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Il y a dix ans, le mari d’Anne, 47 ans, est décédé suite à une longue maladie. Contrainte d'élever seule ses trois fils, Anne s'est reconstruit une vie de famille dans une sorte de cocon à quatre, inaccessible à tout ce qui pouvait toucher à cet équilibre difficilement retrouvé. Mais il y deux ans, chez des amis, elle a rencontré Éric, célibataire de 49 ans. Aujourd’hui, elle pense à se remarier, tout en ayant peur que ses enfants ne soient pas vraiment prêts. "Pour la première fois depuis la mort de mon mari, je ressens une disponibilité du cœur pour reprendre une vie de couple marié. Avant, je n’ai eu ni envie ni le temps d’y penser même… Seulement, je sais que je dois me poser toutes les questions sur les conséquences de ma décision, notamment pour mes enfants", confie-t-elle à Aleteia.
Comme Anne, chaque année, ils sont 30.000 en France à perdre un conjoint de moins de 55 ans. Parmi eux, très peu de femmes (environ 5%) se remarient dans les cinq années à venir alors que les hommes, semble-t-il, sont quatre fois plus nombreux à franchir le pas selon l'Insee. Certains, comme Arnaud, 63 ans, sont pressés de reprendre une vie à deux pour échapper à la solitude : "Je suis incapable de vivre seul. C’était insupportable pour moi de faire face au vide après le décès de ma femme, alors je me suis rapidement remarié", confie-t-il en reconnaissant que sa décision était mauvaise tant pour lui que pour ses enfants. "Je n’avais pas fait mon deuil, mes enfants non plus. La situation est devenue intenable."
Le psychologue clinicien, spécialiste de l’adolescence et du couple, Marc d’Anselme, met en garde contre le risque de faire des choix hâtifs : "Le mariage après un veuvage nécessite une vigilance particulière sur deux points spécifiques : la réalisation du deuil et l’implication des enfants. Il nécessite en outre les mêmes réflexions qu’un premier mariage. "Pour que le remariage se passe bien, il faut qu’il survienne après l’acceptation intérieure de l’absence du conjoint défunt. Ensuite, comme pour tout être humain, il faut comprendre qu’être amoureux est un phénomène aussi indispensable qu’insuffisant pour se marier. L’état amoureux ne doit pas être déterminant mais contrôlé intelligemment. La spécificité des veufs, comme c’est le cas d’Arnaud, est celle des personnes seules : une carence affective plus intense les rend plus vulnérables à cet état", constate-t-il.
Prendre le temps pour faire son deuil
Pour comprendre l’enjeu du remariage des veufs et veuves, il est important de revenir sur l’émotion amoureuse même. Comme l’explique Marc d’Anselme, elle est "la partie sensitive de l’âme, qui est aussi le siège de nos émotions, de notre affectivité, des liens d’amour que nous tissons avec notre entourage… Elle est donc concernée par l’amour. Cependant, l’amour met aussi en jeu la part spirituelle de notre âme, l’esprit. Celui-ci est le siège de notre liberté (condition de l’amour), de notre intelligence qui nous permet de discerner le bien, de notre volonté qui acte dans notre corporalité les décisions de l’esprit. Notre esprit est aussi le siège des appétences fondamentales de notre être : soif d’absolu, de beauté, de pureté, d’amour… soif de Dieu. La grande question que doivent se poser tous les amoureux, poursuit-il, est donc celle de l’harmonie entre ces deux grandes composantes, l’une sensitive et l’autre spirituelle."
Un sentiment amoureux peut donner l’impression que le deuil est effectué au risque qu’il ressurgisse ultérieurement, perturbant la nouvelle relation conjugale.
