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Nous avions eu, en septembre de cette année, une récupération politique de l’instance éthique en France (le CCNE) et donc une perte d’indépendance de l’éthique. Le CCNE a rendu son avis qui ouvre la porte à l’euthanasie alors même que cette instance s’était toujours et encore opposée, depuis sa création, à toutes les formes possibles d’euthanasie. Nous venons d’avoir la nomination par l’Assemblée nationale d’Olivier Falorni à la présidence de la mission parlementaire d’évaluation de la loi Clayes-Léonetti sur la fin de vie.
Olivier Falorni est un partisan actif de l’euthanasie. Il ne cesse de critiquer la loi actuelle. Lui trouve tous les défauts du monde et milite, de toutes les manières possibles, pour qu’on passe à autre chose — et donc à l’euthanasie et au suicide assisté. C’est comme si on avait nommé un alcoolique notoire pour évaluer une loi contre l’alcoolisme ; ou comme si on demandait à Aymeric Caron d’être à la tête d’une commission d’évaluation des avantages et des inconvénients de la tauromachie. Que croyez-vous que ladite commission va dire in fine ? Je vous le donne en mille.
Une question biaisée
Et maintenant, voilà qu’apparaît une convention citoyenne de 170 Français tirés au sort et qui, en mars prochain, devra rendre un rapport. Elle va se réunir en décembre, en février et en mars. Plusieurs éléments militent pour douter de la partialité de cette convention. D’abord, quelle question leur est posée ? Celle posée par la Première ministre est la suivante : "Le cadre de l'accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d'éventuels changements devraient-ils être introduits ?" De toute évidence, on ne peut que répondre par la négative. CQFD. Qui pourrait croire que le cadre actuel est "adapté" à tous les cas, surtout si on parle des cas délicats (maladie de Charcot) qui demanderaient, avant d’être en "fin de vie", d’en finir avec la vie ?
Mais, d’une manière générale, n’est-ce pas absurde d’imaginer qu’une loi, sur quelque sujet que ce soit, puisse répondre à tous les cas ? Une loi est générale et, par principe, faite pour tous, et non pour chacun. Elle défend l’intérêt général, et non les cas particuliers. Tenir compte de cas trop particuliers est une manière de vider de sa substance l’intérêt général. Si donc, la question est biaisée (en ceci que la réponse est dans la question), la demande de "changements" est indispensable. Là aussi on ne dit pas lesquels, mais on s’en doute ! On aurait pu poser une autre question, d’une autre manière. Enfin !
Comprendre de l’intérieur ou non ?
D’autre part, il n’est pas question, pour l’instant, de faire en sorte que les dits citoyens touchent du doigt la réalité des soins palliatifs. Claire Fourcade, présidente de la SFAP, suggère que tous, pour saisir la complexité du problème, viennent visiter une unité de soins palliatifs. Pour l’instant, cela n’est pas acté. Dommage ! Si on en reste à la seule question, et à la seule discussion avec ceux des intervenants pressentis, la réponse sera simple, pour ne pas dire simpliste, en faveur de l’euthanasie. Quand on demande à qui que ce soit : "Pensez-vous juste de choisir sa mort quand on est dans des situations d’indignité ?", la réponse est forcément oui. Quand on vous demande : "Est-il acceptable de refuser un nouveau droit, qui ne retire rien à personne, et qui permet d’agir en toute liberté pour décider seul du moment de sa mort ?", la réponse est forcément non. En revanche, quand on comprend de l’intérieur la réalité de l’accompagnement des soins palliatifs, les soins de reconstruction d’une dignité affaiblie, la part d’humanité au bout de la vie des patients, quand on dit que l’euthanasie, si elle était considérée comme un soin, donné par les médecins, viendrait corrompre pour tout le monde la relation de confiance entre le médecin et le patient, alors la réponse n’est plus si évidente. Elle pousserait même au statu quo avec une loi actuelle d’équilibres justes et qui fit l’unanimité quand elle fut votée.
