Du fond des mers, rugit le cri de ceux qui sombrent et s’entendent dire par ceux qui devraient leur lancer des bouées, qu’ils feraient mieux de rentrer chez eux. Les mêmes, promenant leurs enfants dans les rues de leurs cités bourgeoises lancent peut-être au mendiant qui quête une pièce, qu’il ferait mieux de travailler. Depuis 1986, le projet de loi qui a été présenté ces derniers jours par les ministres de l’Intérieur et du Travail est le vingt-deuxième destiné à apporter des solutions au défi migratoire.
Dix sous la présidence de François Mitterrand, six sous celle de Jacques Chirac, deux sous Nicolas Sarkozy, deux sous François Hollande et maintenant deux pour le Président en place : là est sans doute aussi la raison d’une confusion grandissante, le droit en la matière devient une nébuleuse où l’on se perd vite... De plus en plus dictée par l’émotion, les réponses de l’exécutif sont rarement à la hauteur des enjeux.
Empêcher tout débat
La règle du bouc émissaire est bien connue, elle devient aujourd’hui la doxa indiscutable : il faut trouver un coupable, en partant d’actes particuliers, en déduire des généralités relayées par des discours souvent niaiseux mais toujours suffisamment huilés pour que le doute s’installe. Ainsi les auteurs des actes effroyables seront rattachés à une communauté. Et cette communauté, que l’on rendra malgré elle solidaire de ses membres les plus pourris, sera considérée comme génératrice d’un mal qu’il faut éliminer.
Un homme frappe, viole et massacre une femme ? Aussitôt des bataillons de féministes se ruent sur les plateaux en désignant l’homme comme coupable de tous les maux. Un migrant ayant reçu un ordre de quitter le territoire frappe, viole et massacre une enfant ? Aussitôt les prophètes de la fin des temps déchirent leurs vêtements et hurlent que tous les migrants ayant reçu le même ordre sont des fauves embusqués dans nos halls d’immeubles. Ces glapissements n’ont aucun sens sinon celui d’empêcher tout débat. Ils retournent les cœurs et légitiment les désirs d’en découdre.
Ce qui est vrai c’est que depuis de longues années, les lois votées tricotent et détricotent des dispositifs paresseux intellectuellement, qui oscillent entre la démagogie facile du laisser-faire et l’indigence du tout interdire. Un coup, on rapatrie l’ensemble des questions liées à l’immigration à la seule juridiction du ministère de l’Intérieur en confortant l’idée que tout migrant devient un enjeu de sécurité nationale. Un coup, on dépénalise le franchissement illégal des frontières donnant l’impression que le principe de souveraineté est une affaire de vieux réacs peureux. Chacun promet un grand débat mais en fait de discussions et de réflexions on ne voit que des effets de manche et des manœuvres indignes de notre pays.
Quel est le droit ?
La France n’est-elle pas la nation qui devrait, non pas accueillir toute la misère du monde comme on nous le rappelle en permanence comme si ce slogan épuisait toute pensée, mais interroger le monde pour trouver des solutions à cette réalité dont nous ne changerons rien en refusant de la regarder en face : les migrations sont un phénomène massif et qui ne se réduira pas dans les prochaines décennies. Aujourd’hui, on nous promet une loi qui sera "gentille avec les gentils et méchante avec les méchants".
(Il faudrait quand même que la communication politique qui nourrit tant de brillants esprits de nos jours, comprenne qu’il est lassant pour le citoyen ordinaire d’être informé par un langage régressif qui nous donne l’impression que nous sommes face à des maîtres d’école d’autrefois...) Mais la loi a d’abord à être juste. Pas plus que les préfets ne sont là pour "pourrir" la vie des clandestins, la loi n’est là pour distribuer des bons ou des mauvais points. Elle a pour but de dire le droit et de permettre son application. Et c’est là que le bât blesse : car quel est le droit ?
Il n’y a pas de bons migrants et de mauvais migrants, pas plus qu’il n’y a de bons citoyens et de mauvais citoyens. Il y a des hommes et des femmes qui, en règle générale, cherchent à vivre dans le respect des règles et qui, parfois, souvent, rarement, n’en sont pas capables.
En fait nul ne le sait plus vraiment. La situation d’aujourd’hui est la présence de plusieurs centaines de milliers de personnes présentes en France et qui, après avoir reçues des fins de non-recevoir à leurs demandes, ces fameux OQTS, y demeurent clandestinement. Ces personnes peuvent travailler sur des chantiers où nous habitons, garder nos enfants, veiller sur nos parents, faire le ménage chez nous, la plonge dans les restaurants où nous dînons, livrer nos repas à domicile. Elles peuvent aussi, et parfois les mêmes, se livrer à des trafics des plus anodins aux plus criminels. En fait, il n’y a pas de bons migrants et de mauvais migrants, pas plus qu’il n’y a de bons citoyens et de mauvais citoyens. Il y a des hommes et des femmes qui, en règle générale, cherchent à vivre dans le respect des règles et qui, parfois, souvent, rarement, n’en sont pas capables.
Regarder la vérité en face
Que la loi s’applique avec rigueur et impartialité, on ne peut que le désirer. Qu’on détermine à l’avance la culpabilité collective d’un groupe humain en fonction des actes délictueux de certains de ses membres et alors, oui, nous aurons tout à redouter de la folie qui en jaillira. La vérité, difficile à admettre et à regarder en face, c’est qu’il n’est pas possible de renvoyer chez eux tous ceux qui vivent chez nous illégalement. Car ils sont trop nombreux, beaucoup trop nombreux. Parce que nous n’avons ni les moyens policiers, diplomatiques et économiques d’y parvenir. En tout cas pas sans une violence qui pétrifie de honte lorsqu’on ose juste y penser.
Donner le sentiment que l’on va empêcher l’océan de monter alors que la digue craque déjà, c’est ne pas respecter l’intelligence collective et préparer les guerres civiles de demain que l’on affirme pourtant vouloir éviter aujourd’hui. Est-ce que pour autant il n’y a pas de solution ? Si, bien sûr, mais elle demandera à chacun un effort considérable et à tous une détermination de dialoguer et réfléchir ensemble. Car elle ne pourra surgir d’aucun cerveau unique ni d’aucune réglementation administrative.
J’évoquais tout à l’heure la France comme nation dont la voix fut longtemps singulière dans le "concert des nations". Comment ne pas être, d’autant plus, dans l’attente non pas d’un énième document sur le sujet, mais d’un engagement de l’Église qui invite fermement les catholiques de cette Europe qui s’est si longtemps abreuvée à la fontaine de l’Évangile, à ne pas se laisser berner par les écrans de fumée que l’on entretient sur ce sujet comme sur d’autres, mais à mobiliser ses forces pour relayer la Voix de Celui qui la guide, et qui hurle dans les déserts du monde de ne pas laisser sans secours le pauvre qui cherche d’où pourra lui venir le salut.
Cet engagement, d’ailleurs, il serait absurde d’attendre d’en recevoir la permission. De qui pourrions-nous l’obtenir, sinon de celui que nous reconnaissons comme Maître et Seigneur et que nous désirons suivre ? Ne nous l’a-t-il pas déjà donnée quand il nous dit que ce que nous faisons au plus petit c’est à Lui que nous le faisons ?