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"Je lève les yeux vers les montagnes, pour voir d’où me viendra le secours." La synagogue se remplit. Sous le ciel gris de Lille qui crache sur la ville une pluie lourde et glacée, ils pressent le pas pour se mettre à l’abri. Chacun entre, salue d’un geste ceux qu’il aperçoit déjà assis. Par petits groupes, on chuchote, sans sourire. Encore quelques minutes : les officiels arrivent, politiques, fonctionnaires représentants l’État, religieux. Ils sont accueillis avec une chaleur triste et lasse. La synagogue est pleine, la galerie aussi. Hommes et femmes sont mélangés. Quelques enfants sont pris dans les bras et serrés comme un trésor. Le rabbin entonne le psaume 121. Ensemble nous levons les yeux vers le lieu d’où le secours nous est promis. L’ombre des martyrs se pose sur les peintures fraîches de la salle de prière. Les murmures de la psalmodie peinent à résonner parmi les cris des innocents massacrés, profanés, calcinés.
Porteurs de paix
Dans le vide de ma prière j’entends la réponse que me faisait la veille un ami israélien joint au téléphone. Modéré, il vient de revêtir son treillis d’officier de réserve et de partir pour la guerre. J’ai juste eu l’innocence de lui dire à l’instant qu’il faudrait arriver à tirer enfin des conséquences de toute cette horreur, notamment vis-à-vis de ceux qui ont menés depuis des années vers ce chaos redouté. Il me coupe : "Et le jour où tu m’annonceras que ton père, ou ta mère, ou ton frère, ou ta sœur vient de mourir d’un cancer des poumons ? Tu aimerais que je t’appelle pour te dire qu’il avait sans doute trop fumé ? Tout ce que je te demande, c’est de faire ton boulot et de prier." J’ai bafouillé quelques mots. Et nous nous sommes quittés, lui vers son front, moi vers ma prière.
Il n’y a qu’à se regarder, l’émotion jaillit de voir l’autre comme un frère au moment où l’on pense être le plus seul et abandonné.
"Mon secours vient de l’Éternel qui a fait le ciel et la terre." Se levant, le président de la synagogue prend la parole. Il dit d’abord qu’il est ému. Profondément ému. Et l’on entend ce qu’il ne dit pas : il est ému comme jamais. Il évoque la Shoah, il supplie que nous soyons tous, dans cette France qui « prend si grand soin de la sécurité de ses enfants », des porteurs de paix. Il faut se mobiliser pacifiquement pour enrayer toute tentation antisémite, que ce soit dans les discussions de copains autour d’une chope de bière, à la maison ou au bureau : tenir sa langue, l’éduquer, la convertir pour renoncer à la parole facile, au bon mot qui fait rire et qui conforte toutes les calomnies. « Plus jamais l’antisémitisme ! Plus jamais l’arrogance du nationalisme. Plus jamais de génocide ! » criait Jean-Paul II à Auschwitz en 1995.
Voir l’autre comme un frère
L’orateur invite à prier pour la France. Puis nous chantons la Marseillaise, tous debout, côte à côte. À ma droite, un homme courbé, il représente l’islam, et nous chantons ensemble. Sous le regard du Créateur, sans nous le dire, nous vivons cette expérience de pouvoir croire de manière différente et de le supporter, et même mieux, d’en ressentir quelque chose qui m’évoque la paix. L’émotion est la même lorsque les paroles sur ceux qui viennent égorger ceux que nos bras aimeraient tant parvenir à protéger, sortent de nos bouches. Si peu de temps après la prière du Kaddish...« Que le Seigneur protège tes allées et venues, désormais et durant l’éternité ! » Les derniers mots nous invitent à entrer dans la joie du Shabbat.
La mélodie même du chant ultime, Ossé Chalom, est brusquement presque légère. Il n’y a plus qu’à sortir. Avant de franchir la porte, je croise deux jeunes adossés au mur. Ils me voient : « Vous êtes prêtre, Monsieur ? » Je leur dis que je suis curé, pas très loin. Ils me remercient d’être là. Mais dès que les mots s’articulent, les yeux s’embuent. Il n’y a qu’à se regarder, l’émotion jaillit de voir l’autre comme un frère au moment où l’on pense être le plus seul et abandonné. Je leur dis juste « Shabbat Shalom ! » Ils sourient, amusés, et me répondent de même. En me serrant la main, l’un d’eux, dans un souffle : « On va y croire, hein ? » Je sors. La pluie a cessé et la soirée est, dit-on, la dernière de la saison à avoir cette douceur. Oui, on va y croire.