Y a-t-il moyen de ne pas s’habituer à l’indifférence ? Il y a quelques jours, l’Assemblée nationale adoptait la proposition de loi rallongeant le délai possible pour un avortement. Ils furent 79 à voter pour : c’est dire le désintérêt de la question pour qu’une majorité aussi basse suffise à emporter la donne. Bien sûr, en janvier dernier le Sénat avait rejeté cette loi déjà votée par les députés. Bien sûr, il la rejettera probablement encore et, nous promet-on en haut lieu, cela finira "dans les sables". Rien n’est certain cependant : en matière d’avenir, les prévisionnistes se trompent souvent ! Mais quand bien même, n’est-il pas déroutant de constater à quel point cette question de savoir s’il est ou non possible d’étendre un tel délai de 12 à 14 semaines, ne suscite de débat que chez un tout petit nombre ?
Rien ne se passe
Nous sommes-nous donc à ce point habitués à ce que l’avortement soit une situation normale et que le tragique qu’il provoque n’interroge plus personne ? Sommes-nous à ce point anesthésiés pour ne pas nous effarer de ce qu’à 14 semaines, le petit d’homme est suffisamment formé dans le sein de sa mère qu’il faille lui broyer les os du crâne pour arriver à ses fins ? Mais non, rien ne se passe…
À Chypre, la voix du Pape rappelle à l’ordre chacun sur le devoir de s’insurger contre le sort réservé aux migrants : chaque jour, nous nous habituons à apprendre que certains sont morts, d’autres disparus. Des bateaux coulent, chez nous en France, des bébés dorment dehors et des tentes sont tailladées pour les rendre inutilisables en plein hiver… Des hommes sont parqués et méprisés, accusés des pires crimes, brinquebalés d’une administration à une autre quand on daigne s’occuper d’eux. Mais non, rien ne se passe…
Le refus de guérir
C’est devenu une forme d’habitude, un crime d’indifférence. Les bras ballants, sans solution apparente, nous regardons ailleurs en espérant que tout cela passe. Un peu comme celui qui se sait à découvert et qui refuse d’ouvrir les courriers de son banquier, ou du malade se devinant atteint de tumeurs dangereuses et qui ne fait aucune analyse pour éviter de savoir. Nous pensons nous protéger, nous ne faisons que mourir plus vite. Car, en refusant de reconnaître ce qui est mal, ce qui provoque notre indigence morale et humaine, nous nous condamnons à ne pouvoir en guérir.
Le plus dangereux pour notre salut collectif et personnel, c’est de penser que nous pouvons être disciple de Jésus en agissant ainsi.
Mais le plus dangereux pour notre salut collectif et personnel, c’est de penser que nous pouvons être disciple de Jésus en agissant ainsi. Trouvant moultes bonnes raisons de ne pas crier, protester ou agir en nous réfugiant dans le "aquabonisme" ambiant. "Suis-je responsable ?", "En quoi puis-je à moi seul changer le monde ?" : autant de manière de reprendre, plein de bonne conscience, les paroles de Caïn "Suis-je le gardien de mon frère ?".
Là où nous sommes
Il est facile de prétexter de la difficulté du monde et de la lourdeur des temps pour justifier sa propre inaction. Nul ne nous demande de régler les questions de paix et de guerre, de famine et de distribution des richesses sur la surface de la terre. Et le fait que ceux auquel il appartient de le faire ne fasse pas toujours convenablement le job n’y change rien. Mais ce qui nous est demandé, c’est de régler les questions de paix et de guerre, de partage et d’accueil là où nous sommes, dans nos vies et autour de nous, à notre échelle. Et, en ce temps d’Avent, Celui qui nous le demande nous assure qu’il se tient à nos côtés pour nous donner la force et la capacité d’y parvenir.
Peut-être bien que ce fameux péché contre l’Esprit dont parle l’Évangile a quelque chose à voir avec une accoutumance au mal, et une tranquille indifférence à son œuvre en nous, persuadés que nous sommes de ne pouvoir faire autrement ?