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L’être humain peine à se montrer sans fard tant son désir d’absolu et de perfection est grand. Que faire alors des défauts, imperfections et autres maladresses dont l’homme est pétri ? Faut-il devenir un gendarme contre soi-même ou au contraire baisser les bras ? Et si les imperfections acceptées étaient un outil pour cheminer vers le Royaume de Dieu ? Alexia Vidot, auteur d'un ouvrage intitulé Eloge spirituel de l’imperfection (Artège), invite à se réconcilier avec ses imperfections. Un chemin vers la sainteté. Entretien.
Aleteia : Qui n’a pas déjà essayé de se présenter sous son meilleur jour ? Pourquoi mettre en lumière ses petits travers ?
Alexia Vidot : Combien de figures charismatiques avons-nous portées aux nues, idéalisées, canonisées de leur vivant – idolâtrées finalement – en nous arrêtant aux apparences ? Et, lorsque les masques sont tombés, nous avons été effrayés de découvrir que les plus beaux habits, ceux d’une apparente perfection, peuvent recouvrir bien des zones d’ombre. C’est trop vite oublier que les plus grands saints étaient des pécheurs. Bernadette Soubirous l’exprimait ainsi : "Je voudrais qu’on dise les défauts des saints et ce qu’ils ont fait pour se corriger; cela nous servirait bien plus que leurs miracles et leurs extases." Il faut redescendre sur terre, renouer avec la merveille de l’incarnation, ne pas courir vers un idéal spirituel hors-sol. En un mot, se réconcilier avec ses zones noires. Tant que nous n’acceptons pas notre humanité grumeleuse, le risque est grand de nous construire un personnage spirituel très beau, certes, mais qui cache ses atrocités. Alors que c’est parce que le visage du Christ était sale que Véronique l’a essuyé. Dieu peut transformer notre boue en or. Encore faut-il la lui offrir !
N’est-ce pas un peu déprimant ou décourageant de n’être que boue et poussière ?
Ce qui n’est pas accepté ne peut pas être transformé, la conversion passe par un regard vrai sur soi-même et le monde autour de soi. La tentation peut être grande, une fois notre misère devant nos yeux, soit de rester sans rien faire, de nous y résigner, soit de viser les sommets de perfection de notre idéal d’homme par la seule force de nos efforts et de notre volonté ; mais l’Esprit veut venir au secours de notre faiblesse. Dieu ne veut pas que nous soyons des super héros de la prière ou de l'évangélisation. Notre orgueil à vouloir être parfait fait barrage à son action. La grâce de Dieu ne fait des merveilles qu’au cœur même de la faiblesse humaine.
J’aime ce passage d’Odile Haumonté dans Vivre aujourd’hui avec les saints (Salvator, 2022):
Thérèse d’Avila se rend un jour à la chapelle et dit à Jésus: « Je ne veux pas rester ici. Je n’ai pas envie de prier, je ne désire rien te dire, je veux m’en aller. » Elle se met à compter les dalles sur le sol. Quelques jours plus tard, elle demande à Jésus quelle était, parmi toutes ses prières et actions, celle qu’il préférait. Jésus: « Souviens-toi du jour où, à la chapelle, tu t’es mise à compter les dalles. Voilà la prière qui m’a fait le plus tomber amoureux de toi ! Car tu pouvais très bien t’en aller, mais tu es restée, tu m’as choisi, même si tu ne faisais que compter les dalles.
Il s’agit de reconnaître avec un sain réalisme ce qui ne va pas en soi et autour de soi pour demander au Christ d’agir précisément dans ces lieux troubles.
Donc pour que Dieu puisse agir en nous, il faudrait apprendre à se présenter devant Lui et devant les hommes en toute transparence ?
Cette humanité qui nous fatigue, nous frustre et parfois nous effraie, c’est de Dieu que nous la tenons, il ne faut pas l’oublier ! À trop nous lamenter sur ses imperfections, nous en oublions qu’elle est l’œuvre de ses mains. Et cette œuvre est excellente ! Le constat de notre misère ne doit pas nous culpabiliser, mais nous pousser au repentir et à la conversion, nous mettre en mouvement pour être transformés, pour cheminer vers Sa ressemblance ! Bernanos est si juste quand il écrit dans son Journal d’un curé de campagne : "Il est plus facile que l’on croit de se haïr. La grâce est de s’oublier. Mais si tout orgueil était mort en nous, la grâce des grâces serait de s’aimer humblement soi-même, comme n’importe lequel des membres souffrants de Jésus-Christ."
Il s’agit d’accepter et reconnaître ses défauts pour finalement mieux les corriger, ou mieux les utiliser ?
Les imperfections, les limites, les défauts même deviennent les lieux de prédilection de l’action du Christ pour amener sa créature à la sainteté, dans la gloire de son Royaume. Saint Thomas d’Aquin l’écrivait ainsi : "Aux emplacements de ces blessures, une beauté spéciale apparaîtra." Nous pouvons prendre cette analogie : chaque faiblesse d’un enfant est l’occasion pour ses parents de surenchérir en amour, en délicatesse, en inventivité, pour l’aider à grandir. Grâce à l’amour de ses parents, les faiblesses de l’enfant peuvent devenir des forces.
C’est l’esprit de saint Paul qui ouvre et conclut votre ouvrage : "Ma grâce te suffit, car ma puissance s'accomplit dans la faiblesse" (2 Co 12, 9).
Tout à fait, et c’est par nos faiblesses que nous cheminons vers la perfection. "Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait", dit saint Matthieu dans son Evangile (Mt 5, 48). La sainteté n’est pas la perfection selon les critères humains, la sainteté c’est être parfait comme le Père est parfait.
Accepter ses imperfections et suivre le Christ invitant à la perfection, n’est-ce pas deux extrêmes difficiles à relier ?
Oui, nous sommes sur une ligne de crête : Dieu est parfait en étant trois personnes. Il est perfection de relation, de communion, d’ouverture radicale à l’autre. La charité n’est pas l’harmonie parfaite, des relations simples sans tiraillements. L’autre sera toujours autre. Le Père n’est pas le Fils, le Fils n’est pas l’Esprit : la Trinité est une altérité radicale et une communion complète. Ici-bas il n’y aura pas de couples, de familles, de communautés parfaites. Je reprends les mots de Marie Noël : "Les âmes les meilleures, les plus nourricières sont faites de quelques grandes bontés rayonnantes et de mille petites misères obscures."
Accepter joyeusement ses imperfections, tomber, se relever, laisser de plus en plus d’espace à l’action de Dieu, voilà un programme de sainteté.
D’ailleurs, le "soyez parfaits" de saint Matthieu devient "montrez-vous compatissants, comme votre Père est compatissant" chez Luc. Accepter joyeusement ses imperfections, tomber, se relever, laisser de plus en plus d’espace à l’action de Dieu, voilà un programme de sainteté, le programme de toute une vie !
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