C’est un beau mais rude pays que le Velay. C’est aussi la plus ancienne terre mariale de France puisque c’est sur le site de l’actuelle cathédrale du Puy qu’à une date indéterminée du IVe siècle, Notre Dame est apparue à une malade venue, selon l’usage païen, passer la nuit sur un dolmen, "la pierre des fièvres", dans l’espoir d’être guérie. La Vierge lui annonça qu’elle serait délivrée de son mal mais devrait demander à l’évêque d’Anicium, comme s’appelait alors la ville, de lui élever un sanctuaire. Terre de Marie, le Puy-Notre-Dame devient à la Révolution le Puy-en-Velay ; à cette même époque, le comité révolutionnaire local brûle en place publique l’antique statue de la Vierge noire vénérée dans le sanctuaire après l’avoir ignominieusement voiturée jusqu’au bûcher sur la carriole des éboueurs parmi les ordures…
Une antique terre mariale
Il en faut plus, cependant, que ces profanations et ce vandalisme pour arracher le pays vellave à la protection maternelle de Notre Dame. Dès 1796, alors que la Révolution est loin d’être finie, cette année étant jubilaire puisque le Vendredi saint tombe le 25 mars, jour de l’Annonciation, l’évêque exilé autorise le clergé réfractaire à accorder les indulgences du jubilé dans tout le diocèse, les cérémonies, toujours clandestines, étant impossibles à célébrer dans la cathédrale désacralisée. Dès la signature du Concordat et son entrée en vigueur, à Pâques 1802, Notre-Dame du Puy, dont la statue a été remplacée à l’identique, retrouve dans le cœur des fidèles et des pèlerins sa place de toujours.
Antique point de départ sur le chemin de Saint-Jacques, Le Puy, par sa situation centrale, semble tout désigné, dans les années 1850, alors que s’annonce la promulgation du dogme de l’Immaculée Conception, qui aura lieu le 8 décembre 1854, pour accueillir, très symboliquement, une statue colossale de la Vierge, honorée sous le titre de Notre-Dame de France. Les rapports entre l’Église et Napoléon III étant encore au beau fixe — cela ne durera pas — l’empereur offre au clergé le bronze nécessaire à la réalisation de l’œuvre gigantesque : il suffira de fondre les canons pris aux Russes en Crimée. Ainsi sera fait. C’est dans ce contexte de foi et de piété que naît, de rien ou peu s’en faut, le sanctuaire de Saint-Joseph de Bon Espoir, à Espaly-Saint-Martin, qui prendra vite des dimensions étonnantes.
Une image de saint Joseph
Tout commence, un jour indéterminé de l’année 1855, à la hauteur de la tour Pannesac, vestige du château fort local alors quasiment en ruines. Alors qu’elle rentre de la messe, entendue en la cathédrale du Puy, une femme nommée Anne-Marie Buffet aperçoit un objet incongru sur la route ; elle s’arrête, se penche, y regarde de plus près : coincée entre deux pavés, il s’agit d’une image, coloriée et d’assez grand format, de saint Joseph. L’événement, à première vue, n’est ni inexplicable ni miraculeux. Ce genre d’images naïves et populaires, dont Épinal s’est fait une spécialité, est vendu à travers toute la France par des marchands ambulants, des forains, des colporteurs. Est-elle tombée de la voiture ou du sac de l’un d’entre eux ? A-t-elle été égarée par celui ou celle qui venait de l’acheter ? C’est très probable. Pas de quoi, en principe, crier à l’intervention divine mais la Providence prend parfois de drôles de chemins pour arriver à ses fins.
Anne-Marie Buffet est une "béate", autrement dit une célibataire qui, par choix ou par nécessité, n’ayant pu ou voulu se marier, tout en vivant et travaillant dans le monde, mène une vie de consacrée, donnée à la prière, la pénitence, et aux œuvres de charité. À la vue du bon saint Joseph gisant dans la poussière, à la merci d’être piétiné par des passants ou des animaux, abîmé par les intempéries, Mlle Buffet est désolée et ramasse l’image. Cependant, considérant que celle-ci ne lui appartient pas, elle n’ose la rapporter chez elle. Une inspiration lui vient alors, où il faudra bien voir, cette fois, la main de Dieu.
L’annexion jésuite
Tout près de l’endroit de la découverte, dans une habitation troglodytique typique du village, vit sa meilleure amie, Pélagie Séjalon, dentellière, occupation ordinaire des femmes du coin, célibataire, et dévote, elle aussi. Or, la façade de la maison de Pélagie présente une anfractuosité naturelle en forme de niche, dans laquelle Anne-Marie, avec la permission de Pélagie, va installer l’image rescapée. Peut-être espère-t-elle simplement que le vrai propriétaire, en la voyant, se manifestera, mais il n’en sera rien et l’image de saint Joseph va rester dans cet oratoire improvisé. Oratoire, en effet, car, dès le lendemain, les deux pieuses filles commencent à prier devant ; très vite, d’autres femmes du village les rejoignent et s’associent à elles dans cette confrérie improvisée. Les semaines, les mois passent et la réputation de ce lieu de culte sauvage grandit et se répand. Elle arrive aux oreilles des jésuites de Vals, à quelques kilomètres.
