Pour qu'Aleteia poursuive sa mission, faites un don déductible à 66% de votre impôt sur le revenu. Ainsi l'avenir d'Aleteia deviendra aussi la vôtre.
*don déductible de l'impôt sur le revenu
C’est une particularité du monde celte, qu’il s’agisse de la Grande et de la Petite Bretagne ou de l’Irlande : le christianisme s’y est implanté sans rencontrer d’opposition suffisante pour y faire des martyrs et ceux que l’on y vénère, tel saint Alban ou les martyrs du Pays de Galles sont morts dans la persécution de Dioclétien, à l’aube du IVe siècle, victimes des autorités romaines, non des populations locales.
Pas de mystère à cela : même si le pouvoir impérial, depuis la conquête romaine, s’est ingénié en Bretagne comme en Gaule, à éradiquer le druidisme, celui-ci survit, dans la clandestinité lorsque les pays celtes appartiennent à Rome, ouvertement en Irlande. Or, l’enseignement des druides, pour ce que nous en savons, est riche d’éléments et de croyances compatibles avec la foi chrétienne, à commencer par l’adhésion à une vision trinitaire de la Divinité, ce qui facilitera grandement la tâche des évangélisateurs.
L’Armorique, notre Bretagne, représente, quant à elle, un cas tout à fait particulier car, dans les années 280-290, elle est l’une des dernières régions de l’Empire où le christianisme n’ait pas pénétré, sinon peut-être dans quelques grandes villes telles Condate (Rennes) ou Gesocribate (Brest). Encore n’est-ce pas très assuré. La raison en est simple.
Au milieu du IIIe siècle, exaspérés du poids ahurissant de la fiscalité impériale, et de la totale incapacité des autorités romaines à protéger la Gaule contre les raids germaniques qui la dévastent tous les étés, les Gaulois se sont révoltés et ils ont même réussi à chasser les Romains. Pendant quelques années, un gouvernement autonome gaulois, des empereurs, et une impératrice, Victorina, ont géré le pays en toute indépendance. Quoique païens, ces souverains ont pris les communautés chrétiennes des Gaules sous leur protection, du seul fait que "l’occupant" les persécutait, leur valant quelques années de tranquillité. Quelques années seulement car l’expérience n’a pas duré et Rome est revenue en force, sans toutefois, faute de troupes en suffisance, parvenir à rétablir l’ordre complètement.
Jusqu’à la chute de l’empire d’Occident, en 476, le nord de la Loire restera en état d’insurrection larvée quasi permanente et l’Armorique, malgré les garnisons installées sur son sol, ne sera jamais pacifiée. C’est d’ailleurs ce qui, après la paix de l’Église, en 313, empêchera les missionnaires d’y porter l’Évangile car ils parlent latin et passent pour des collaborateurs d’un pouvoir impérial honni. Quand, à cette époque, les mots catholique et romain deviendront quasiment synonymes, les Armoricains, par patriotisme, refuseront le Christ devenu le Dieu de l’ennemi… Il faudra l’arrivée des missionnaires de Bretagne et d’Irlande, un siècle plus tard, des Celtes, comme eux, pour les convertir enfin.
Départ de l’épiscope
Mais nous n’en sommes pas là ! Et c’est d’ailleurs pourquoi Donatien et Rogatien, patrons de Nantes et, à ce titre, saints bretons, constituent une exception. Nantes, la cité des Namnètes, est déjà au tout début du IVe siècle une ville commerçante d’une certaine importance qui contrôle l’estuaire de la Loire et donc une partie du trafic maritime avec l’Atlantique. C’est aussi, depuis un certain temps déjà, le siège d’un évêché fondé par un missionnaire du nom de Clair. Ce siège épiscopal ne remonte peut-être pas aux temps apostoliques, comme le raconte la Tradition, mais il est ancien. Son troisième titulaire, contemporain des événements, se nomme Similien.
