Dans le langage courant, l’expression "s’en laver les mains", à propos d’une question ou d’un problème, est négative. Elle renvoie à Ponce Pilate, procurateur romain de Judée qui, au moment de livrer Jésus aux autorités juives, "voyant que ses efforts ne servaient à rien, sinon à augmenter le tumulte, prit de l’eau et se lava les mains devant la foule, en disant : “Je suis innocent du sang de cet homme : cela vous regarde !”" (Mt, 27,24). Malheureusement, son manque de responsabilité accroît la faute qu’il commet.
Pourtant, le lavage de mains a bien un sens d’abord purificateur qu’avait compris Pilate. Quelques mois de pandémie nous l’on rappelé… mais la liturgie nous le montre à chaque eucharistie puisque le prêtre, avant de monter à l’autel offrir le sacrifice du Christ, se purifie les mains en disant : "lave-moi de mes fautes Seigneur, et purifie-moi de mon péché". Une manière, non pas de se défiler devant la réalité, humaine, de son péché, mais de le reconnaître, inspirée par le psaume 25, déjà utilisé dans la liturgie juive. C’est conscient de son indignité que le célébrant prête ses mains au don du Sauveur que sont le Corps et le Sang.
Tous les hôtes qui arrivent seront reçus comme le Christ, car lui-même dira un jour : J’ai demandé l’hospitalité et vous m’avez reçu. (§233)
Laver les mains est aussi, même si c’est moins connu, le signe de l’hospitalité bénédictine. L’on sait combien saint Benoît, dans sa Règle, qui fonde le monachisme occidental au VIe siècle, insiste sur l’accueil de tous ceux, nombreux, qui se présenteront au monastère : "Tous les hôtes qui arrivent seront reçus comme le Christ, car lui-même dira un jour : J’ai demandé l’hospitalité et vous m’avez reçu (cf. Mt 25,35). À tous on témoignera l’honneur qui leur est dû." (§233).
Un lavage symbolique
Pour rendre cet accueil de l’autre – qui permet de mieux s’ouvrir à l’Autre – concret, le père des moines donne dans tout le chapitre 53 de la Règle, des consignes pour recevoir au mieux les hôtes. Depuis 1.400 ans, le contexte culturel s’étant modifié, certaines semblent curieuses : "Dans la manière de saluer, on témoignera à tous les hôtes une profonde humilité : devant ceux qui arriveront ou partiront, on inclinera la tête, ou on se prosternera, le corps par terre, adorant en eux le Christ même qu’on reçoit." (§235).
À défaut de telles prostrations, à Solesmes et dans beaucoup d’abbayes bénédictines, on a gardé la tradition du lavabo : "L’abbé versera de l’eau sur les mains des hôtes" (§238). Un acte plus simple que le lavement des pieds aussi proposé par saint Benoît, par toute la communauté ! Avant le premier repas que l’hôte passe dans le monastère, il est ainsi accueilli symboliquement, mais réellement, par le père abbé, occasion d’échanger quelques mots et de se présenter. Le cloître de Saint-Pierre de Solesmes est même pourvu d’un lavatorium, un endroit, très simple, prévu pour ce moment.
Ce lavage de main reste symbolique : les moines doivent avant tout inviter ceux qui se présentent à eux à prier. En accueillant les autres comme le Christ, ils leur donnent de connaître Dieu, auquel ils se sont consacrés, et qui est le Tout-Autre. En ayant une attention particulière pour les plus fragiles, dans lesquels Jésus est éminemment présent : "Les hôtes ainsi accueillis seront conduits à la prière. […] On montrera une sollicitude et un soin tout particulier dans l’accueil des pauvres et des pèlerins, parce que c’est surtout en leurs personnes qu’on reçoit le Christ" (§236 et §239).