Épouse d’une parfaite canaille
La vraie Fabiola est née à Rome, probablement à la fin des années 340 ou au début des années 350 dans l’une des très grandes familles de l’aristocratie romaine, la gens Fabia qui a donné des généraux, des consuls et bien des grands hommes à l’Empire. Les Fabii se sont, comme la majorité des patriciens, convertis au christianisme lorsque Constantin, après l’édit de Milan, en 313, n’a plus caché sa sympathie pour la religion de sa mère, Hélène. En fait, beaucoup de ces conversions ont été opportunistes et n’ont pas entraîné parmi ces gens de vrais changements de mœurs. Fabiola, très jeune encore, en a fait les frais. Elle atteint l’âge nubile lorsque ses parents la marie à un homme de leur milieu, riche, jeune et même séduisant, chrétien, du moins de nom. Seulement, comme Fabiola ne tarde pas à l’apprendre à ses dépens, ce beau mari si fortuné est une parfaite canaille. Ivrogne, joueur et débauché, il ne cesse jamais de la tromper publiquement, sans se cacher. Pis encore, très vite, il se met à la frapper.
Fabiola endure ces sévices et ces humiliations avec toute la fierté des femmes de son rang et de sa naissance, essayant de dissimuler ce qu’elle supporte. Jusqu’au jour, elle a environ dix-huit ans, où elle comprend que cela ne sert à rien et qu’elle est, depuis longtemps déjà, la risée de toute la ville, et des maîtresses de son mari. Dans un sursaut de fierté, sans doute parce qu’à cette date, ses parents sont morts et qu’elle entre en possession de la fortune familiale qui lui assure les moyens de son indépendance, la jeune femme estime alors que cela suffit et qu’elle ne supporterait pas cette vie un jour de plus. Elle demande le divorce.
La sanction tombe
Rien d’extraordinaire jusque-là : en droit romain, les femmes peuvent aussi bien le demander que les hommes, à plus forte raison en cas d’adultère et de mauvais traitements. Ce divorce, elle l’obtient sans difficulté et l’Église n’y trouve rien à redire. Jamais elle n’exige d’une femme battue et bafouée qu’elle reste en compagnie d’un époux indigne. Seul le remariage, qui, le conjoint vivant, équivaut à un adultère, est interdit. Fabiola le sait bien. Et sans doute envisage-t-elle, dans un premier temps, de respecter la loi du Seigneur. Ce qu’elle n’a pas prévu, c’est sa rencontre, quelques mois après son divorce, avec un homme merveilleux, beau, gentil, tendre, attentionné, dont elle tombe amoureuse folle. En pareil cas, et elle ne l’ignore pas, certaines chrétiennes, y compris des "vierges" consacrées, trouvent des petits arrangements douteux avec le Ciel et, pour continuer à assister aux offices et recevoir les sacrements, feignent une vie exemplaire, recevant leurs amants à la nuit close et le plus discrètement possible. Cette hypocrisie, la jeune femme en est incapable, et même elle la révulse. Jouer la comédie de la vertu, non ! D’ailleurs, c’est au grand jour qu’elle veut afficher son amour. Et peu en importe les conséquences. Alors, Fabiola se remarie, sans états d’âme, civilement. La sanction tombe, immédiate : l’excommunication.
Superbe et dédaigneuse, Fabiola abandonne la pratique religieuse et vit sa passion amoureuse avec son bien-aimé. Jusqu’au jour malheureux où, après seulement quelques courtes années de bonheur, cet homme adoré meurt prématurément dans des circonstances tragiques. Pour Fabiola, le monde s’écroule. Non seulement elle perd celui qu’elle chérissait plus que tout, mais, brisée d’angoisse et de remords, elle pense qu’à cause d’elle et de sa folie, son époux est en enfer pour l’éternité, idée insupportable.
Racheter l’âme de son mari
En ce qui la concerne, son veuvage, en mettant un terme à la situation peccamineuse dans laquelle elle vivait, lui permet de réclamer sa réintégration, au prix, il est vrai, des sévères et interminables pénitences qu’inflige la primitive Église aux grands pécheurs, dans la communion ecclésiale. Mais comment racheter l’âme de son mari ?
Des mois durant, Rome regarde, sidérée, Fabiola, la tête rasée et couverte de cendres, vêtue d’une bure en haillons, venir s’agenouiller au seuil des églises.
Des mois durant, Rome regarde, sidérée, Fabiola, la tête rasée et couverte de cendres, vêtue d’une bure en haillons, venir s’agenouiller au seuil des églises interdites et supplier en pleurant des prières pour elle et son pauvre époux. Amaigrie par les jeûnes, fanée par les larmes, elle est méconnaissable. Enfin, une veille de Pâques, mettant un comble à son humiliation publique, la jeune femme se rend à Saint-Jean de Latran, se jette aux genoux du pape Sirice et confesse publiquement ses fautes. Touché, Sirice lève toutes les sanctions et réintègre Fabiola dans l’Église. Depuis, pénitente, elle vit dans un veuvage austère, ne sortant plus de chez elle que pour se rendre à l’hospice, le premier hôpital jamais construit à Rome et en Europe, qu’elle a fondé avec sa fortune où, à journées entières, l’altière patricienne d’autrefois soigne les pèlerins malades, panse les plaies les plus horribles, et, acte de charité jugé héroïque que fort peu consentent tant il paraît répugnant, ensevelit les morts, offrant tous ces sacrifices à Dieu pour le salut de l’âme de son mari.
Disciple de Jérôme
Sa seule autre sortie est pour se rendre chez une veuve de haute noblesse, Marcella, chez qui se réunissent de pieuses chrétiennes de l’aristocratie, afin de prier ensemble, réfléchir à leur rôle de mères et échanger des conseils pour l’éducation de leurs enfants. C’est dans ce cercle que pénètre en 383 un jeune prêtre revenu d’un long séjour en Orient, Jérôme, auquel le pape Damase a confié la mission de retraduire les textes sacrés. Ému de la piété de ces dames, étonné de leur intelligence et de leur soif d’apprendre, Jérôme leur enseigne le grec et l’hébreu, les initie à l’exégèse, et les entraîne, devenu leur très exigeant directeur de conscience, sur la voie de la perfection.
En 394, après que Jérôme, victime d’une cabale de jaloux, et de son franc parler un peu abrupt, est chassé de Rome et trouve refuge, en compagnie d’une de ses dirigées, Paula, à Bethléem, où ils fondent ensemble un monastère d’hommes et un monastère de femmes, Fabiola fait le voyage de Terre sainte et envisage d’y prendre le voile. Vœu anéanti par la menace d’une invasion des Huns, qui, en faisant envisager par précaution la fermeture des deux maisons, contraint Fabiola à regagner Rome. Elle y conserve, tout en poursuivant sa vie de charité et de pénitence, le rêve du monastère de Judée. Elle s’apprête à y retourner lorsque, le 27 décembre 399, elle meurt subitement. Rome lui fit des obsèques triomphales.