Les liens de la Compagnie de Jésus et du Velay sont anciens.
Les liens de la Compagnie de Jésus et du Velay sont anciens ; l’un des plus célèbres fils de saint Ignace, François-Régis, a jadis parcouru tout ce pays de loups et de vent pour en extirper le protestantisme et, même s’il est allé mourir en Vivarais, à La Louvesc où il est enterré, ses continuateurs, dès qu’ils l’ont pu, après la reconstitution de la Compagnie par Pie VII en 1814, sont revenus s’implanter dans la région. Or les jésuites, souvenir de leurs origines espagnoles, sont de grands dévots de saint Joseph et ne perdent aucune occasion, en ce XIXe siècle, de le mettre à l’honneur, d’autant plus que, ce faisant, ils répondent au désir de Rome qui voit dans l’exemple de l’artisan de Nazareth l’un des meilleurs remèdes au socialisme et au marxisme naissant.
Avertis de l’existence du pèlerinage d’Espaly, les jésuites décident donc de le reprendre discrètement en main, ce qu’ils font, dès la fin de l’hiver 1856, en offrant, en remplacement de l’image primitive, déjà altérée par le soleil, la neige et la pluie, une statue en plâtre de saint Joseph devant laquelle ils organisent, tout le mois de mars, des exercices en l’honneur du père nourricier de Jésus. Cette annexion a le mérite, en l’encadrant, de faire rentrer l’oratoire d’Espaly, devenu chapelle, dans le cadre ecclésial traditionnel. La dévotion joséphine s’y déploie assez et dans d’assez bonnes conditions pour que l’évêque du Puy, c’est alors Mgr de Morlhon, l’officialise en se rendant à Espaly en 1861.
Une roche d’importance
Peut-être, cependant, les choses en resteraient-elles là, à un tout petit niveau local, si, en 1876, un prêtre du Puy, l’abbé Hector Fontanille, grand dévot de saint Joseph, ne décidait de consacrer tout l’héritage familial qu’il vient de toucher à la construction d’un véritable sanctuaire à Espaly. Il commence donc par racheter les ruines de la vieille forteresse, devant laquelle Anne-Marie Buffet a trouvé l’image par laquelle tout a commencé, et entreprend de faire construire à son emplacement une grande église, qui rappelle, architecturalement, avec son curieux pont-levis d’entrée, ses tours et ses mâchicoulis, le château médiéval d’origine. Baptisé Saint-Joseph de Bon Espoir, le sanctuaire est consacré et ouvert au culte le 19 mars 1880. Des pèlerinages s’organisent chaque année à cette date, puis également le 1er mai, après l’instauration de la fête de saint Joseph artisan, ou ouvrier, l’appellation ayant varié.
Ce rocher est d’ailleurs bien visible depuis le parvis de la cathédrale, ce qui donne logiquement l’idée d’élever, pendant de celle de Marie, une autre statue gigantesque de Joseph.
Cela ne satisfait pas encore les ambitions des dévots de saint Joseph dans le pays. Espaly possède une roche d’importance, du même genre que celle qui sert de piédestal, en face, à la statue colossale de Notre-Dame de France surplombant le Puy. Ce rocher est d’ailleurs bien visible depuis le parvis de la cathédrale, ce qui donne logiquement l’idée d’élever, pendant de celle de Marie, une autre statue gigantesque de Joseph. Un jésuite, encore, le père André Beusquet, sculpteur, voit son projet retenu, parmi plusieurs autres, par Pie X et une gigantesque structure de ciment voit le jour. Saint Joseph y est figuré appuyé à son établi, sur lequel se tient l’Enfant Jésus qu’il enlace tendrement.
Au rang de basilique mineure
Voilà comment, en un demi-siècle, le village d’Espaly change complètement d’aspect pour devenir, à l’aube du XXe siècle, avec sa grotte, sa chapelle, son sanctuaire, élevé l’été dernier au rang de basilique mineure, l’un des grands pèlerinages français et européens à saint Joseph.
Tout n’est pas rose cependant. Très altérée au fil des années, la statue gigantesque, maintenant centenaire, se fissure et son bras levé en un geste de bénédiction menace de tomber. Les sommes énormes nécessaires à sa restauration dépassent, de loin, les possibilités du diocèse, et, compromis par les événements des deux dernières années, les aides promises par la région tardent à venir. Saint Joseph, toujours prompt à secourir ceux qui le prient pour résoudre leurs soucis d’argent, n’interviendra-t-il pas pour sauver sa propre image ? À moins que, confiant, il s’en remette à la générosité de ceux qu’il a tant et tant aidés, et qui pourraient bien le lui rendre un peu.