Il faut craindre que les personnes invitées à s’exprimer mettent en avant les avantages du "modèle belge", souhaité par le président de la République
Il faut craindre, par souci d’aboutir au résultat escompté, que cette convention n’ait pas l’opportunité de sortir des questions binaires, le noir et blanc, le pour ou contre de l’euthanasie, au profit "des cinquante nuances de gris" dont parle Claire Fourcade au sujet des soins palliatifs. Il faut craindre que les personnes invitées à s’exprimer mettent en avant les avantages du "modèle belge", souhaité par le président de la République, sans tenir compte, comme l’indique un dernier avis de la Cour européenne des droits de l’homme, de l’absence de surveillance de l’instance censée contrôler les modalités d’application de l’euthanasie et de sa totale partialité en faveur de l’euthanasie. Il ne sera rien dit des dérives de ce dit modèle, de l’extension des "ayants droit", maintenant que sont "éligibles" à la procédure, les mineurs, ceux qui ne sont pas en fin de vie et ceux qui ont des souffrances réfractaires aussi psychiques. Je crains cette partialité, en ceci que le CESE (Conseil économique, social et environnemental) qui organise cette convention et l’encadre, s’est clairement positionné, en avril 2018, dans un avis, en faveur de l’euthanasie.
Quelle légitimité ?
Finissons par une question de légitimité. Cette Convention n’en a aucune. Elle n’a pas de cadre prévu par la Constitution. Elle est un gadget sorti du chapeau de l’exécutif pour "faire neuf", pour faire croire que 170 Français tirés au sort auront des idées plus fraîches, alors même que le risque de manipulation est grand. Et surtout, ceux qui vont se réunir n’ont pas a priori l’expérience de la délibération politique, de l’écoute des avis. Une agora ne s’invente pas. L’art de se parler, de s’écouter et de travailler ensemble s’apprend, de manière à sortir de ses opinions particulières pour parvenir à des considérations politiques valables pour tous allant dans le sens de l’intérêt général. Or, avant de travailler, ces personnes, sorties de nulle part, ne vont pas apprendre à travailler. Regrettons-le. Ils vont s’y mettre d’emblée. Le risque est grand, en plus de la manipulation, de rester à ses opinions d’origine, à ses expériences personnelles. Le risque est immense d’être dans l’incapacité de se hisser au niveau d’une complexité à plusieurs niveaux. Le risque est gigantesque d’engager l’avenir sans mesurer tous les effets en cascade, et toutes les révisions, et toutes les perturbations qui sont évidents — et il suffit de les constater, dans l’euthanasie belge et dans celle des Pays-Bas. Il ne faudrait pas tant être "pour ou contre" l’euthanasie mais, bien plutôt, évaluer la mécanique d’élargissement des "ayants droit", l’absence de contrôle déjà constatée, et aussi "l’effet buvard", si je puis dire, de cas quelques particuliers qui vont impacter tous les malades aux prises avec une souffrance telle qu’ils voudraient "en finir".
Les questions qui ne seront pas posées
Ai-je dit que les équipes de soins palliatifs sont toutes et massivement contre l’euthanasie et que beaucoup de ses membres préféreront soit démissionner plutôt que de pratiquer un acte contraire à leurs convictions, soit faire jouer "la clause de conscience" si elle est accordée, soit faire autre chose ? Quelques questions surgissent alors, plus importantes que toutes les autres : "Qui pratiquera l’euthanasie quand ceux qui sont en première ligne s’y refusent en leur âme et conscience ?" "Pourquoi ne pas entendre les gens sur le terrain et se contenter d’une question biaisée, de témoignages orientés et d’orateurs qui parleront de “liberté” et de “dignité”, comme si cette liberté et cette dignité n’étaient pas déjà prise en compte en soins palliatifs ?" "Pourquoi corrompre ainsi les institutions démocratiques mises à disposition, inventer des conventions citoyennes, biaiser les débats, nommer des partisans pour arbitrer, et coudre de fil blanc un débat qui est sensé engager l’intime ?" Oui, toutes ces questions ne seront pas posées. Elles devraient l’être. Encore une occasion de perdue pour avoir un débat à la hauteur de ses enjeux et apprendre, collectivement, le sens des nuances qui fait toute la dignité de l’homme, comme nous le dit Camus.