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Après Victor Hugo, Lamartine ! On aimerait que ce soit un cours sur les grands écrivains du XIXe siècle ; c’est hélas le déplorable tableau de chasse du rectorat de Paris, qui s’obstine à vouloir fermer des lieux où professeurs et étudiants ne laissent pas la poussière recouvrir les livres. Après l’hypokhâgne du lycée Victor-Hugo supprimée il y a deux ans, c’est au tour de celle du lycée Lamartine. Le 13 novembre, le recteur de l’académie de Paris a annoncé la fermeture, dès septembre prochain, de cette classe où des étudiants d’horizons sociaux variés étaient chaque jour tirés vers le haut par leurs professeurs.
La reproduction des clichés
Victor-Hugo, Lamartine. Même méthode brutale, sans préavis ni concertation. Même impossibilité de trouver des raisons, fussent-elles douteuses, témoignant d’une vague connaissance du dossier. Des effectifs nuisant à la sacro-sainte rentabilité ? Plus de quarante élèves dans chaque classe. La sévérité proche du sadisme d’un univers de sélection impitoyable ? Qu’on interroge les anciens élèves et on constatera que la grande majorité loue la disponibilité et le dévouement des professeurs. Le supposé élitisme des prépas ? Que le recteur vienne corriger les premières copies rendues, en septembre, par les récents bacheliers d’une hypokhâgne dite "de proximité" et il aura une idée de la bienveillance qui préside à la sélection des dossiers. L’absence de débouchés professionnels ? Le large éventail d’écoles désormais accessibles par le concours de l’ENS donne à la critique plus de dix ans de retard. La reproduction sociale dénoncée par Bourdieu, qui la pratiquait par ailleurs si bien familialement ? Le pourcentage de boursiers de bien des prépas apporterait quelque surprise à ceux qui se donneraient la peine de regarder. Il faut croire que la reproduction des clichés est plus autorisée que celle des élites.
Fermer une classe préparatoire littéraire revient à effacer un peu plus les grands auteurs du passé, à éloigner les étudiants des leçons de vie de la littérature.
Victor-Hugo, Lamartine. Les noms des lycées concernés ont beau relever du hasard de la géographie parisienne, ils ont tout du symbole : fermer une classe préparatoire littéraire sans autre raison qu’une économie de court terme revient à effacer un peu plus les grands auteurs du passé, à éloigner les étudiants des leçons de vie de la littérature, à les priver de la prise de distance avec les impératifs illusoires de leur époque, à leur interdire la confrontation avec l’âpre beauté de ce qui ne se contente pas d’être joli ou "sympa".
Les professeurs qui nous manquent tant
Trop d’hypokhâgnes en France ? Non, pas assez. Pas assez de lieux pour se mettre à l’écoute de voix qui ont élevé le niveau de l’humanité, approfondi la compréhension de l’homme, donné à voir sur scène tantôt ses travers et ses ridicules, tantôt ses vices et ses abus, tantôt encore sa lutte, dérisoire ou sublime, contre les coups du sort qui l’assomme.
Est-ce une récupération commode de faire comme si seuls les hypokhâgneux avaient accès à la littérature ? Après tout, l’hypokhâgne n’a pas le monopole des Lettres. Soit, mais sans rien enlever à la qualité des cours dispensés dans les universités — que rejoindront une partie importante des étudiants de prépas, avant de devenir les professeurs qui nous manquent tant —, y a-t-il, dans notre pays, d’autres formations gratuites où un bachelier curieux puisse étudier en même temps la littérature, l’Histoire, la philosophie, la culture antique, les langues vivantes et mortes, dans un enrichissement mutuel qui précède et rend plus féconde la spécialisation dans une discipline unique ? Qui prétendra qu’il n’est pas utile à un futur historien ou un futur philosophe d’avoir étudié le théâtre grec ? Qui peut dire, plus généralement, qu’un jeune citoyen, quel que soit son parcours ensuite, ne gagne rien à connaître le fonctionnement de la démocratie athénienne, les pensées politiques d’Aristote, de Machiavel et de Rousseau, les coulisses balzaciennes de la comédie humaine, les tempêtes collectives et intérieures de Shakespeare ?
L’âme des grands auteurs
Chose frappante, la défense de ces prépas littéraires qu’on veut fermer dépasse les habituels clivages politiques : Le Figaro et Libération ont tous deux accueilli volontiers une tribune des professeurs du lycée Lamartine. Quand une même cause unit deux quotidiens si différents, tout indique que ce n’est pas l’idéologie qui parle, mais la défense d’un bien commun objectif contre un aveuglement ou un cynisme tout aussi objectifs.
"SPERAVIT ANIMA MEA", fit graver Lamartine au fronton de son tombeau : "Mon âme a espéré". Quand on sait le nombre de désenchantements personnels et politiques que l’auteur du Lac a connus, on admire le choix de la formule. Souhaitons à l’hypokhâgne du lycée Lamartine de ne pas avoir à chercher à son tour une épitaphe. Aux fossoyeurs des études littéraires, il est bon de rappeler la nécessité vitale de lieux qui fassent résonner l’âme de grands auteurs qui ont espéré.