Faute de clergé, c’est un laïc qui va reprendre les choses en main et pas n’importe lequel puisque Donatien, un très jeune homme à peine sorti de l’adolescence, est le fils d’un dignitaire de la cité nommé Aurélien, païen au demeurant.
Faut-il situer l’affaire en 287 ou en 304 ? Les historiens sont divisés. La première date est sans doute la bonne, car elle correspond à la reprise en main de la Gaule insurgée par l’empereur Maximien, l’associé de Dioclétien, militaire quelque peu obtus et grand ennemi du christianisme qui fera au cours de son séjour gaulois bon nombre de martyrs alors qu’en 304, gouvernée par le césar Constance Chlore, le père de Constantin, la Gaule, comme la Bretagne, la Rhénanie et l’Espagne, sera épargnée par la terrible vague de persécution qui frappera l’Église presque partout ailleurs. Donc, nous sommes en 287 et, bien que Maximien n’ait pas mis les pieds à Nantes, les autorités impériales locales, désireuses de se faire bien voir, font du zèle et déclenchent une chasse aux chrétiens.
Fidèle au conseil évangélique de "passer dans une autre ville" quand une persécution sévit quelque part, l’évêque Similien a quitté Nantes pour se mettre à l’abri dans une zone rurale mal contrôlée par les Romains. Telle est l’attitude d’une majorité de prélats. Dans des provinces plus christianisées, le départ de l’épiscope ne pose pas de problèmes insurmontables car il possède un presbyterium plus ou moins important qui peut le suppléer. Ce ne semble pas être le cas à Nantes où Similien, à la tête d’une petite communauté, n’a pas de prêtre pour l’aider ou ceux-ci l’ont imité et se sont, eux aussi, mis à l’abri en abandonnant le troupeau.
Deux frères prennent les choses en main
Leur absence et la sévérité soudaine des autorités ont-elles provoqué un début de panique dans la chrétienté nantaise et des velléités d’apostasie ? C’est possible mais, faute de clergé, c’est un laïc qui va reprendre les choses en main et pas n’importe lequel puisque, à en croire la Passion des "enfants nantais", Donatien, un très jeune homme à peine sorti de l’adolescence, est le fils d’un dignitaire de la cité nommé Aurélien, païen au demeurant, tout comme son fils aîné, un peu plus âgé, nommé Rogatien.
Dans la panique ambiante, Donatien s’expose, avec l’imprudence de son âge, pour relever le courage de ses frères. Le premier à s’en apercevoir est son aîné, Rogatien, qui, touché par le zèle de son cadet, se convertit à la foi proscrite. Hélas, le départ de Similien l’empêche de rejoindre les catéchumènes et de recevoir une instruction chrétienne, qui doit, par nécessité, se limiter aux leçons de Donatien. Quant au baptême, il n’y faut pas penser puisque seul l’évêque est alors en droit de dispenser les sacrements.
Cette évidence n’amoindrit pas l’enthousiasme prosélyte de Rogatien et, bientôt, les deux garçons, qui se sont beaucoup exposés, sont dénoncés aux magistrats. Les deux fils d’Aurélien, arrêtés, se doutent bien qu’ils serviront d’exemple. Envoyer aux bourreaux deux garçons de l’aristocratie, riches et bien nés, mais chrétiens, s’ils refusent d’abjurer, c’est un moyen très sûr de plaire à Maximien qui, lors de son passage à Marseille, a fait atrocement torturer un jeune officier chrétien, Victor, tout fils de sénateur qu’il soit, pour son obstination à confesser le Christ. Les deux garçons sont accusés "de mépriser les dieux immortels que les saints empereurs adorent et qu’ils veulent voir adorés par tout l’univers".
