Au début, ce n’était pas méchant, une petite série Netflix avant de dormir, Facebook, Twitter, Insta.
Un piège auquel s’est fait prendre Camillia il y a quelques années. Son témoignage révèle une habitude devenue addiction, à l’origine de nombreuses tensions au sein de leur jeune couple. Camillia, 24 ans, et son mari, 28 ans, ont d’abord trouvé dans les écrans une manière de se reposer, de souffler, après des journées mouvementées avec deux enfants en bas-âge. "Au début, ce n’était pas méchant, une petite série Netflix avant de dormir, Facebook, Twitter, Insta", confie Camillia. "Mais peu à peu, je suis devenue accro à mon téléphone. Je le regardais tout le temps. Mon mari a commencé à se plaindre car même quand on était devant un film, je n’arrêtais pas, j’étais sur les réseaux sociaux".
Tous les soirs avant de se coucher, Camillia, alors mère au foyer, passe une heure ou plus sur son téléphone. Finalement, son mari se tourne lui aussi vers les écrans. "Nous avons regardé de moins en moins de séries ensemble. Lui jouait aux jeux vidéo et moi je déroulais mes fils d’actualité". Des disputes éclatent, son mari lui reproche de passer trop de temps sur son téléphone mais Camillia se défend avec l’imparable argument : "Toi, tu fais tes jeux vidéo, je ne vois vraiment pas en quoi ça te gêne que je sois sur mon téléphone". Chacun campe sur ses positions, jusqu’au jour où Camillia découvre sur son écran le temps passé quotidiennement sur son smartphone : "7h54 ! Cela m’a mis un coup. Depuis, j’ai appris à me limiter et surtout à lâcher mon téléphone lorsque mon mari et mes enfants rentrent".
Le risque, c’est que les conjoints, absorbés par leur écran, ne se parlent plus, ne partagent plus et n’entretiennent plus la relation.
Le danger des écrans pour le couple réside dans cette incitation à vivre chacun de son côté. Consommés à l’excès, ils peuvent altérer la relation conjugale dans la mesure où ils éloignent les conjoints l’un de l’autre. "Le risque, c’est que les conjoints, absorbés par leur écran, ne se parlent plus, ne partagent plus et n’entretiennent plus la relation", souligne Marie Binet, conseillère conjugale et sexologue à Toulouse, auteur du récent ouvrage Pour le meilleur (EdB). "Prenant la place de la rencontre avec l’autre au quotidien, les écrans empêchent la communication émotionnelle, mettent un voile sur les conflits et entravent l’intimité qui n’a plus ni espace ni temps pour se vivre". Une tendance observée également par Karine Triot, conseillère conjugale et familiale au sein de l'association Plus Belle Ma Vie à Angers : "Aujourd'hui, chacun est sur son support pour ne pas imposer son envie à l'autre, mais en faisant cela, on partage de moins en moins", explique-t-elle à Aleteia. La conseillère en viendrait presque à regretter la télévision, "considérée naguère comme une entrave à la communication, mais qui était quand même une activité commune !".
Trois moments à préserver absolument des écrans
Dans un premier temps, Marie Binet conseille de prendre conscience de son propre rapport aux écrans. Cela passe d’abord par l’observation du temps passé sur son téléphone (Réglages > Temps d’écran), puis par une autocritique : qu’est-ce que je fais sur mon téléphone ? Avec qui je communique ? Qu’est-ce que cela m’apporte ? Est-ce que cela altère la gestion de mon temps ? Mon sommeil ? Mon alimentation ? Mon rapport aux autres ?
Quel est mon premier geste quand je me lève le matin : regarder mon téléphone ou embrasser mon conjoint ?
Dans un deuxième temps, il est bon de mesurer l’impact que les écrans ont sur son couple. A quel moment deviennent-ils intrusifs dans la vie de couple ? Quand viennent-ils altérer la qualité de la relation ? Marie Binet invite à scruter notamment trois moments essentiels de la relation conjugale : quel est mon premier geste quand je me lève le matin : regarder mon téléphone ou embrasser mon conjoint ? Nos portables sont-ils présents pendant les repas ? Le soir, prenons-nous le temps de nous parler ou bien nous ruons-nous sur nos écrans ?
En prendre conscience permet de modifier son comportement. Pour Marie Binet, il est beaucoup question de volonté. Certains couples ont décidé de bannir les écrans de la chambre conjugale par exemple. Outre l'entrave à la communication, l'usage excessif des écrans peut être perçu comme irrespectueux voire humiliant par celui qui "reste en plan". Cela envoie le message : "Mon téléphone est plus intéressant que toi".
Mais lorsque des garde-fous sont mis en place, la dépendance s'estompe rapidement. En témoigne Marie, mariée et iPhone addict, qui réalise que "son couple va bien mais qu'elle le consume à petit feu" en raison de sa dépendance à "Facebook, Insta, WhatsApp et aux infos". A force de voir sa femme "derrière un écran bleu", son mari s'y met aussi. Il y a peu, ils se couchaient avec leur téléphone et les consultaient pendant leurs dîners au restaurant en tête-à-tête. Ils ont récemment fixé des règles pour déconnecter lorsqu'ils sont ensemble. "Cela fait un bien fou ! Les règles sont récentes mais je trouve que l’addiction part aussi vite qu’elle est arrivée".
La dépendance aux écrans, à la fois cause et symptôme du mal-être du couple
La dépendance aux écrans n’est pas nécessairement la cause d’un malaise conjugal. Elle peut aussi être le symptôme d’une relation qui va "déjà" mal. Karine Triot observe que chez de nombreux couples en crise, les écrans sont des échappatoires à l'insatisfaction conjugale ou personnelle. Certains vont se réfugier derrière les écrans pour fuir la relation. Les écrans apparaissent alors comme un moyen de rester à distance, de l’autre et du problème.
Au-delà de la problématique du temps passé sur son téléphone, se pose aussi la question des contenus visionnés. Si certains contenus sont inoffensifs, d’autres peuvent affecter profondément la relation. C’est le cas de la pornographie, qui altère la relation affective et sexuelle, dans la mesure où elle éloigne de l’autre ou pousse à en faire un objet de plaisir. Les messageries instantanées, les réseaux sociaux peuvent être sources d’infidélité. "Les chats créent un ailleurs, et font croire que cet ailleurs est mieux", alerte Marie Binet. "Le téléphone portable, propriété privée de chacun, est inaccessible sans autorisation. Cela facilite le mensonge, la méfiance". "Le téléphone est une ouverture sur "d'autres" plus gratifiants que le conjoint, qui peut mener à une infidélité virtuelle, puis réelle", abonde Karine Triot. Autant de pièges qui justifient une vigilance aiguë.