Quant au remariage des veufs et veuves, il semble plus complexe. "Tout d’abord, la relation d’amour vécue dans le premier mariage a créé dans l’âme sensitive des liens charnels intenses avec le conjoint maintenant décédé. Nous ne pouvons pas vivre deux amours conjugaux. Ces premiers liens sensitifs doivent s’être délités pour permettre une nouvelle relation conjugale", souligne Marc d’Anselme. Autrement dit, il faut "faire son deuil". Il reste un lien par l’esprit avec le défunt, en particulier par la prière. "Ce processus de deuil est douloureux et prend du temps, souvent plus d’une année. Lorsqu’il est suffisamment avancé, la personne retrouve un équilibre personnel et relationnel et une joie de vivre", analyse-t-il. Si, souvent, le quotidien peut distraire ce travail du deuil, certains ne le font jamais. Par ailleurs, "un sentiment amoureux peut donner l’impression que le deuil est effectué au risque qu’il ressurgisse ultérieurement, perturbant la nouvelle relation conjugale. Il est donc nécessaire de prendre le temps du deuil et ensuite seulement celui de préparer une nouvelle relation", estime encore le psychologue.
Reconquérir une autonomie
Une fois le deuil achevé, les liens d’attachement avec leur exclusivité se délitent. La vie affective reprend. Mais reste la question délicate d’une fidélité au premier mariage, souvent le signe que le deuil n’est pas véritablement acté. "Il me semble bon alors de prendre du recul pour progresser sur ce travail de deuil qui est la reconquête d’une autonomie. Le mariage nécessite l’autonomie de la personne, c’est-à-dire la capacité à s’assumer soi-même avec ses qualités et ses lacunes. Alors que généralement, elle se conquiert par rapport aux parents, ici, dans le cas d’un veuvage, elle doit se conquérir par rapport au conjoint disparu et les habitudes de vie construites avec lui", remarque Marc d’Anselme. C’est cette autonomie acquise à nouveau qui, dans le nouveau mariage, permettra qu’il n’y ait pas de comparaisons avec le conjoint disparu. Elle permettra de laisser la place à une nouvelle relation avec une nouvelle personne.
Apprendre à vivre sans
Ceux qui ont vécu la perte d’un être cher connaissent cette peur d’oublier le disparu. Pour la conjurer, les conjoints des défunts cultivent leur souvenir, parfois avec excès, ce qui entrave le processus de deuil. "Il n’est pas possible pour l’enfant d’oublier son père ou sa mère décédée, il n’est pas possible d’oublier un conjoint disparu.
Vivre sans la personne disparue nécessite un équilibre entre souvenir et vie actuelle, avec une nette priorité pour la vie actuelle.
Faire son deuil, remarque le psychologue, n’est pas oublier mais apprendre à vivre sans. Cette peur de l’oubli, aussi compréhensible qu’elle soit, n’a pas de raison d’être", poursuit Marc d'Anselme. Vivre sans la personne disparue nécessite donc un équilibre entre souvenir et vie actuelle, avec une nette priorité pour la vie actuelle. "Les questions à se poser pour un remariage ne sont donc pas celles de la fidélité au premier mariage mais de la compatibilité de la nouvelle relation avec la situation actuelle : l’union d’au moins une personne à une famille déjà existante et parfois l’union de deux familles différentes", explique Marc d’Anselme.
Prendre en compte l'union des familles existantes
François et Claire*, jeunes grands-parents veufs, sont tombés amoureux l’un de l’autre. Ils ont décidé de se marier. Leurs enfants réciproques, adolescents ou adultes, ont accepté ce mariage mais sans vraiment penser aux changements qu’il allait impliquer. Chaque fratrie entendait garder ses habitudes et son style de vie. L’euphorie amoureuse atténuée chez les grands-parents, chacun commençait à tendre et à retourner vers ses enfants. François et Claire se sont séparés ainsi pour les vacances puis de plus en plus pour répondre aux besoins de chaque fratrie. Aujourd’hui, ils vivent finalement comme deux amis qui se retrouvent régulièrement mais sans cette vie commune exigeante et si riche, spécifique jusqu’à l’intime de la vie conjugale. Ont-ils bien fait de se marier ?
Si l’un des objectifs du mariage est la fondation d’une famille, dans le mariage d’un ou de deux veufs, une ou deux familles existent déjà.