Jetés au cachot
L’interrogatoire des deux frères, tel qu’il figure dans leur passion, même si celle-ci ne date que du VIe siècle, doit être assez largement authentique et recopié sur les pièces du procès-verbal original. Donatien, interrogé en premier, car coupable d’avoir "séduit" son aîné et de l’avoir entraîné vers "ses fausses croyances", reconnaît les faits, et pis encore, il s’en vante, faisant de sa comparution une occasion de prêcher le christianisme en public. Aux menaces de supplices et de mort qui lui sont faites, il répond, paisible :
"Si la mort a quelque chose de terrible, ce n’est pas pour moi mais pour vous que l’erreur enferme dans les ténèbres et empêche de distinguer le Soleil de Justice."
Conformément au droit, l’insolent est torturé comme un prévenu de droit commun, la législation ne protégeant plus les chrétiens issus de la noblesse des tourments autrefois réservés au vulgaire. Puis on le jette au cachot, dans l’idée que les souffrances endurées le ramèneront à la raison.
Le cas de Rogatien, pas encore baptisé, est moins grave, aux yeux de la loi mais l’aîné ne se montre pas plus coopératif que le cadet et, quand le magistrat lui parle de "la clémence des saints empereurs et de la bonté des dieux", l’insolent rétorque : "Je ne m’étonne pas de te voir faire passer la clémence des empereurs avant la bonté de tes dieux. Ce pourrait être la preuve du désordre de ton intelligence s’il n’y avait au fond quelque raison à cela : des êtres vivants valent toujours mieux que des statues de bronze inanimées…"
Riposte classique que l’on retrouve dans d’autres interrogatoires et qui fait partie de l’enseignement donné aux néophytes. Ne reste plus qu’à faire subir au jeune homme les mêmes tourments et l’envoyer rejoindre son cadet au cachot. Et là, Rogatien s’effondre : ce n’est pas qu’il redoute de mourir mais qu’il se désespère, s’il lui faut périr le lendemain, d’être privé du baptême et de paraître devant Dieu sans avoir été revêtu de la robe nuptiale…
Le baptême de sang
En d’autres circonstances, l’on a vu les chrétiens encore libres se démener afin de faire conférer le sacrement à des catéchumènes avant qu’ils "combattent", quitte à périr avec eux, mais, à Nantes, personne ne peut rendre ce service au jeune homme. Alors, suivant la foi de l’Église qui reconnaît déjà, outre le baptême classique, le baptême de désir et le baptême de sang, Donatien invoque Dieu avec ferveur en faveur de Rogatien :
"Seigneur Jésus Christ auprès de qui les désirs ont même mérite que les œuvres quand l’impuissance absolue empêche les effets d’une volonté qui t’est toute dévouée, accorde à ton serviteur Rogatien que sa foi pure lui tienne lieu de baptême et son sang d’onction si demain, il arrive que, par l’obstination des juges, nous finissions tous deux notre vie par le glaive !"
Le lendemain, en effet, face à l’intransigeance des deux prévenus, le magistrat déclare devoir se montrer spécialement sévère et ne pouvoir plus faire preuve de douceur face à de pareils irrécupérables. Rogatien et Donatien sont condamnés à être disloqués membre par membre sur le chevalet avant d’être décapités. Ce qui sera fait, non sans quelques aggravations de peine ludiques imaginées par les bourreaux qui, avant de trancher la tête des martyrs, leur enfonceront une lance dans la gorge.
On est le 24 mai 287 ou 288. Selon la tradition nantaise, le lieu de leur supplice correspond à l’actuel numéro 63 de la rue Dufour. Très vite devenue lieu de pèlerinage, leur tombe sera recouverte par la basilique des Saints Donatien et Rogatien, reconstruite à plusieurs reprises et qui conserve quelques reliques des martyrs, bien que leurs châsses, transférées à la cathédrale Saint-Pierre, aient disparu avec leur contenu pendant la Terreur. Un temps éclipsé, la popularité des "enfants nantais" a retrouvé son éclat lorsque, en janvier 1871, leur intercession a protégé Nantes de l’invasion allemande.