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“Pas ce soir, je suis crevé(e)” : de la frustration à la communion

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Mathilde de Robien - publié le 02/06/24
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La frustration sexuelle n’est pas mauvaise en soi dans la mesure où, bien accueillie, elle pousse à se reconnecter à son conjoint par un langage autre que la sexualité. C’est en créant les conditions favorables à l’intimité et en rejoignant émotionnellement son conjoint que le désir renaît.

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Dans tous les couples, les attentes en matière de sexualité sont différentes. Même si un homme et une femme s’aiment profondément, ils n’ont pas toujours les mêmes envies au même moment. C’est dans ce décalage de désirs que peut naître un profond sentiment de frustration chez celui ou celle qui est davantage demandeur. Que faire de cette frustration sans tomber dans la tristesse ou la colère ? Comment ajuster ses désirs ? Comment retrouver la joie de se donner ?

"On a l’impression, parce qu’on est adulte, de bénéficier d’une certaine forme de toute puissance. On imagine, à tort, qu’on ne sera plus jamais frustré, que l’on pourra assouvir tous ses désirs, et on attend de l’autre qu’il nous comble", analyse Camille Rochet, psychologue et thérapeute de couple. "Mais c’est un leurre. Il y a toujours des zones de frustration, notamment dans le couple où on est hyper exigeant. Et s’il y a un domaine, dans le couple, où il y a de la frustration, c’est bien celui de la sexualité", assure la psychologue, qui "trop souvent" reçoit dans son cabinet des conjoints qui se plaignent que leur partenaire "a moins de libido" qu’eux.

Questionner le décalage

Une caresse. "Pas ce soir, je suis crevé(e)…" Grognements et dos tourné, le message est clair. "Ooooh, tu veux jamais !" Si la situation est récurrente, et pesante, la discussion ne peut pas en rester là. Car le décalage du désir sexuel n’est pas qu’une question de libido. En creux se dessine l’état de la relation du couple. "On a tendance à opposer les besoins masculins aux besoins féminins au lieu d'interroger la relation", souligne Camille Rochet, invitant les couples à se demander : "Qu’est-ce qui fait, dans l’état actuel de notre couple, que nous n’arrivons pas à nous rejoindre ?" En ce sens, la frustration est bonne puisqu’elle pousse au dialogue, elle invite à s’adapter aux besoins de l’autre, à réfléchir et à faire preuve de créativité pour raviver la flamme.

Les couples sont épuisés, ils regardent des séries, se couchent à 23 heures 30 et n’ont plus ni le temps ni l’énergie pour s’aimer.

Parfois, la solution n’est pas bien loin. Une étude menée par l’Ifop intitulée "La “sex recession”: les Français font-ils moins l'amour?" et publiée le 6 février 2024 pointe "un recul sans précédent" des rapports sexuels des Français. En cause ? L’omniprésence des écrans. "Le “temps sexuel” apparaît très nettement concurrencé par le temps passé sur des écrans qui offrent non seulement un moyen de combler ses besoins de sociabilité et/ou de sexualité mais aussi qui tend à cannibaliser le temps passé à deux", explique François Kraus, directeur du pôle Politique/Actualités à l'Ifop. Un constat corroboré par Camille Rochet : "Aujourd’hui les couples sont épuisés, ils regardent des séries, se couchent à 23 heures 30 et n’ont plus ni le temps ni l’énergie pour s’aimer."

Créer les conditions pour faire renaître le désir

L’absence de désir n’est pas irrémédiable. Au-delà de bannir l’intrusion des écrans dans le lit conjugal, il est bon de créer les conditions pour favoriser une véritable intimité avec son conjoint. Accorde-t-on suffisamment d’attention, de tendresse à son conjoint ? De soin à son couple ? Un soin qui commence dans les petites choses du quotidien : prendre le temps de se dire bonjour le matin, être soucieux de son hygiène, avoir des attentions bienveillantes envers son conjoint… Il ne s'agit pas d'être "gentil" pour "gagner sa récompense" sous les draps, mais de favoriser la communion des cœurs avant l'union des corps.

