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La joie de ma semaine : avoir partagé deux petits jours de réflexion avec une quinzaine de prêtres de mon diocèse. Ils provenaient de différents secteurs ruraux, urbains ou maritimes. Ils étaient pour la plupart déjà avancés en âge. Mais toujours bon pied bon œil, en dépit des vicissitudes corporelles et temporelles. Les regardant en face, les écoutant avec attention, je me sentais loin des commentaires caricaturaux circulant souvent sur eux. Je pensais à leur indéniable courage. À leur admirable persévérance, pour être exact.
Jeunes, ils avaient espéré un printemps avec le concile Vatican II. Et ils récoltèrent la tempête. Beaucoup de leurs collègues prirent leurs cliques et leurs claques et rejoignirent la vie civile. Eux, ils sont restés dans leurs paroisses. Ils ont duré. Ils ont servi du mieux qu’ils pouvaient. Quand ils s’entendent reprocher d’avoir « tout bazardé » et « vidé » les églises, ils font le gros dos. Ils bougonnent. Mais leur cœur saigne. L’ingratitude est une raclée meurtrière. Oui, ces hommes-là méritent mieux que ces avanies. Car ils ont porté, soulagé, donné plus qu’il ne fallait alors qu’un profil d’Église et de société s’écroulait autour d’eux. Même quand l’ouragan ou le diable cherchait à s’engouffrer par leur fenêtre, ils ont tenu bon. Ils ont su tenir leur petite lumière allumée.
Des jardiniers
Je pensais à cela pendant le tour de table où chacun exprimait les raisons de son enthousiasme personnel. Pour le nonagénaire de la bande, « rompu d’épreuves » si l’on peut dire, c’était son arrivée dans un foyer-logement : il appréciait son nouveau voisinage et se réjouissait d’avoir plus de temps à consacrer à l’écoute et à la connaissance des jeunes prêtres. Bel enthousiasme de 90 ans ! Un autre, plus jeune et curé de paroisse, témoigna du « feu de Dieu » que lui procurait parfois le sentiment d’être le simple instrument de « Quelqu’un qui nous veut du bien ». C’était non seulement joliment dit, mais son cri du cœur exprimait — c’était presque palpable — une énorme sympathie pour le monde et une formidable humilité spirituelle. Ce tour de table fut exempt de toute lamentation nostalgique. Au contraire, j’eus l’impression d’entendre des jardiniers — auxquels d’ailleurs se compara l’un d’eux — qui me parlaient de leurs préparations de semis en vue du printemps à venir.
Ces prêtres possèderaient-ils un secret de jouvence ? Je ne sais pas. Je connais en revanche leur trait d’union. Ils sont tous membres de la Fraternité sacerdotale Charles de Foucauld. Née en France en 1951, elle propose à des prêtres diocésains de vivre leur ministère à la lumière du Frère Charles, proclamé saint en 2022. Ils se retrouvent régulièrement dans leurs diocèses, en petites fraternités, pour un temps de partage de vie, de réflexion et de prière commune. Le témoignage de Charles de Foucauld, « ermite missionnaire » dans le désert du Hoggar, les inspire à mener une vie simple orientée par leur désir de proximité avec des personnes marginalisées dans la société ou dans l’Église. Et par cet autre désir de proximité spirituelle avec le Christ entretenue par l’adoration eucharistique et la récitation de la prière d’abandon du « Frère universel ».
Au fond, le secret de jouvence des prêtres que j’ai fréquentés une poignée d’heures dans une abbaye nichée dans la vallée de la Canche, dans le Pas-de-Calais, c’est peut-être ce qu’on appelle la fraternité : le simple coude-à-coude de personnes reliées entre elles par la Présence ineffable de « Quelqu’un qui nous veut du bien ». Une Présence qui allège de tous les fardeaux. Une Présence qui aide à soulever les montagnes. Une Présence qui peut faire des miracles...
Marcher avec le Christ
Cette rencontre m’a remis en mémoire une page admirable d’André Malraux. De retour d’un voyage au Sahara, il avait raconté une scène devenue pour lui une icône de la fraternité, dans une lettre à son ami et ancien aumônier de Résistance, le chanoine Pierre Bockel. La voici, en guise d’hommage aux prêtres, religieuses et religieux qui puisent leur enthousiasme dans la spiritualité de Charles de Foucauld :
« Voici que dans l’immensité saharienne nous apercevons trois petits points à l’horizon. À mesure que nous approchons, ces points devinrent trois silhouettes qui avancent. Parvenus à leur hauteur : trois visages souriants... et quel sourire ! Le désert s’anime, prend vie, parce que trois petites sœurs marchent légèrement dans l’étincelante vibration de l’espace sans limite, comme animées d’une mystérieuse présence qui leur communique force, douceur et joie. Nous stoppons et les invitons à monter en voiture. Elles remercient avec une extrême gentillesse et s’excusent de devoir renoncer à notre hospitalité : “Ce n’est plus très loin”, disent-elles. En fait, une bonne cinquantaine de kilomètres pour atteindre le Hoggar dont les montagnes aux formes étranges se dressaient au-delà du miroitement des sables [...]. Nous repartîmes, et à travers le nuage que soulevait notre engin, nous aperçûmes ceci : les petites sœurs déposèrent leurs sacs pesants sur le bord de la piste pour aussitôt reprendre leur marche [...]. Sans doute songeaient-elles à quelques Touaregs miséreux qui passeraient par là. Où allaient-elles ? Après tout, peu importe leur destination, puisque leur destin était de marcher avec le Christ qu’elles portaient au fond d’elles-mêmes » (cité par Pierre Bockel, L’Enfant du rire, Grasset, 1973).