dans les malheurs".
Nous ne sommes pas sur terre pour réussir mais pour apprendre à aimer.
En restant une personne qui aime, on peut se dire qu’on fait partie de l’histoire avec Dieu, une histoire d’amour qui, de toute façon, se termine bien. "Si on donne sa place à Dieu, l’histoire se finira toujours bien", souligne le père Paul Habsburg. Alors, au lieu de se laisser engloutir par la frustration, il vaut mieux "cultiver l’espérance que Dieu est toujours là, qu’il voit, qu’il marche avec moi. C’est ainsi que je transforme ma vie et le monde par amour et espérance", reprend-il.
Le temps vécu n'est pas perdu
Le temps vécu n’est pas perdu. Comme une maladie qui permet de guérir et d’apprendre quelque chose de la vie. Vivre dans l’espérance et le pardon, c’est déjà faire de très bonnes choses. "Nous ne sommes pas sur terre pour réussir mais pour apprendre à aimer. Toutes les occasions sont bonnes, même les échecs. Il est important de se concentrer sur le moment présent et de savoir le vivre, plutôt que de se projeter tout de suite dans le rêve d’une relation amoureuse réussie. Ne pas penser ailleurs, mais ici et maintenant avec espérance, amour et force", conseille le religieux. Faire le deuil, c’est relire le vécu et le considérer comme un apprentissage. Comme un saint qui n’est pas celui qui souffre héroïquement, c’est plutôt quelqu’un qui aime héroïquement dans la souffrance, comme le confie le père Paul Habsburg.