Catriona Campbell, spécialiste de l’intelligence artificielle, annonce dans son livre AI by Design : A Plan For Living With Artificial Intelligence, le futur essor d’"enfants Tamagotchi" (The Gardian, 31/05/2022), reprenant le nom des animaux de compagnie virtuels commercialisés à la fin des années 1990. Ces enfants virtuels ressembleront à leurs parents, ils seront capables de les reconnaître et de leur répondre grâce à l'analyse de la voix et au suivi du visage. Capables aussi de simuler des réactions émotionnelles. Et quand viendra l’heure du bain ou des câlins, il suffira d’enfiler un gant high-tech pour avoir un retour tactile et ressentir des sensations physiques. Réelles celles-là. Des enfants qui grandiront aussi en fonction des desiderata de leurs parents, zappant seulement l’adolescence ou les maintenant nourrissons pour l’éternité. Des enfants parfaits en somme ?
Utopie ou dystopie ?
La perspective peut sembler lointaine mais Catriona Campbell l’affirme : "D'ici cinquante ans, la technologie aura tellement progressé que les bébés qui existent dans le métavers", cet univers de réalité virtuelle destiné à supplanter l’Internet que nous connaissons, "seront indistincts de ceux du monde réel". Si l’on revenait un demi-siècle en arrière, pouvoir payer avec un téléphone portable qui tient dans la poche nous aurait-il semblé réaliste ?
D’ailleurs il existe déjà une preuve de concept, certes peut-être encore un peu rudimentaire. "BabyX" est développé par la société néo-zélandaise Soul Machines, et vise à "humaniser" l'intelligence artificielle pour la rendre plus attrayante pour le public. Le "cerveau" de ce bébé virtuel est composé d'algorithmes qui déduisent ce qui est bon ou mauvais. Et lui permettent "d'apprendre à réagir aux interactions comme un vrai bébé". Quant à ses mouvements et ses expressions à l'écran, ils sont conçus à partir de mouvements réels de bébés.
Une réponse virtuelle à des problèmes réels ?
Pour la chercheuse, ce sont les préoccupations liées à la surpopulation qui inciteront la société à adopter les enfants numériques. Que ce soit en matière de surpopulation, de protection de l’environnement ou du coût que représente le fait d’élever un enfant, nul doute que les arguments ne manqueront pas. Pourtant, ne s’agit-il pas fondamentalement du paroxysme de l’individualisme ? Un enfant si je veux, exactement comme je veux, et quand je veux. Des enfants définis via un abonnement mensuel, que l’on pourra suspendre ou interrompre facilement. Des enfants "pratiques" en somme, comme tout ce que promet — et accomplit — le numérique, de la prise de rendez-vous médical en ligne à la livraison du pot de confiture quand tous les magasins sont fermés.
Mais un enfant est-il un bien de consommation ? Avoir un enfant, n’est-ce pas accepter de se laisser surprendre, bousculer, dépasser ? Les "enfants Tamagotchi" ne sont peut-être pas pour demain, mais ils nous poussent déjà à nous interroger sur ce refus des contraintes, cette apologie du confort, "seule idéologie à faire aujourd’hui consensus" (Usberika.com, 14/4/22), dont notre société est imprégnée.
Pour aller plus loin : http://www.genethique.org