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Il en va des dévotions comme du reste : elles ont des modes, qui passent et, parfois, reviennent. Ainsi une chapelle méconnue du XIIe arrondissement de Paris, rue de Picpus, conserve-t-elle une statue de la Vierge qui fut, du XVIe siècle à la Révolution, la plus vénérée de la capitale.
Vers 1530, la famille de Joyeuse, des plus nobles de France, établie par mariage en Languedoc, séduite par un artiste local au fait des nouvelles tendances de la sculpture, lui commande, peut-être pour remplacer une image médiévale abîmée ou défraîchie mais tenue en grande vénération, une figure de la Vierge à l’Enfant. Ainsi tire-t-il du bois une Madone vêtue à la grecque, savamment drapée à l’antique, gracieusement déhanchée, Son Fils dans les bras. Dans la main droite, Marie tient un rameau d’olivier. Les Joyeuse vont s’attacher à leur Vierge méridionale et, respectant une tradition familiale, la transmettent de génération en génération à celui de la famille qui lui manifeste la plus grande dévotion, méritant ainsi de la garder.
À la main, une branche d’olivier
À la fin du siècle, le gardien de la statue se nomme Henri de Joyeuse et, installé à Paris, rapporte l’image avec lui dans la capitale pour l’installer en son hôtel de la rue Saint-Honoré. Hélas, peu après ce retour, Henri perd sa femme qui meurt en mettant au monde une fille, dernière descendante de sa lignée. Le jeune veuf décide de ne point se remarier et entre chez les capucins, dont le couvent jouxte sa demeure. Outre ces terrains et bâtiments dont il fait don à l’Ordre, Henri de Joyeuse, devenu Frère Ange, apporte avec lui sa statue de la Vierge qui sera exposée au-dessus du portail du couvent. Peu à peu, le voisinage prend l’habitude de lui adresser une prière, mais, certains constatant que leurs demandes sont plus souvent exaucées devant elle qu’ailleurs, cette Madone des rues, comme il s’en trouve des dizaines aux carrefours, devient l’objet d’une dévotion qui ne cesse de grandir. Quelqu’un s’étant avisé qu’elle tient une branche d’olivier, symbole de paix, l’on se prend à l’invoquer sous le nom de Notre-Dame de la Paix contre les troubles civils et les menaces étrangères, qui se multiplient en ces commencements du XVIIe siècle, mais aussi pour la paix dans les familles, les ménages, les âmes. Avec succès, de sorte que sa popularité s’accroît encore.
Elle vient à la connaissance de la reine Anne d’Autriche et, en 1658, lorsque, pendant une campagne militaire, le jeune Louis XIV manque succomber à la typhoïde, c’est vers Notre-Dame de Paix que sa mère se tourne pour implorer une guérison jugée impossible. Or, Louis se remet et la Vierge des capucins acquiert alors une telle célébrité que les bons pères doivent agrandir d’urgence leur chapelle, après y avoir transporté la statue, afin d’accueillir les pèlerins.
Un sinistre secret
À la veille de la Révolution, le culte de Notre-Dame de la Paix reste très vivace, ce qui n’empêche pas la communauté, victime des mesures de suppression des ordres religieux, d’être chassée de son couvent confisqué. Avant la dispersion, l’un des Pères a la présence d’esprit, redoutant le pire, de mettre la statue à l’abri. Il s’adresse à une demoiselle Papin, qui l’emporte puis la confie à Mme de Luynes, qui, désireuse d’authentifier le précieux dépôt, obtient de l’archevêché un certificat prouvant l’origine de la statue. Les Luynes ne pouvant plus assurer sa sécurité, elle est confiée à la belle-sœur de Mlle Papin, qui lui permet de traverser sans encombre la Terreur.
Cette dame, la persécution terminée, désire la restituer à l’Église. Il lui est conseillé, vers 1804, de s’adresser au fondateur d’une nouvelle maison religieuse, le Père Coudrin, à l’origine de la Congrégation des Sacrés Cœurs de Jésus et Marie, qui vient de récupérer ce qui reste du couvent des chanoinesses de Saint-Augustin, rue de Picpus. Outre les vestiges de cette maison, le terrain abrite un secret que les révolutionnaires espéraient bien gardé : la fosse commune qui a reçu, entre juin et juillet 1794, les corps des 1.306 personnes décapitées place du Trône renversé, aujourd’hui place de la Nation, dont les carmélites de Compiègne. L’emplacement de ce charnier devait demeurer ignoré, mais une jeune fille, après avoir assisté à la mise à mort de son père et son frère, a eu le courage de suivre le tombereau du bourreau et repéré la sépulture, secret ensuite partagé avec les proches des autres victimes, désireux de faire de cet enclos un cimetière privé.
Du vandale un protecteur
Veiller sur ces sépultures et prier pour le repos des suppliciés a été l’une des conditions mises à l’installation du Père Coudrin rue de Picpus. Et c’est tout naturellement qu’il accueille la statue de Notre-Dame de la Paix. Il faut cependant attendre 1841 pour voir achever et consacrer une jolie chapelle placée sous le patronage de saint Michel. Notre-Dame de la Paix y est installée dans le transept nord mais, si elle est vénérée par la congrégation, si c’est devant elle que les Pères de Picpus, avant de quitter la France pour les missions d’Océanie, viennent prier une dernière fois, emportant avec eux cette dévotion qu’ils répandront partout où ils passent, l’engouement populaire de jadis ne renaît pas dans ce faubourg ouvrier où la pratique religieuse décline. Notre-Dame de la Paix y demeure comme oubliée de ses anciens fidèles.
Pis encore, au printemps 1871, alors que les Communards viennent arrêter les Dames blanches de Picpus et les supérieurs picpuciens, le responsable de la descente s’empare de la statue et déclare qu’il va en faire du petit bois. Chacun s’attend à le voir mettre sa menace aussitôt à exécution mais l’homme, qui tient la Vierge dans ses bras, se calme et la remet à sa place sans un mot. Plus tard, devenu pieux catholique, il avouera les larmes aux yeux qu’à l’instant où il allait détruire la sainte image, il l’a senti répandre en lui une douce chaleur, une joie, un amour comme jamais il n’en avait éprouvé, qui l’ont converti d’un coup, faisant du vandale un protecteur qui a interdit la destruction de l’image.
Pour la paix des cœurs et des familles
Notre-Dame de la Paix connaît un regain de dévotion durant la Première Guerre mondiale, quand les Parisiens l’implorent contre la menace d’invasion et quand Rome rajoute aux litanies de Lorette l’invocation Regina Pacis, ora pro nobis : « Reine de la Paix, priez pour nous ». Puis elle retombe dans le silence.
Puissante contre les menaces militaires, la statue de Picpus est surtout invoquée aujourd’hui pour la paix des cœurs et des familles. Il est loisible d’aller la prier tous les jours, de 8h à midi, et de 14h30 à 18h (sauf le dimanche où la chapelle n’est ouverte que le matin). L’entrée se fait par le 35 de la rue de Picpus. Profitez-en pour vénérer les reliques des Pères Tardieu, Rouchouze, Tuffin et Radigue, martyrisés rue Haxo en 1871 et aller jusqu’au cimetière des victimes de la Terreur, au cœur d’un océan de verdure et de calme inespéré en plein cœur d’un Paris livré aux promoteurs immobiliers.