La fin de l’année 1831 marque à Lyon le premier épisode d’une longue série de violents soulèvements ouvriers, initiés par les ouvriers de la soie appelés "canuts", d’où le nom de "Révolte des canuts". En novembre, la première insurrection est provoquée par le refus des fabricants d’appliquer un tarif minimum garanti des prix et des salaires, accord pourtant conclu devant le préfet le 25 octobre entre délégués des ouvriers et ceux des fabricants. En effet, l’industrie de la soie est, à l’époque, très aléatoire, et les ouvriers sont mis au chômage et ne sont plus payés lorsque les commandes font défaut. Le 21 novembre, armés de pelles, de pioches, de bâtons et de quelques fusils, les canuts descendent de Croix-Rousse, où se situe la majorité des fabriques, jusque vers la Presqu’île, en criant : "Au Rhône, les fabricants !". Ils sont rejoints par les tisseurs des quartiers des Brotteaux et de La Guillotière. Des barricades sont dressées. Des drapeaux noirs sont hissés en haut des édifices publics avec la devise : "Vivre en travaillant ou mourir en combattant". Louis-Philippe Ier fait envoyer 20.000 hommes de troupe et 150 canons pour réprimer l'émeute.
Pauline Jaricot a alors 32 ans et prend fait et cause pour la classe ouvrière. Elle n’aura de cesse de dénoncer la misère dans laquelle l’ère industrielle les projette. Un de ses biographes, le père David Lathoud, la cite : "S’il est parfois nécessaire de réprimer les émeutes et de rétablir l’ordre, il est encore plus nécessaire et plus urgent de supprimer les causes du désordre en donnant à ceux qui souffrent les deux choses dont les hommes ne peuvent se passer : du pain et une espérance". Elle prend part aux révoltes aux côtés des médecins en soignant les blessés. A Mariette, une ouvrière qui lui demande "comment elle fait pour rester en permanence et sans faillir auprès des blessés", elle répond : "Je prie la Vierge pour qu’elle me donne la force et je la supplie d’alléger les souffrances de ces hommes qui se sont battus pour une juste cause".
Les médailles de la Vierge de Fourvière
Un jour, le 3 décembre 1831, selon David Lathoud dans le tome II de sa biographie Marie-Pauline Jaricot, Pauline a une idée qui sauva sans doute de la mort des centaines d’hommes. Elle envoie une de ses amies, une veuve, semer sur le passage des soldats en marche pour réprimer les insurgés une multitude de médailles de la Vierge ainsi que des tracts sur lesquels était écrit : "Marie a été conçue sans péché". Les troupes royales, menées par le général Comte Roguet, commandant militaire de Lyon et de la 7ème Division Militaire, remarquèrent les médailles miraculeuses et les bouts de papier. "Officiers et soldats les ramassèrent ; la fureur de la vengeance tomba, de sorte que le retour de l’armée gouvernementale s’accomplit sans représailles", écrit Lathoud.
Ces objets évocateurs de la Reine de la paix avaient fait abandonner aux soldats toutes consignes de violence et de répression. Un geste qui ne les laissa pas de marbre puisqu’ils redemandèrent des médailles pour leurs compagnons d’armes. Pauline écrit à ce propos : "Je conserverai toujours les lettres et les billets que m’ont écrits les chefs de l’armée, réclamant des médailles pour leurs subordonnés… Aussitôt qu’une compagnie était pourvue, les autres demandaient le même trésor, en sorte que plus de douze mille médailles furent distribuées à la garnison." L’armée devint donc un maillon de la grande chaîne formée par les "associés" du Rosaire Vivant : "En peu de mois, il se fit un changement notable parmi les soldats dont un grand nombre, non contents de porter les médailles, voulurent des chapelets, des scapulaires, et organisèrent même entre eux plusieurs sections du Rosaire Vivant", note Pauline. "Cela vaut gros et c’est vite fait, disaient-ils. Bien bête qui n’en profite pas !".