"Nos fidélités sont des citadelles […] ; nous sommes tous des îlots battus d’une incessante tempête et nos maisons sont toutes des forteresses dans la mer". Ces mots de Charles Péguy sont au nombre des ceux qui parlent à notre temps et nous aident à vivre nos vocations de chrétiens harcelés de l’intérieur et de l’extérieur. De l’intérieur, surtout, avouons-le. Le mal extérieur, les querelles politiques ou identitaires ont bon dos. Nos cœurs sont plus souvent qu’à leur tour des îlots battus par une tempête qui est celle de nos cœurs eux-mêmes. La foi n’est pas d’abord une querelle politique : elle est un combat intime.
L’histoire spirituelle d’un homme
Puisqu’il s’agit de fidélité, et puisqu’il s’agit de combat spirituel, un livre publié ces jours-ci tombe tout à fait à propos : Mauriac dans l’Église catholique ou la fidélité aux aguets, de Philippe Dazet-Brun (Cerf). La fidélité aux aguets ! Voilà qui dit tout. L’auteur, historien de la galaxie mauriacienne, présente une fresque documentée, mais nullement aride, histoire spirituelle d’un homme qui est l’histoire spirituelle d’un siècle. Le modernisme, le Sillon, l’Action catholique, l’aventure des prêtres ouvriers, le drame du concile : François Mauriac aura vécu tout cela. Dazet-Brun nous montre brillamment une foi de Mauriac qui n’est jamais en repos. La relation de l’écrivain avec l’Église est l’aventure d’un amour écorché. Mauriac le dit d’ailleurs explicitement, au lendemain du concile : « Notre amour pour l’Église se mesure à la souffrance que nous sommes capables de ressentir par elle. »
Aimer l’Église n’est pas une capitulation : c’est une vigilance miséricordieuse.
Tous les épisodes de la vie de Mauriac, dans les combats de l’Église au XXe siècle, racontent la lutte de l’esprit contre la lettre, dans une soumission filiale et cependant rebelle. « Je ne puis dire en vérité que j’aime l’Église pour elle-même, reconnaît l’homme de lettre assoiffé d’infini. Si je ne croyais pas qu’elle a reçu les paroles de la vie éternelle, je n’aurais aucune admiration pour ses structures, ni pour ses méthodes, et je détesterais bien des chapitres de son histoire. »
Mauriac, une source d’espérance
La fidélité de Mauriac à l’Église aura traversé bien des épreuves : les déchirements liés au modernisme, la condamnation du sillonisme, les horreurs de la guerre d’Espagne, le drame des prêtres ouvriers rejetés à la mer, et aussi les malentendus post-conciliaires. Sur ce dernier point, écoutons encore Mauriac : « On dirait aujourd’hui qu’aux yeux de l’Église, la vérité est devenue relative : Qu’est-ce que la vérité ? la question de Pilate au Christ, il semble que l’Église tout à coup se la pose à elle-même. » La formule est dure, injuste aussi sans doute, mais elle nous éclaire sur la vie intérieure d’un catholique qui a pris le parti de tenir pour sérieux tout ce qui sort de la bouche des clercs.
La vie de Mauriac racontée par Dazet-Brun est une source d’espérance pour les catholiques d’aujourd’hui tentés par la désespérance. Aimer l’Église n’est pas une capitulation : c’est une vigilance miséricordieuse. Car Mauriac, dans toutes les tempêtes, a continué d’aimer l’Église. Il l’a aimée parce que le Christ lui avait demandé de l’aimer. Il l’a vu belle, pure et resplendissante, parce qu’il savait depuis l’enfance que le Christ lui-même avait voulu se la représenter sans tache, ni ride : il avait donné sa vie pour elle, il la voulait sainte et immaculée.
Mauriac dans l’Église ou la fidélité aux aguets, par Philippe Dazet-Brun, Cerf, novembre 2021.