C'est ce qui s’appelle lancer une bombe nucléaire. La star colombienne Shakira a mis en effervescence les réseaux sociaux en publiant, le 11 janvier, un morceau de sa chanson intitulée BZRP Music Session #53, coécrit avec le DJ argentin Bizarrap. Un message adressé à son ex et père de ses deux enfants, l’ancien footballeur espagnol Gerard Piqué, dont les infidélités auraient provoqué la séparation du couple en juin 2022. L'artiste ne laisse aucun doute à l'imagination. Ses paroles sont claires et ses allusions à son ex et sa nouvelle petite amie, directes : "Tu as changé une Ferrari contre une Twingo, une Rolex contre une Casio", lance-t-elle dans sa chanson qui a déjà été vue 141 millions de fois sur YouTube et a enregistré 65 millions d’écoute sur Spotify en une semaine. Une vengeance publique et planétaire spectaculaire.
La colère, le carburant de la vengeance
En cas de séparation, certains se coupent du monde en intériorisant leur souffrance en toute discrétion. D'autres, au contraire, ressentent le besoin irrésistible d'être reconnus publiquement en tant que victimes. Face à une séparation douloureuse, ces derniers peuvent même en venir à monter un stratagème de vengeance, en souhaitant au fond d’eux-mêmes qu’ils ont trouvé un moyen efficace de rééquilibrer les souffrances au sein du couple qui se sépare. "Je pense qu’il est important de préciser que la rupture amoureuse est un événement extrêmement stressant. La rupture amoureuse provoque le sentiment de rejet et de trahison. En plus de l’humiliation, elle réveille la peur de l’abandon, ce qui va provoquer une espèce d’ascenseur émotionnel, avec l’impression que le monde s’était écroulé", explique à Aleteia Raphaëlle de Foucauld, conseillère conjugale et créatrice du concept 2 Minutes de bonheur.
L’énergie développée par la colère est le carburant de la vengeance, avec le besoin d’être reconnue comme une victime.
À la peur de l’abandon, se mêlent la solitude et la colère. Et c’est la colère qui suscitera l’envie de vengeance. "L’énergie développée par la colère est le carburant de la vengeance, avec le besoin d’être reconnue comme une victime", ajoute Raphaëlle de Foucauld. Seulement chez certains, cette vengeance ne se limite pas aux échanges en tête à tête, elle s’exprime de manière explosive et publique de préférence… Si tous n’ont pas la force de frappe d’une star mondiale comme Shakira, trompée au vu et au su de tous, cette question demeure : une fois réalisée, la vengeance est-elle vraiment libératrice ? Ou, au contraire, est-elle source de nouvelles souffrances ?
Le poison distillé contre soi-même et autour
Pour Anne, styliste de 38 ans, le besoin de se venger publiquement était "impérieux". Il fallait que son mari, qui l’avait quittée pour vivre avec sa collègue, "en souffre autant qu'elle". "Je n’arrivais pas à sortir de moi une colère noire. C’était tellement injuste que je me trouve rejetée, à me battre contre le désespoir, alors que mon ex-mari se projetait dans une nouvelle vie à deux pleine de perspectives", confie la jeune femme à Aleteia, en reconnaissant qu’elle n’est pas fière aujourd’hui de cet acte de vengeance qu’elle a bien mis en scène il y a une quelques années. "L’idée m’est venue d’un coup. En un quart de seconde, j’ai pris la décision de pirater son mail personnel et professionnel, afin d’envoyer des messages à ses collègues qui le compromettaient. J'ai également commenté avec ironie plusieurs photos postées sur son compte Instagram, sans oublier des messages privés envoyés à sa petite amie. Sur le moment, j’ai ressenti un grand soulagement. Mais très vite, celui-ci a été remplacé par encore plus de souffrances : j’en avais terriblement honte, je savais que c’était mal, c’était indigne, à l’opposé de mes valeurs et de ma foi".
Entretenir le désir de se venger, c’est finalement entretenir des émotions très négatives vis-à-vis de soi-même.
Sans aucun doute, il est important de faire savoir que l'on a souffert. C’est une manière de restaurer quelque chose parce que la personne trompée, explique Raphaëlle de Foucauld, est "touchée dans ses valeurs et finalement dans son intégrité". Le fait de le montrer publiquement dévoile chez elle le sentiment d’injustice qui rime souvent avec celui d’impuissance. "Si dans un premier temps, la vengeance suscite un soulagement, il s’agit en réalité du poison distillé autour, mais d’abord contre soi-même. Entretenir le désir de se venger, c’est finalement entretenir des émotions très négatives vis-à-vis de soi-même", alerte la conseillère conjugale, alors que la chose la plus importante à faire après le deuil, c'est essayer de comprendre "pourquoi son couple est parti à la dérive", analyse la conseillère conjugale.
S’attaquer avec mépris au père de ses enfants, c’est s’attaquer à ses enfants eux-mêmes.
Derrière les paroles de la chanson écrites par Shakira, se cache-t-il une certaine manière d’expier la douleur ? Dans sa démarche, y a-t-il, en dehors de la terrible envie de vengeance à tout prix, une forme d’expiation ? "On pourrait faire le parallèle avec toutes ces personnes qui écrivent des romans autobiographiques. En revanche, s’attaquer avec mépris au père de ses enfants, c’est s’attaquer à ses enfants eux-mêmes. Il ne faut pas oublier que l’enfant est la moitié de sa mère et la moitié de son père. Critiquer ainsi le père de son enfant, c’est critiquer l’enfant lui-même. On peut avoir du ressentiment vis-à-vis de son ex-conjoint, mais dans la manière de l’exprimer, il faut veiller à ses enfants car cela les abîme aussi", ajoute-t-elle.
On peut exprimer sa douleur sans se faire mal et sans faire mal aux autres. On peut écrire des chansons ou des livres comme forme de thérapie, sans rancune, sans méchanceté, sans mépris. Avec élégance, profondeur et dignité. Certes, ce n’est pas toujours facile. Alors avant de commencer à échafauder un scénario de vengeance, voici deux questions qu'il est bon de se poser : En quoi cette vengeance me fera-t-elle grandir ? Pour se reconstruire, la voie du pardon n’est-elle pas la plus efficace ?