"Ce qui est clair, c’est que ce mariage n’a pas pris en compte les deux fratries. Une harmonie de tous autour de ce projet n’a pu se réaliser. Si l’un des objectifs du mariage est la fondation d’une famille, dans le mariage d’un ou de deux veufs, une ou deux familles existent déjà. En fonction de l’âge des enfants et des circonstances précises, une vie commune, au moins minimale, doit s’instaurer entre toutes les personnes. Les enfants et petits-enfants sont donc concernés. Dans tous les cas les enfants doivent être pris en considération, peu importe l’âge des enfants et les fratries à unir. Le bien-être des enfants est aussi une des motivations légitimes pour se marier", souligne Marc d’Anselme.
Aider les enfants à exprimer leurs émotions
Face à l’annonce du remariage de leur parent, les enfants manifestent des émotions : eux aussi ont peur d’oublier, ils souffrent de l’absence, ils peuvent ne pas avoir suffisamment fait leur deuil. Les petits se rangent à l’avis des personnes en qui ils ont confiance. Il est donc nécessaire de prendre le temps de leur expliquer ce qui va se passer et les aider à exprimer leurs émotions. "Il n’existe généralement pas de raison objective pour un enfant à s’opposer au mariage du parent resté seul. L’opposition au mariage, si elle se produit, est souvent le signe d’un autre mal-être. La situation est différente avec des enfants adultes qui peuvent avoir des raisons objectives d’estimer le mariage inopportun. Celles-ci doivent être entendues et prises en compte pour qu’une harmonie se crée. Mais souvent aussi, derrière une apparence d’objectivité, se cache un deuil non effectué, une loyauté mal positionnée envers le défunt. Le mariage réveille ce qui s’est mal élaboré lors du décès", estime le psychologue.
Discerner sous le regard de Dieu
Pierre*, jeune trentenaire, est veuf et père de cinq enfants dont l’aîné a douze ans. Les années qui ont suivi le décès de sa femme ont été particulièrement difficiles. Sophie* n’avait pas trente ans quand elle est tombée amoureuse de lui. Tous les deux ont beaucoup réfléchi car, pour Sophie, démarrer sa vie conjugale signifiait avoir aussitôt un rôle de mère de famille nombreuse… Mais elle a su approcher les enfants avec délicatesse et ils l’ont acceptée. Pierre et Sophie se sont donc mariés.
Après quelques mois, épuisés, ils ont décidé de consulter et sont arrivés dans le cabinet de Marc d’Anselme. Sophie n’en pouvait plus des enfants qui se "scotchaient" à elle et souffraient visiblement des déséquilibres (mensonges, décrochages scolaires, mutisme…). Elle s’exaspérait aussi de la famille d’origine de son mari et celle de la mère décédée, les deux très impliquées après le décès de celle-ci et qui maintenant se déchargeaient de tout sur elle comme si Sophie était la mère. Face aux difficultés, Pierre a essayé d’être le plus efficace mais sans alors apporter réellement le soutien que tous attendaient.
"Nous avons travaillé deux ans ensemble pour améliorer l’équilibre familial de Pierre et Sophie. Elle n’est pas la mère des enfants, mais elle a une fonction maternelle auprès d’eux : ce n’est pas pareil ! Ils ont eu leur propre enfant, ce qui a aidé à harmoniser la famille. Peu à peu, les difficultés des enfants se sont résolues. Il existait aussi un deuil non fini chez le père et donc chez les enfants…
J’ai été ému par ces enfants avec leurs souffrances et leur rétablissement, par les deux parents avec leur désir d’assumer la situation. J’ai souvent pensé à la façon dont Dieu considérait cette famille et en particulier l’action de cette jeune femme acceptant devenir brutalement responsable d’une famille nombreuse : une vocation ! Avant leur mariage, ils avaient discerné les enjeux. Dans leur mariage, avec l’aide de Dieu, ils les ont surmontés", conclut Marc d'Anselme.
(*) Les prénoms ont été modifiés