La renommée et la richesse de certains sanctuaires ont l’art d’attirer, outre la haine des puissances mauvaises, des convoitises banalement humaines et les deux se conjuguant, leur histoire est une suite d’épreuves. Tel est le cas de la basilique de Notre-Dame de l’Épine en Mayenne, lieu de pèlerinage si célèbre depuis le VIIe siècle qu’il a donné naissance à la ville d’Évron.
Tout commence, et ce fait-là ne semble pas contestable, par le passage en cet endroit, qui n’est encore que rase campagne, dans les années 620, d’un pèlerin revenant de Terre sainte. D’où est-il ? Où se rend-il ? L’on n’en sait rien mais il a trouvé moyen de se procurer en Palestine une relique inestimable, ou supposée telle : une fiole contenant quelques gouttes du lait de la Sainte Vierge.
À l’ombre d’une aubépine
Tel est l’objet précieux qu’il rapporte chez lui. Sans doute est-ce l’été et la chaleur est-elle accablante car le marcheur, fatigué, séduit par la paix de l’endroit, s’octroie un repos mérité au pied d’une "épine", autrement dit une aubépine, de belle taille. Et il s’endort. Par précaution, avant de s’assoupir, il a suspendu sa besace contenant la relique à une haute branche. Haute mais accessible sans acrobatie pourtant, voilà qu’à son réveil, il constate, ahuri, que durant son sommeil, plus long qu’il le supposait, l’arbre a grandi, au point que sa sacoche est suspendue presque à son sommet et que ses efforts pour la récupérer demeurent vains… Diablerie ou miracle ? Inquiet, le pèlerin rebrousse chemin et retourne au Mans, à plus de 30 kilomètres de là, où il raconte à l’évêque, Hardouin, l’improbable prodige.
L’Épine attire tant de monde qu’un village, puis un bourg, puis une ville se construisent.
Le prélat ne s’y trompe pas : il s’agit d’un signe du Ciel et la benoîte Dame Marie a manifesté sans équivoque son souhait d’être honorée, à travers ses reliques, en ce lieu et non ailleurs. Pour en avoir la preuve, le prélat manceau se rend sur place et, à peine a-t-il constaté le prodige que l’aubépine, complaisante, incline sa branche pour lui permettre de récupérer la besace. Opportunisme d’un évêque désireux de mieux christianiser une partie de son vaste diocèse mal évangélisée où le paganisme reste fort en y bâtissant un sanctuaire ? Peut-être mais Hardouin va y mettre le prix. Dans son testament, en 642, il va largement doter sa fondation afin de bâtir une abbaye bénédictine confiée aux religieux des maisons mancelles de Saint-Vincent et de La Couture.
Le lait de la Vierge à l’honneur
L’Épine attire tant de monde qu’un village, puis un bourg, puis une ville se construisent, et même si, tandis que s’effondre l’empire carolingien, l’abbaye est dévastée d’abord par les Bretons qui refusent la domination franque puis par les Vikings, elle se relève. En 989, au lendemain de l’avènement de Hugues Capet, un grand seigneur, comte du Maine ou de Blois, question contestée qui témoigne des luttes d’influence pour la mainmise sur la région, l’abbaye est reconstruite et le lait de la Vierge remis à l’honneur dans un reliquaire splendide. Quelques décennies plus tard, ayant obtenu un morceau du voile de la Vierge vénéré dans la cathédrale de Chartres, l’abbé dote le sanctuaire d’une magnifique statue en argent de Notre-Dame sur un piédestal d’ébène dans lequel la relique est enfermée. Qu’il s’agit de chefs d’œuvre, c’est évident mais les malveillants s’arrêtent moins à la haute valeur artistique de ces objets qu’à leur valeur monétaire, et c’est tout le malheur…
Au tout début des Guerres de religion, en 1562, le sanctuaire est profané par les protestants qui détestent autant la dévotion mariale que l’Eucharistie et les reliques. Les religieux, avertis de l’arrivée des huguenots, ont le temps de fuir en emportant la précieuse statue et le reliquaire, avant de s’apercevoir que dans leur panique, ils ont oublié d’emporter les saintes espèces ! L’un des frères, Jean Livet, a le courage de revenir prendre le ciboire et les hosties consacrées préservées de la profanation. En 1577, nouveau raid, catholique cette fois, sous la conduite du sire de Bussy d’Amboise qu’Alexandre Dumas fera passer à la postérité dans La Dame de Monsoreau et qui se révèle triste sire. On reconstruit, on répare, on embellit.
L’étonnante image
Vient la Révolution. Les bénédictins sont expulsés, bien entendu, les bâtiments conventuels confisqués ainsi que le trésor. Mais l’on reste catholique dans la région et le procureur syndic d’Évron, équivalent du maire, en charge de l’inventaire et conscient que la Vierge vénérée et les reliques seront détruites s’il commet la sottise de les livrer aux autorités, a l’audace de les soustraire à l’inventaire et les mettre en lieu sûr chez lui, ce qui pourrait lui coûter sa tête mais va les sauver. Il les restituera la paix religieuse revenue. Elles sont replacées dans l’abbatiale, devenue église depuis la destruction pendant la Terreur de la paroisse Saint-Martin. Quant aux bâtiments monastiques, ils sont confiés à une communauté religieuse locale, les sœurs de La Chapelle-au-Riboul qui ont donné deux martyres à la France en 1794 et deviennent les sœurs de la Charité d’Évron. Elles y resteront jusqu’en 2012, époque où elles cèdent la place à la communauté Saint-Martin qui y installe son séminaire et veille désormais sur le sanctuaire.
Si vous passez par-là, admirez la beauté de l’édifice, la magnificence du reliquaire et de la statue, que vous n’oublierez pas de vénérer, et regardez l’étonnante image, apparue, miraculeusement ? en 1906, lors de l’inventaire, sur la porte de l’église enfoncée par la maréchaussée et qui ressemble assez, il faut l’admettre, à une Vierge debout. Notre-Dame de l’Épine a-t-elle voulu manifester sa tristesse ?