Autre point de vigilance : notre vie laisse-t-elle suffisamment de place à la sexualité ? "Mon mari et moi, on travaille tous les deux beaucoup, avec des horaires parfois décalés, et on en a fait l’amère expérience : si nous n’avons pas notre soirée, une fois par semaine, sans film, sans téléphone et sans enfant pour se retrouver tous les deux avec un bon verre de vin, on s’éloigne !", confie Amélie, 42 ans et mère de deux adolescents. "Il n’y a pas toujours de folles étreintes, mais le fait de parler de soi, de ses projets, de s’intéresser à l’autre, à sa journée, à son état d’esprit du moment, ça rapproche et ça donne envie d’aller plus loin."

Si l’on veut que la sexualité soit l’expression d’un amour interpersonnel, il faut prendre son temps.

Les spécialistes sont formels. Il faut arrêter de croire à la spontanéité du désir et prendre les moyens nécessaires (un dîner aux chandelles, une après-midi off, un week-end en amoureux…) pour prendre soin de son couple. Car c’est en se reconnectant, émotionnellement, avec son conjoint, que le désir renaît. "Lorsqu’une femme se sent écoutée, soutenue, elle ira plus volontiers dans l’intime", assure Camille Rochet. "Je ne crois pas à la spontanéité", renchérit Olivier Florant, sexologue. "Quand on est marié, parent, préoccupé par son travail, si on ne prévoit pas des créneaux pour des moments romantiques et sexuels, alors on ne fait plus l’amour ! On est trop fatigué pour ça !" La sexualité demande du temps. "Si l’on veut que la sexualité soit l’expression d’un amour interpersonnel, il faut prendre son temps. Cela permet au couple de se poser, de discuter, de façon à entrer en contact d’âme à âme, d’établir un bon contact émotionnel."

Appelé à aimer

"Se refuser à l’autre, systématiquement, parce qu’on est crevé, c’est se désengager du couple", souligne Camille Rocher. Délaisser l’intimité sexuelle, c’est risquer de se détacher l’un de l’autre. C'est aussi, d'une certaine manière, passer à côté de sa vocation à aimer. La sexualité est un langage de l’amour. Un lieu à travers lequel les conjoints sont invités à construire leur couple, en ressentant du plaisir et de la joie. "Dieu lui-même a créé la sexualité qui est un don merveilleux fait à ses créatures", écrit le pape François dans Amoris Laetitia.

Dans la perspective chrétienne, l’homme est fait pour aimer, de tout son corps et de toute son âme. Il est créé, à l’image de Dieu, pour se donner. "Ne vous refusez pas l'un à l'autre" (1 Co 7, 5), engage saint Paul. Pourquoi ? Parce que l’union des corps permet d’accomplir la promesse de l’amour annoncée par le Christ : "L’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair. Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair" (Mt 19, 5). Néanmoins, si la sexualité est un lieu où les conjoints se donnent l’un à l’autre, nul ne peut exiger ce don.

"Le corps manifeste la réciprocité et la communion des personnes."

L'union des corps constitue une partie centrale des catéchèses de saint Jean Paul II sur la théologie du corps humain. Le corps, en tant que corps sexué, masculin ou féminin, révèle par son existence même que l’homme est fait pour se donner. C’est ce que Jean Paul II appelle la "signification sponsale du corps". Le corps est fait pour "épouser". "Le corps, qui exprime la féminité "pour" la masculinité, et vice versa, la masculinité "pour" la féminité, manifeste la réciprocité et la communion des personnes. Il l’exprime dans le don comme caractéristique fondamentale de l’existence personnelle" (Audience générale du 9 janvier 1980). Et, pour le pape polonais, c’est dans "le don désintéressé de lui-même" que l’homme s’accomplit pleinement.

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