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Paris, mars 1662. La chapelle du Louvre est animée ce dimanche de Carême. Les carrosses se succèdent à l’entrée pour déposer les marquis et les dames de la cour, tous vêtus de velours et d’or. Ils prennent place et resserrent leur manteaux pourpre et fourrure autour d’eux pour échapper au froid glacial de la chapelle.
Dans la sacristie, Jacques-Bénigne Bossuet inspire profondément. Il relit encore une fois son sermon en ajoutant quelques notes. Mais son estomac refuse de se dénouer. On attend beaucoup du jeune doyen de la cathédrale. Pour le Carême de cette année, il doit prêcher tous les mercredis, vendredis et dimanche. Et son auditoire est le plus prestigieux de France. Et en ce jour, Bossuet a beaucoup à lui dire.
Le mauvais riche
Lorsqu’enfin Bossuet monte en chaire, le jeune roi, la reine mère et la noblesse l’observent avec attention. Il monte les marches lentement, le temps de réciter une dernière prière pour demander à Dieu la force de dire ce qu’il faut à cette assemblée de pécheurs.
Alors, la peur au ventre et les mains tremblantes, le jeune prédicateur se lance. Il salue d’abord brièvement l’assemblé et sa majesté. Mais sitôt fait, il leur parle du “mauvais riche”. Ce personnage de l’évangile de saint Luc (Lc 16, 19-31) qui s’adonne aux plaisirs de la vie sans se préoccuper du pauvre Lazare qui n’a rien. Et au royaume des morts, il se retrouve tourmenté alors que Lazare est accueilli par Abraham.
Bossuet met en garde son auditoire. L'attachement au monde des vivants ne peut aucunement étancher la soif de l’âme. Dieu seul connaît la dernière heure de chacun. Il ne faut pas perdre de vue la mort prochaine et le temps qu’il reste à faire le bien et à se repentir.
Le mauvais riche s’aveugle par ses plaisirs et assassine indirectement le pauvre. La négligence du pauvre n’est pas différente du meurtre. Le Christ n’a-t-il pas dit : “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait.” (Mt 25, 36)
- Ils ne vous demandent que le superflu, quelques miettes de votre table, quelques restes de votre grande chère.
C'est aux rois à agir ; eux−mêmes ne peuvent pas tout ce qu'ils veulent, mais ils rendront compte à Dieu de ce qu'ils peuvent.
L’émotion qui monte aux yeux de Bossuet n'entame nullement sa prestance. L’assemblée baisse les yeux, trahissant un sentiment de honte. Bossuet regarde un moment Louis XIV. Le jeune roi est sujet aux vanité et aux plaisirs de ce monde. Le chantier de Versailles et ses maîtresses sont des preuves irréfutables.
Pourtant, il écoute attentivement. Bossuet sait qu’il possède une grande âme et un désir d'œuvrer pour Dieu. Le prédicateur parle alors des méfaits de la joie. L’assemblée échange des regards confus. Comment la joie peut-elle être malfaisante ? Et bien elle rend aveugle à la misère d’autrui. Elle repousse toute émotions négatives et fait qu’on se détourne du pauvre. C’est là le péché du mauvais riche.
- La dureté de son cœur a endurci contre lui le cœur de Dieu ; les pauvres l'ont déféré à son tribunal ; son procès lui est fait au ciel ; et quoiqu'il ait fait largesse en mourant des biens qu'il ne pouvait plus retenir, le ciel est de fer à ses prières, et il n'y a plus pour lui de miséricorde.
Bossuet conclut son sermon en s’adressant directement au jeune roi, le suppliant de ne pas oublier son devoir de souverain.
- C'est aux sujets à attendre, et c'est aux rois à agir ; eux−mêmes ne peuvent pas tout ce qu'ils veulent, mais ils rendront compte à Dieu de ce qu'ils peuvent.
Bossuet écrit de nombreux sermons mémorables lors du Carême 1662. Que ce soit sur la mort, la Passion du Christ, la pureté de la Vierge ou le devoir du roi, son éloquence le distingue. Le sermon du mauvais riche est une invitation à ne pas s'enfermer dans son petit bonheur et à la nécessité de le partager avec ceux qui ont moins, surtout en temps de carême.