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La projection de la fin de vie suscite toutes sortes d'angoisses, la première étant une perte de contrôle. Et il est vrai que dans ce temps particulier de la vie, de nombreux éléments échappent généralement à notre autonomie: nos capacités physiques, intellectuelles, sensorielles. Nous abandonnons parfois un domicile, un mode de fonctionnement, un emploi du temps. Nous n'avons plus de visibilité claire sur l'avenir, sur ce que l'on peut espérer, sur tel ou tel projet. Choisir le jour et l'heure de sa mort est une revendication très forte des personnes partisanes de l'euthanasie ou du suicide assisté. Comme une garantie, une sécurité.
Et pourtant, nous conservons mystérieusement, je crois, une forme de liberté.
Quelques mois après la mort de ma mère, je peux en témoigner. Une nouvelle récidive du cancer s'annonçait, le pronostic vital était engagé, le domicile quitté, les traitements arrêtés. Il n'y avait plus rien à faire. Ou plutôt tout restait à faire: visiter, appeler, soulager. Veiller, s'émerveiller, se confier. Ne rien dire, lire un livre, se blottir à ses côtés. Parfois même dormir. Les signes cliniques d'aggravation sont arrivés.
Notre sœur en sentinelle eut l'idée de nous rassembler. Et nous avons tous filé, en voiture, en train, ignorant comment les choses allaient se dérouler. Dans la première partie du weekend, nous nous sommes relayés heure par heure à ses côtés.
Et une dernière fois, ensemble, le samedi après-midi, nous avons prié. Mains dans la main, avec elle, reprenant les mots qu'elle nous avait enseignés: "Jésus Roi d'Amour, j'ai confiance en Toi", "Je vous salue Marie" et "Gloria".
Ne pas brusquer la fin de vie, c'est aussi laisser la vie, doucement, prendre fin.
Ma mère nous regardait, prononçant du bout des lèvres et à bout de souffle ce qu'elle pouvait encore exprimer. Parfois elle s'arrêtait, et elle nous souriait. Comme pour nous consoler. Je pris vivement conscience combien elle allait me manquer.
Je retournais la voir le dimanche soir, elle venait d'être couchée. Elle m'enveloppa de son regard avant que la porte ne soit refermée. Elle tomba le lendemain dans l'agonie: cet état durant lequel plus rien ne réagit. Mais qui sait : peut-être que le cœur agit ?
Elle est partie le mercredi, après que plusieurs personnes se soient laissées bercer par son silence en veillant au pied de son lit.
Elle est partie après que nous nous soyons réunis, comme si elle le savait, comme si elle l'avait choisi.
Ne pas brusquer la fin de vie, c'est aussi laisser la vie, doucement, prendre fin.